Sécurité nucléaire : deux ONG disqualifient l’expertise scientifique

Jean-François Dupont
Ingénieur-physicien EPFL

Greenpeace et la Fondation suisse de l’énergie dénoncent une sécurité insuffisante des anciennes centrales de Mühleberg et de Beznau. Ces ONG mettent en doute le sérieux des contrôles de l’IFSN (Inspectorat fédéral de la sécurité nucléaire). Elles demandent la fermeture urgente de ces centrales. Dans quel cas de figure sommes-nous : complot et collusion entre exploitants des centrales et l’IFSN ou est-on dans le registre du « qui veut tuer son chien l’accuse de la rage » ? Ce jeu est dangereux. Eclairage.

 

La sécurité : des normes, des contrôles et une vraie difficulté démocratique

Sur le fond, la sécurité, dans tous les domaines, passe par des normes et le contrôle de la bonne application de ces normes. Exemple simple : en matière de sécurité routière et d’alcool nous avons la norme du 0.5 p/mille. La norme est décidée par le législateur, elle peut même, avec un peu d’information adéquate, être votée par la population. Par contre pour vérifier son application par un conducteur soupçonné, un vote démocratique serait inopérant. Même si le vote était le fait des habitants du quartier du conducteur. Il faut une compétence. En l’occurrence celle d’un médecin capable, avec une technique ad hoc, de mesurer le taux d’alcool dans le sang. La démocratie ne peut pas remplacer cette compétence. La question de la confiance est cruciale. Il y a aussi des possibilités de contre-expertise. Mais il faut reconnaître que le simple citoyen ne peut en général pas se prononcer lui-même. Comme l’Autorité, il dépend des experts.

 

Sécurité et vieillissement

La sécurité des centrales vieillissantes est aussi comme celles des voitures qui doivent aller passer une « inspection » périodique. Vient un moment ou le propriétaire doit choisir entre prolonger la durée de vie de sa voiture, à grands frais éventuels, ou la remplacer par une neuve. Avec une différence : les normes appliquées à une voiture anciennes sont celles valides au moment de sa mise en circulation, alors que dans le nucléaire ce sont les normes récentes qui sont applicables. Pour en savoir plus : http://www.ensi.ch/fr/reequipements-et-surveillance-du-vieillissement/ .

Préparer une ancienne centrale pour l’inspection coûte de plus en plus cher. Avec une centrale amortie, cet investissement peut-être rentable. Mais de manière inéluctable vient un moment où le propriétaire préfère renouveler sa centrale. C’est le cas des BKW qui vont arrêter Mühleberg et la remplacer par une participation dans une centrale allemande au charbon, faute de pouvoir la remplacer par une centrale nucléaire. Tous les nouveaux projets nucléaires ont été bloqués par Mme Leuthard.

 

Un expert allemand mandaté par Greenpeace et la Energiestiftung disqualifient l’IFSN

Cet expert, Monsieur Dieter Majer, milite contre le nucléaire. Il a été en charge de sécurité nucléaire auprès du ministère allemand de l’environnement. Il avait déjà essayé de discréditer les exploitants de centrale et l’Inspectorat suisses Ses soupçons avaient été très complaisamment relayés dans Le Temps du 27 juin 2013. Sans investigation ou contre avis. Cela avait fait l’objet d’une réaction dans les Observateurs (http://www.lesobservateurs.ch/2013/07/03/comment-le-temps-informe-sur-la-securite-nucleaire/ ). Une réponse officielle avait suivi, des semaines plus tard (l’IFSN n’est pas libre de se défendre comme elle l’entend) : un membre du Conseil de l’FSN, Oskar Grözinger, expert nucléaire et allemand lui aussi, avait témoigné par un article dans Le Temps du 20 août 2013 du sérieux de la sécurité suisse, de son Inspectorat en particulier (Document Word en annexe).

Mandaté par Greenpeace et par l’Energiestiftung, Dieter Majer, renouvelle ses critiques dans un rapport présenté par les deux ONG. Voir :

http://www.greenpeace.org/switzerland/fr/publications/actualites/energie/risques-vieux-reacteurs/

et

http://www.energiestiftung.ch/aktuell/archive/2014/02/12/ehemaliger-chef-der-deutschen-atom-aufsicht-fordert-das-aus-fuer-muehleberg-und-beznau.html#post_content_extended

Quel crédit attribuer à ce récent rapport ?

Les critiques sont de nature très générale et ne semblent pas porter sur des questions qui n’aient pas été investiguées soigneusement par l’IFSN. Les accusations tiennent beaucoup du procès d’intention. À mon avis il n’est pas possible de se prononcer à la seule lecture du rapport. Par ailleurs les deux ONG en question ont une longue tradition concernant le nucléaire : le réquisitoire à charge tient lieu d’analyse, la diabolisation tient lieu d’évaluation.

 

A qui accorder sa confiance ?

C’est la question cruciale. Deux éléments pour aider le citoyen, dont on a dit plus haut qu’il ne peut pas s’en sortir tout seul.

Premier élément : bien qu’un complot ne puisse jamais être écarté dans l’absolu, il est peu vraisemblable. Nos Autorités sont très sensibilisées au risque nucléaire, elles n’ont pas l’envie de jouer avec cela. Ni les exploitants, qui sont responsables en cas de pépins. Et n’oublions pas, ce sont des collectivités publiques. Le mot d’ordre constant dans ce milieux est « la sécurité n’a pas de prix » et « tout plutôt qu’un accident ». Un militant antinucléaire allemand isolé, sans grande qualification professionnelle spécialisée, même soutenu par Greenpeace et l’Energiestiftung, ONG très politisées, ne fait pas encore un Galilée qui aurait raison contre tous.

Deuxième élément : je recommande au citoyen de déterminer lui ce qu’il estime être son objectif prioritaire et ensuite d’évaluer selon son objectif à qui il peut faire confiance.  Son objectif est-il la sécurité du nucléaire, ou sa disparition ? Si c’est la sécurité, je pense qu’il peut faire confiance aux professionnels de l’Inspectorat et des exploitants : ils veulent réellement la sécurité, ne serait-ce que pour eux-mêmes et leurs familles, qui habitent souvent à proximité. Par contre le citoyen qui veut la disparition du nucléaire peut tout à fait faire confiance aux militants antinucléaires : c’est bien ce qu’ils veulent. Analysez leurs propositions concrètes : ils n’ont jamais demandé la sécurité, ou plus de sécurité nucléaire. Le paradoxe n’est qu’apparent : la réalité est que des réacteurs sûrs seraient une catastrophe pour leur mouvement, comment en effet faire des membres et des cotisations avec une population qui n’aurait pas peur du nucléaire?

Disqualifier l'expertise : pourquoi c'est grave

C’est un phénomène relativement nouveau. La relation classique décideur politique qui décide et expert scientifique qui conseille sur des sujets techniques s’est modifiée par l’apparition d’un troisième acteur : l’expert « indépendant ». Celui-ci est présenté par ceux qui le mandatent comme l’expert de confiance puisqu’il ne serait pas « vendu » aux professionnels et aux autorités. Il jouit  de plus de la sympathie de la pensée unique médiatique et politique ambiante. Or l’expert dit « indépendant » ne l’est qu’en apparence, on joue sur les mots. En fait expert « indépendant » signifie au service de l’ONG qui le mandate. Or l’ONG milite en général pour une conviction a priori, par exemple que le nucléaire ne peut pas être sûr quels que soient les efforts de sécurité consentis. L’expert mandaté par l’ONG expert n’est pas indépendant, il est au service de la cause défendue.

L’expertise scientifique est un outil indispensable a une société moderne qui veut profiter, en les maîtrisant, des développements technologiques. Disqualifier l’expertise est un jeu dangereux pour la société. Pas de malentendu : il ne s’agit pas de faire une confiance aveugle, mais en cas de doute la contre-expertise doit être menée sérieusement.

Pour ceux que ce jeu intéresse, lisez la conférence d’Yves Bréchet, académicien des sciences (France), dont le titre est un avertissement : «  La disqualification de l’expertise, un risque grave pour la rationalité des décisions politiques » (PDF et lien Internet en annexe). Il décrit le phénomène de manière approfondie et donne de nombreux exemples d’événements contemporains et assez connus où la rationalité - et l‘intérêt du citoyen - ont été perdants.

Jean-François Dupont, 14 février 2014

 

AnnexeLE TEMPS Débats mardi 20 août 2013

Pourquoi les centrales nucléaires suisses sont les plus sûres

Oskar Grözinger

Il y a un mois, Dieter Majer, directeur du Département de la sécurité nucléaire du Ministère de l’environnement allemand, affirmait ici que la politique nucléaire allemande était plus orientée sécurité que celle de la Suisse (LT du 27.06 .2013).

La critique selon laquelle l’évaluation des risques pratiquée par l’autorité de surveillance suisse n’est pas toujours compréhensible diffame le travail, reconnu aux niveaux national et international, de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). Elle contribue du reste de manière irresponsable à l’inquiétude de la population suisse. Le jugement est privé de toute base technique.

Pour pouvoir évaluer la sécurité des installations nucléaires, une connaissance détaillée de leur état et de leur fonctionnement est nécessaire. En plus de chaque exploitant, l’IFSN a la connaissance la plus compétente et la plus complète. Le Tribunal fédéral l’a clairement signalé dans les motifs du ­jugement de mars 2013. Plus de 140 spécialistes avérés et indépendants travaillent quotidiennement à l’IFSN pour la sécurité de l’être humain et de l’environnement.

La surveillance nucléaire est opérée dans tous les États de droit en fonction de la législation en vigueur. Ceci est valable aussi bien en Allemagne qu’en Suisse. Au contraire de l’Allemagne, la Suisse a, ­depuis de nombreuses années déjà, inscrit dans sa loi sur l’énergie nucléaire des devoirs détaillés, pour les exploitants, quant à l’amélio­ration de la sécurité. L’IFSN veille méticuleusement au respect de ces dispositions. La loi sur l’énergie nucléaire exige ainsi dans son article 22 que le détenteur d’une auto­risation doit «accorder en permanence la priorité voulue à la sécurité nucléaire lors de l’exploitation». En vertu de cet article, il doit également «prendre les mesures nécessaires pour maintenir l’installation en bon état». Le détenteur de l’au­torisation doit encore «rééquiper l’installation dans la mesure où les expériences faites et l’état de la technique du rééquipement l’exigent, et au-delà si cela contribue à diminuer encore le danger et pour autant que ce soit approprié».

En Suisse, la sécurité est le critère décisif pour l’application de mesures de rééquipement. En raison du droit déjà, toutes les mesures nécessaires pour des raisons de sécurité sont mises en œuvre. Cela a conduit à ce que toutes les installations nucléaires suisses remplissent aujour­d’hui non seulement les exigences légales minimales, mais disposent également, dans de nombreux domaines, de marges de sécurité supplémentaires. La règle de la priorité à la sécurité, liée au devoir de rééquipement – valable depuis des années – de la loi sur l’énergie nucléaire suisse, a débouché sur un niveau de sécurité des centrales ­nucléaires suisses au-dessus de la moyenne en comparaisons européenne et internationale. Les examens internationaux réalisés ces dernières années le confirment à l’unisson. Le test de résistance de l’Union européenne réalisé récemment est à citer dans ce contexte. Il visait principalement à déterminer les marges de sécurité et les limites de charge critiques en cas d’événements externes extrêmes.

La question du vieillissement des installations est également suivie de près par la surveillance nucléaire suisse depuis de nombreuses années; cela s’explique déjà par le fait que, au contraire de l’Alle­magne, la surveillance du vieillissement est un devoir légal en Suisse. L’article 35 de l’ordonnance sur l’énergie nucléaire exige que le détenteur de l’autorisation effectue une «surveillance systématique du vieillissement de tous les équipements et de toutes les constructions dont la fonction et l’intégrité comptent pour la sécurité et la sûreté». Grâce à des méthodes reconnues au niveau mondial, l’état du vieillissement peut être contrôlé et pronostiqué de manière précise. Il est ainsi possible de garantir que les limites claires définies en Suisse à propos du vieillissement des matériaux sont respectées dans tous les domaines comptant pour la sécurité, et ce, lors de l’ensemble de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires.

Dans le texte mentionné, la déclaration sur la centrale nucléaire d’Obrigheim est incorrecte. Cette centrale n’a pas été désaffectée en raison de problèmes de sécurité. Obrigheim a respecté toutes les exigences de sécurité valables, jusqu’au dernier jour d’exploitation. Cette centrale a surtout dû être ­désaffectée car elle avait atteint son contingent de production de courant défini dans le cadre d’une convention de consensus entre le gouvernement fédéral et les entreprises allemandes d’approvisionnement électrique. En conséquence, cette centrale ne pouvait plus être exploitée suite à l’entrée en vigueur de cette règle. Du reste, c’est en raison de décisions d’ordre politique et non pas pour le non-respect des ­exigences de sécurité en vigueur que plusieurs centrales nucléaires allemandes ont été mises hors service après l’accident de Fukushima en 2011.

L’autorité nationale de surveillance, aujourd’hui l’IFSN, impose le droit en vigueur pour ­l’énergie nucléaire et la sécurité de manière conséquente, courageuse et appropriée. Cela contribue pour une part importante au standard de sécurité élevé en Suisse. Cette voie est à suivre avec persévérance. Du reste, l’IFSN a créé cette année une plateforme permettant de traiter les questions du public en relation avec la sécurité technique: www.ifsn.ch.

Membre du conseil de l’autorité suisse de surveillance (IFSN) depuis 2012, Oskar Grözinger a été auparavant responsable du domaine de surveillance de l’énergie nucléaire et de radioprotection au Ministère de l’environnement du Bade-Wurtemberg à Stuttgart

© 2013 Le Temps SA

7 commentaires

  1. Posté par Jean-François Dupont le

    @ Pénélope
    Oui, vous avez raison de ne pas oublier les centrales de demain, dont celles au Thorium. Encore que demain est relatif puisque deux prototypes de réacteurs HTGR au Thorium, et de taille respectable 350 MW, ont fonctionné à Fort-St Vrain (USA) et à Schmeehausen (D) dans les années 70. En 1968 j’ai commencé mon activité professionnelle au PSI Institut Paul Scherrer) sur des réacteurs au Thorium.
    Sur les avantages du Thorium, ce n’est pas le lieu ici de faire le débat. Je me limiterai à dire que c’est un excellent combustible avec un grand avenir potentiel. Il y a malheureusement une querelle de chapelle entre disons les enthousiastes et les réalistes sur l’intérêt qu’il y aurait à éliminer l’Uranium et à passer tout de suite au Thorium. L’erreur des enthousiastes, selon ma compréhension du dossier, est de croire que le Thorium serait accepté par les mouvements anti-nucléaires (partis et ONG écologistes) comme un « bon » nucléaire par rapport au « mauvais » nucléaire que serait l’Uranium. En fait on a les mêmes questions de sécurité avec les deux combustibles, qui peuvent être maîtrisées tout aussi bien dans les deux cas si on prend les précautions nécessaires. Croire que les antinucléaires vont accepter le Thorium est utopique ou angélique : toute leur attitude montre une opposition au nucléaire de type fondamentaliste qui ne veut pas tenir compte du niveau de sécurité réellement atteint.
    Dominique Grenêche a une longue connaissance du Thorium comme chercheur et industriel. C’est un réaliste qui était présent à la conférence Thorium du CERN en 2013, voir : http://www.youtube.com/watch?v=aNZwCnW5dAw
    Il faut être conscient que l’opposition politique au nucléaire a fait subir aux réacteurs du futur, dits de 4e génération, dont les réacteurs au Thorium, un retard de développement de 20 à 30 ans.

  2. Posté par Pénélope le

    Et « L’autre nucléaire », vous connaissez? Ce débat sur les centrales actuelles ne doit pas nous faire refuser celles de demain: les centrales au Thorium. « Demain » c’est l’horizon de fermeture des centrales conventionnelles. Elles auront cette fois-ci de sérieux avantages, notamment celui d’incinérer les déchets nucléaires actuels. Alors pourquoi ne pas vous informer directement auprès du groupe iThec, basé à Genève dont les physiciens du CERN ont proposé à certains de nos parlementaires un « projet Thorium »?
    http://www.dailymotion.com/video/x1b5hbv_conference-thorium-l-atome-pour-la-paix_tech

  3. Posté par Jean-François Dupont le

    @ Saint-Aroman Marc
    Vous êtes semble-t-il membre de « Réseau sortir du nucléaire » une ONG française militante antinucléaire. Vos remarques permettent de compléter l’éclairage sur le jeu de certaines ONG .
    Les techniques, et les expertises, ne sont à l’évidence pas infaillibles. Je suis d’accord avec vous, c’est d’ailleurs assez bien connu. Les techniques de sécurité se basent précisément sur ce constat de fragilité: tout équipement technique peut être défaillant, et au mauvais moment en plus. La sécurité est une stratégie recourant à des parades multiples destinées à faire en sorte que dans n’importe quelle situation, avec défaillances cumulées de plusieurs défaillances d’organes sensibles, ces défaillances soient « pardonnées » par le reste du système et que l’objectif de sécurité soit quand même respecté. Il manquait aux réacteurs de Fukushima à la fois un confinement extérieur mixte béton-acier étanche, des dispositifs de prévention des explosions d’hydrogène, des filtres pour retenir la radioactivité de la vapeur sortant des soupapes de surpression et des blindages protégeant contre les inondations les diesels de secours alimentant les pompes de refroidissement. Ces équipements auraient peu réduire considérablement, voire éviter, les relâchements de radioactivité. Il aurait suffi aussi que la centrale soit installée 20 m plus haut. Des experts (dont des Suisses) avaient dans les années 80 proposé ces équipements à Fukushima et obtenu un refus. Qui en parle ? C’est bien le manque de sécurité (et un terrible tsunami, ne l’oublions pas), plus que les défaillances techniques en soit qui ont permis la catastrophe. Qui en parle, qui informe ?
    Reste un point essentiel : les deux manières de faire la sécurité. L’une, celle de votre ONG, l’interdiction complète. L’autre, celle de l’ingénieur, la maîtrise du risque par des techniques de sécurité bien élaborées et contrôlées. Si chaque fois que l’humanité avait été confrontée aux risques d’une technologie, elle avait opté pour l’attitude « c’est dangereux, on interdit », nous n’aurions pas le feu, pas de maisons, pas de ponts, pas de trains, pas de médecine, bref, pas de civilisation. L’humanité a progressé en choisissant, avec courage souvent, de maîtriser les risques plutôt que de les fuir. Vous confirmez que votre ONG préfère la disparition du nucléaire à la sécurité. C’est votre droit, que chacun en soit conscient et fasse son propre choix.
    Vous estimez aussi que les conséquences négatives du nucléaire sont potentiellement beaucoup plus graves que celles d’autres technologies. C’est une perception largement répandue, que votre ONG contribue activement d’ailleurs à propager, mais qui ne correspond pas à la réalité. Vous évoquez des zones inhabitables longtemps. Vous ne dites pas qu’on évacue dans le cas de contamination nucléaire des personnes vivantes, avant qu’elles ne subissent des doses dangereuses, alors que dans les cas d’explosions ou d’intoxication par de produits chimiques, ou dans les cas de ruptures de barrages hydrauliques ce sont souvent des morts qui sont évacués, la rapidité des dégâts ne permettant pas de les éviter. À Fukushima la décontamination des sites évacués et le retour des populations a commencé.
    Il faut aussi savoir quelle est la réalité des risques, suivant les choix énergétiques. Supprimer le nucléaire, c’est augmenter la combustion d’énergies fossiles : charbon, mazout et gaz. C’est une illusion de croire qu’aujourd’hui il serait possible grâce aux énergies renouvelables de se passer du nucléaire sans augmenter le recours au fossile. Tous les calculs le montrent. Mais bien plus que les calculs, l’expérience concrète de l’Allemagne avec son tournant énergétique. Même Greenpeace dénonce le recours au charbon en Allemagne pour compenser les pannes de vent et de soleil. Il faut alors aussi parler des conséquences sanitaires. Les énergies fossiles ne posent pas qu’un problème de CO2, mais celui d’émissions polluantes et cancérigènes associées à toute combustion (NOx, benzopyrènes, etc,…). L’OMS l’a reconnu : la pollution atmosphérique par les combustions de toutes sortes (chauffage, trafic routier, …) est cancérigène. Le nombre de décès prématurés dus à cette pollution est évalué à 250’000 cas/an pour… la seule Europe ! Et il ne s’agit pas d’accidents : juste, le résultat du fonctionnement normal des flammes petites ou grandes additionnées de la combustion. D’après les spécialistes de radioprotection, il n’y a pas à attendre d’augmentation des cancers suite à Fukushima, dont la contamination aurait pu être évitée. Votre refus du nucléaire est aveugle.
    On peut évacuer la technique. On serait tous perdants. Il vaut mieux en faire un bon usage. Pour cela une analyse sérieuse des réalités et une communication honnête sont indispensables. Cela passe par des experts de qualité. Je ne crois pas que les ONG, en dénigrant les experts qui ne vont pas dans le sens de leurs préjugés, rendent le meilleur service possible à la société. Yves Bréchet a raison : la disqualification de l’expertise scientifique est un risque grave pour la rationalité des décisions politiques.

  4. Posté par Jean-François Dupont le

    @ Hervé
    Vous avez raison. Il y a un précédent: La Suède. C’était le premier pays à avoir décidé de sortir du nucléaire. Environ trente ans plus la Suède a annulé le décret de sortie du nucléaire. La population a gardé sa confiance au nucléaire, même après Fukushima. Les effets sur le portemonnaie, et l’information apportée par le débat, ont eu l’effet que vous pronostiquez.

    @ Michel de Rougemont
    Votre question de droit est intéressante. À ma connaissance la base légale est le communiqué de presse du 14 mars 2014 publié par Mme Leuthard. Voir: http://www.bfe.admin.ch/themen/00511/03820/index.html?lang=fr
    Phrase clef (extrait): « Le 14 mars 2011, à l’issue d’une réunion avec des représentants de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), la conseillère fédérale Doris Leuthard a décidé de suspendre les procédures en cours concernant les demandes d’autorisation générale pour les centrales nucléaires de remplacement. »
    La procédure générale pour une nouvelle centrale nucléaire prévoit 1) une autorisation générale octroyée par le Parlement (sous condition d’approbation de la sécurité par l’Inspectorat IFSN et de reconnaissance de la « clause du besoin »). Ce communiqué peut-il représenter une interdiction légale, formelle et valide de construire une nouvelle centrale nucléaire? Je ne sais pas. Mais il semble vraisemblable qu’une position négative du CF et du Parlement fait peser un risque politique tel qu’aucun exploitant souhaitant remplacer une ancienne centrale ne se lancerait dans un tel investissement.
    Un juriste, Reto Müller, a par contre soulevé récemment la question de savoir si le Conseil fédéral est habilité, avec le Parlement, à interdire une nouvelle centrale nucléaire sans 1) modifier la Constitution et donc sans 2) soumettre cette interdiction à l’approbation du peuple (référendum obligatoire). Il donne de bonne raison en faveur de sa thèse, voir: https://ius.unibas.ch/uploads/publics/41276/20131221232357_52b614fd90f6d.pdf
    et aussi
    http://www.stromversorgungsrecht.ch/Schweiz.html
    La question est en suspens.

  5. Posté par Saint-Aroman Marc le

    Existe-t-il une technique infaillible ?
    Pourrait-il exister une expertise infaillible ?
    Pour avoir passé ma vie professionnelle dans la maintenance ma réponse est clairement non !
    (Petit exemple : j’ai dû intervenir sur une installation ou une opération du cœur programmée fût interrompue pour une simple minuscule diode).
    Suite à la catastrophe de Fukushima, les connivences entre l’autorité de sûreté japonaise (NISA) et l’opérateur Tepco ont éclatées au grand jour : nous avons tous mesuré les séismes engendrés dans toutes les autorités de sûreté nucléaire au monde liés à ces évènements : les autorités américaines ou suisses furent les plus secouées.
    Dans la critique adressée ci-dessus à un peuple « ignorant » qui aurait besoin d’experts pour se forger une évaluation technique, il est curieux de ne pas voir les politiques inclus dans cette déficience affirmée : en effet, nous avons eu droit en France à un Nicolas Sarkozy rentrant du Japon sur les cendres chaudes de Fukushima qui affirmait en substance, et de façon méprisante que nous serions épargnés par ce type d’évènement car avions les meilleurs techniciens et les meilleurs ingénieurs au monde… pourtant pendant ce temps les vrais meilleurs techniciens et ingénieurs au monde se sacrifiaient dans l’enceinte de Fukushima – Ne surtout jamais oublier la fuite des techniciens d’Areva dès que le site fût menacé : ils ont compris que la solution la meilleure pour eux était la fuite –

    Après la catastrophe d’AZF à Toulouse en 2001, la ville a pu continuer à vivre alors que l’explosion s’est produite à moins de 3 km du centre ville : cette continuation de vie n’est jamais possible suite à une catastrophe atomique : quel décideur peut assumer un tel niveau de risque devant ses mandants : AUCUN ! Quand le pire adviendra, les consciences s’éveilleront et la vie deviendra impossible pour tous ces responsables : insignifiante consolation pour les millions de victimes…

  6. Posté par Hervé le

    Ni la probité scientifique ni celle idéologique tiennent devant l’argent: c’est pourquoi on voit que les « alarmistes » de tous bords sont impossible à convaincre, cf l’Energiewende actuel. Même dans ce domaine bien plus simple, on voit de suite qu’espérer fournir 80% de l’électricité d’un pays par des sources erratiques (la biomasse ayant été évincée officiellement) est impossible sauf à acepter une activité économique + loisir + éducation ne tournant que les jours de vent ou soleil et tombant en léthargie durant 85% à 90% du temps, le stockage de grande capacité étant physiquement impossible…. Eh bien non, « ils » continuent à pousser leur bazar (car de grosses rentrées privées d’argent en résultent).
    Alors quand tout un chacun là bas comprendra que’il est touché là où « ça fait mal », à savoir le porte-monnaie, l’opinion se retournera comme feuille morte au vent et tout leur truc s’effondrera en chateau de cartes.
    Alors pour le nucléaire – bien plus compliqué à appréhender pour qui n’est pas de culture scientifique – il faudra des ruptures bien plus grandes comme un déficit budgétaire national abyssal s’accumulant sur 20ans, suivi de l’appauvrissement général de la population pour que le sentiment populaire se retourne: an gros avec les conséquences, 50ans de croissance perdus!

  7. Posté par Michel de Rougemont le

    Si la bataille n’était que celle des experts un arbitrage raisonnable pourrait avoir lieu et des conclusions acceptables publiées.
    Seulement voilà: les experts sont immanquablement biaisés, comme tout un chacun.
    Le biais est combattu dans une institution comme l’IFSN par une diversité des personnes, des procédures vérifiables, et la transparence de ses activités (toujours améliorable il est vrai, bien que l’expertise technique ne soit pas forcément digeste).
    Mais dans une ONG l’expert qui est commis n’a qu’un seul mandat: accumuler les points qui abondent dans le sens partisan pour lequel milite la dite ONG, et ignorer les autres.
    Il est par ailleurs extrêmement plus facile de prouver que quelque chose est dangereux que de conclure que la sûreté d’un dispositif est satisfaisante ou que les normes en vigueurs sont suffisantes.
    C’est l’asymétrie entre vérité révélée et indémontrable absence de vérité.
    Greenpeace est l’une de ces puissantes ONG expertes dans le domaine d’utilisation d’experts corrompus (moins par l’argent que par l’aveuglement idéologique).

    Autre question: quelle est la base légale pour le Conseil fédéral de bloquer un projet de centrale nucléaire ou de ne pas renouveler une licence d’exploitation ?
    Un a priori politique caché derrière de pseudo-évaluations des risques ?

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