Lac-Mégantic et le transport de matières dangereuses

Jean-François Dupont
Ingénieur-physicien EPFL

L’accident de Lac Mégantic fait réfléchir : un convoi fou qui pénètre au cœur d’une cité, des dizaines de wagons citernes de pétrole qui brûlent et explosent avec une force de destruction impressionnante. N’y a-t-il que de la fatalité ?

Les images de l’accident de Lac Mégantic sont saisissantes, voir en particulier celle d’un amateur diffusée sur la RTS.

Il s’agira bien sûr de faire l’analyse complète de cette tragédie et d’en tirer les enseignements. D’autant plus que des quantités importantes de matières dangereuses circulent sur nos routes et nos rails.

Il faudra en particulier répondre aux questions de base suivantes :

- Ce scénario avait-il été anticipé dans une analyse de risque préalable ?

- Quelle était la nature du pétrole concerné et sa capacité d’exploser était-elle connue ?

- Le convoi était-il équipé d’un dispositif le freinant automatiquement en cas de mise en mouvement sans mécanicien à bord ? (On pense à des dispositifs dits fail safe, c'est-à-dire de dispositifs qui pardonnent les erreurs et les défaillances).

La sécurité est d’abord une question de méthode. Ce n’est pas l’objet de cet article de traiter le sujet. Cela va être fait soigneusement par des experts et nous serons certainement informés en temps utile.

Je voudrais par contre de donner un éclairage sur la méthode en provenance de l’expérience acquise dans la sécurité nucléaire. On y pratique systématiquement l’inventaire des scénarios et la multiplication des systèmes fail safe destinés à compenser toute erreur et défaillance.

Mais, on ne s’arrête pas là. En plus on exige que même si toutes les parades devaient se révéler elles-mêmes défaillantes, il faut qu’aussi dans ces circonstances extrêmes, il n’y ait pas de dégâts à l’homme et à son environnement. Comment ? Pour le transport de matières radioactives, on a mis en place une solution radicale : des conteneurs blindés et étanches, dimensionnés pour résister à la fois au choc d’une locomotive lancée à pleine vitesse, à un incendie d’une heure et à une immersion par 100 m de profondeur dans un plan d’eau.

Pour illustration, une vidéo sur Dailymotion qui montre les crash test d’un conteneur de transport pour matières radioactives pour toutes ces exigences.

Alors, pourquoi pas des wagons blindés pour les combustibles fossiles? Ou pour les autres matières chimiques dangereuses sur rail ou sur route? D’autant plus que l’accident survenu il y a une dizaine d’années environ en gare de Lausanne avait montré une certaine fragilité des citernes habituelles : quelques wagons se sont couchés, à faible vitesse pourtant et des fissures ont aussitôt libéré des vapeurs toxiques. La rapidité d’intervention des secours et d’évacuation des habitants proches de la gare, de nuit, avait heureusement permis d’éviter des victimes.

Pourquoi donc personne n’a jamais demandé des citernes ou des conteneurs blindés avec crash tests à l’appui ?

Première explication: le coût.

Le rapport entre l’énergie délivrée par gr de combustible varie de 1 à 1.5 million entre la combustion (chimique) et la fission (nucléaire). Le coût d'un conteneur est lié à son poids et à la masse à transporter. Mais la répercussion sur le prix de l'énergie entre le fossile et le nucléaire sera influencé par ce rapport de 1 million.
Un niveau de sécurité maximal coûte très peu par kWh dans le nucléaire et on peut se le payer. Par contre ce ne serait pas payable pour les combustibles fossiles ou les autres produits dangereux de la chimie.

Deuxième explication: la culture de sécurité "nucléaire".

L'état d'esprit dans le nucléaire est assez radical en matière de sécurité: on fait tout ce qui est possible de faire, on ne regarde pas à la dépense. Priorité à tout prix à la sécurité. Une des raisons principales est liée au fait que les propriétaires d’infrastructures électriques sont des collectivités publiques, qui ne veulent ou peuvent pas prendre le moindre risque.

Le nucléaire n’a ainsi peut-être pas grand mérite à être performant en matière de sécurité, si ce n’est pas cher et si les propriétaires ne sont au surplus pas (trop) regardant à la dépense de sécurité. Ce n’est cependant pas une raison pour ne pas reconnaître au nucléaire son niveau réel de sécurité.

Mal informée, l'opinion publique demande l'arrêt du nucléaire, mais pas du pétrole. Elle ne demande même pas des conteneurs blindés - avec crash tests probants - pour les transports de matières dangereuses. Elle entend dire, et croit, que les transports de déchets radioactifs sont les transports les plus dangereux. C’est un mythe utile et entretenu par ceux qui y ont intérêt.

À ce propos une anecdote qui remonte à Mitterand. Au début de son premier mandat, il avait créé un nouveau ministère , celui des « risques technologiques majeurs ». Le mérite de Mitterand avait été ainsi de permettre que la question des risques technologiques soit traitée de manière cohérente, avec la même approche systématique pour toutes les technologies. Le premier titulaire de ce ministère a été Haroun Tazieff, célèbre vulcanologue et antinucléaire déclaré à l’époque de sa nomination. Après une année à la tête de ce nouveau ministère, Haroun Tazieff avait annoncé que:

- son ministère avait terminé l’état des lieux en France en matière de prévention de sécurité technologique.

- une industrie s’était révélée avoir déjà réalisé ce qui devait l’être : l’industrie électronucléaire.

- par contre pour les autres technologies à risques, la sécurité était à revoir et à compléter sérieusement.

Pour les inspecteurs du ministère d’Haroun Tazieff, la sécurité se révélait être un point fort du nucléaire. Dès ce moment, le célèbre vulcanologue s’est distancé des antinucléaires.

Jean-François Dupont

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