Initiative Minder : A la fin que penser ?

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Le comité contre l’initiative Minder admet lui-même que les Suisses ne veulent plus des rémunérations excessives. L’initiative va-t-elle trop loin ? Les arguments sont ardus, les raisons floues. Qu’en est-il réellement.

Thomas Minder, patron d'entreprise, Conseiller aux Etats schaffhousois, sans parti mais siégeant à droite, sème la panique dans les milieux financiers, lesquels ont décidé de consacrer pas moins de 8 millions de francs, par l'intermédiaire d'Economie Suisse, pour contrer son initiative.

Le petit peuple en crise va-t-il planter la tête des grands patrons sur la pique de ses frustrations ? La haute aristocratie de l'argent saura-t-elle au contraire justifier de son utilité et convaincre à voter le contre-projet ? Le débat est un des plus propres aux arguments à l'emporte-pièce, mais qu'en est-il vraiment ?

Nominations et rémunérations

L'initiative demande, en vue de « protéger l’économie, la propriété privée et les actionnaires », que les assemblées générales des sociétés anonymes suisses cotées en bourse soient contraintes à nommer chaque année les différents membres des conseils d’administration et à se prononcer sur la somme globale de leurs rémunérations. Jusque-là, rien à dire, il s'agit d'un simple renforcement du pouvoir des actionnaires par voie démocratique.

L'argument des opposants paraît d'ailleurs assez faible, lesquels, dans une infographie - qui tend à faire croire que le but d'Economie suisse est de dégommer les très hauts salaires, symbolisés par une redingote, des lunettes de soleil et un cigare, à coups de boule de bowling - arguent d'un excès de... bureaucratie. Plus sérieusement, et non sans un certain cynisme, Jean-François Cavin, dans la Nation, plaide pour l'inutilité d'un redressement moral dans un monde purement spéculatif. L'on tient peut-être ici l'une des clefs de la teneur lourdement émotionnelle du débat, une conception de la moralité.

Le contre-projet divertit, au sens premier de détourner, la contrainte de l'assemblée générale et transforme l'obligation en simple droit dont elle disposerait sans être pour autant forcée d'y référer. Ce droit est associé à un droit de recours en justice par tout actionnaire, ceci étant dit pour la lourdeur bureaucratique.

Indemnités

L'initiative bloque encore tous les produits dérivés de la rémunération, golden parachutegolden shake-hand, primes en tout genre et autres paniers garnis.

Le contre-projet conforte le pouvoir de ceux qui l'ont déjà et attribue à qui mieux mieux des compétences de rédaction de règlement. Un appareil d'une certaine lourdeur censé commander une plus grande transparence mais sans réelle obligation de résultat.

Rentes, crédits, prêts, durée du contrat

Dans l'initiative, l'assemblée générale étend encore ses compétences aux avantages associés à toute position dirigeante. Le contre-projet botte en touche et s'en remet à la capacité réglementaire du Conseil d'administration.

Plus de démocratie ?

En conclusion, l'initiative Minder apporte la démocratie directe dans le monde de la finance. Démagogie, populisme ? Le fait est que, par sa seule existence, l'initiative dévoile l'impuissance croissante des actionnaires devant les méthodes d'une certaine finance. Une impuissance qui révèle une immense frustration et un fort potentiel insurrectionnel. Ce qui frappe certainement dans l'initiative, c'est la dureté de ton, la volonté de mise au pas de tout un monde qui, s'il lui faut impérativement des règles, a besoin de tout autant de libertés.

Le contre-projet ne convaincra pas, tout d'abord par son extrême complexité mais aussi par sa tendance à évaporer les compétences nécessaires à l'assemblée générale pour garantir la propriété des actionnaires et à rediriger toutes celles qui peuvent être essentielles vers le conseil d'administration.

Deux conceptions du monde, l'une du pouvoir au peuple aux limites de la démocratie populaire, l'autre du pouvoir à ses représentants, bouffie d'immobilisme quiet, assise sur la science des trafics d'influence. S'il y a une chose que l'Assemblée fédérale ne démontre pas avec ce texte, c'est bien son indépendance.

Les partisans du contre-projet laissent  par ailleurs trop voir le peu de considération qu'ils peuvent souffrir pour l'opinion de la base, quand ils prétendent que le principal inconvénient de l'initiative réside dans les pesanteurs de l'appareil parlementaire (dès 01:26); comme si ces messieurs paraissaient pressés de régler leur sort aux hauts salaires. Tenter de vanter un modèle de démocratie représentative tout en parvenant à en fustiger les défauts de fonctionnement; une gageure qu'Economie suisse a relevé haut la main.

La question de la défense des hauts salaires et, comme si le lien était évident, de l'efficacité et de la compétitivité des entreprises suisses, est fallacieuse, l'initiative n'empêchant pas les hauts salaires mais les soumettant juste à l'aval des actionnaires. Ce n'est pas la crainte de la perte de leurs salaires qui motive les partisans du non mais bien celle de leur perte d'hégémonie.

Cependant, l'autoritarisme de l'initiative Minder ouvre la porte à de nouvelles compétences interventionnistes de l'Etat, ce point peut en gêner plus d'un. Mais, signe des temps, peut-être en sommes-nous arrivés à ce stade où la morale naturelle du "bon Suisse" ne suffit plus pour assurer la paix sociale, et où de nouveaux garde-fous institutionnels doivent s'ériger pour prévenir les excès. Reste que, malgré la pénombre des textes et des arguments, chacun reconnaîtra les siens.

 

2 commentaires

  1. Posté par Antonio Giovanni le

    Je reste stupéfait qu’on parle tant et tant de rémunérations excessives, alors qu’elles relèvent de la responsabilité privée d’un conseil d’administration privé et de ses actionnaires (.. privés),mais que l’on passe sous silence, et depuis longtemps des cas qui devraient paraître bien plus choquants aux yeux de tous ces démocrates pourfendeurs de hauts salaires. Exemple: il a fallu, à Genève, que M.Stauffer (MCG), membre du conseil d’administration des SIG, dénonce les CHF 450’000 de rémunération annuelle, pour un poste à 45%, du directeur des SIG (ancien maire socialiste de Carouge) et ce hors primes, et, en outre, salaire indexé sur le prix du gaz ( un lubie économique socialiste, mais qui ne choquait pas les libéraux du conseil…) ; le résultat on l’a vu : ce salaire a été ramené à CHF 250’000, pour 45% d’activité, hors primes; la contrepartie de cette initiative « citoyenne » de M.Stauffer, a été son exclusion du directoire SIG par le C.E. genevois; à Genève, on dénonce des turpitudes financières et économiques et c’est l’honnête citoyen qui en est sanctionné! Mais il faut bien dire que SIG est une régie cantonale, elle appartient aux Genevois, de bout en bout, mais elle est squattée, pour ses grasses prébendes, par les partis qui se partagent un immense gâteau; face à ces scandales (BCGE) qui volent les citoyens l’initiative Minder fait figure d’OVNI dans un monde politico-économique dont le copinage et le péculat sont les deux mamelles, mais qui à l’instar de la de vénus d’Éphèse en porte encore bien d’autres tout aussi indécentes ; qu’on donne alors plus de moyens aux actionnaires et aux comités de surveillance interne; mais laissez donc l’activité privée aller son train sans entraves; et que ne fulminent-ils pas, tous ces apôtres de la «Genügsamkeit», contre les salaires monstrueux des footballeurs et artistes en tout genre, contre les prix exorbitants des tableaux à plus de CHF 100’000’000, contre les investissements démesurés (biens sociaux…jetés par dessus bord) qui financent les courses de voile en haute mer ? Conclusion provisoire: laissez donc le privé s’occuper de soi, du moment que le public s’occupe si mal de soi-même.

  2. Posté par Stéphane Montabert le

    Les Suisses ne supportent plus les excès de patrons-voyous se livrant sans vergogne au pillage de leur entreprise sous prétexte de la gérer. Ces voleurs en col blanc s’arrogent des salaires mirobolants en profitant de la faiblesse et de la division de l’actionnariat pour agir en toute impunité. D’une façon ou d’une autre cette époque est révolue ; soit l’initiative Minder passe, soit le contre-projet indirect s’applique (*). La question est donc de savoir quel texte est le plus approprié.

    Certains clament que le contre-projet est suffisant, voire qu’il va plus loin que l’initiative. Ce n’est pas l’avis de M. Minder, qui prétend que celui-ci ne reprend que 40% de ses exigences ; cette thèse est aussi très étrange quand on sait qu’EconomieSuisse et les grands patrons évoqués plus haut défendent ardemment le contre-projet indirect. Cherchant avant tout à préserver leur pré carré, pourquoi se donneraient-ils tant de peine pour faire passer un texte prétendument équivalent, voire « meilleur »?

    Meilleur pour qui?

    L’initiative Minder remet l’église au centre du village – plus précisément, l’actionnaire au centre de la gestion de l’entreprise. Les pires dérives ont lieu dans le cénacle de grandes entreprises où l’actionnariat est très divisé et détenu en grande partie par des caisses de pension totalement passives ; ce n’est pas un hasard. L’assemblée des actionnaires redeviendra une véritable démocratie participative responsable, ce que l’entreprise n’aurait jamais dû cesser d’être (une action = une voix) et où les propriétaires pourront vraiment faire entendre leur voix et agir sur le salaire de leurs subordonnés directs, à savoir l’équipe dirigeante.

    Il y a un sérieux malentendu au sujet de l’initiative Minder: pour commencer, elle n’interdit absolument pas les gros salaires. Elle les subordonne simplement à l’approbation des actionnaires, ce qui est une toute autre paire de manches. Les Daniel Vasella, Oswald Grübel et autres Peter Brabeck persuadés d’être la réincarnation du Messie sur Terre pourront continuer à percevoir des salaires mensuels en millions, s’ils peuvent convaincre les actionnaires qu’ils les méritent. Je crois juste qu’ils s’inquiètent parce que leurs performances personnelles, quoi qu’ils prétendent, ne sont pas à la hauteur de leur ogueuil péremptoire.

    On reproche aussi à l’initiative Minder d’être « excessive », « autoritaire », d’aller « trop loin ». Si quelque chose est excessif, ce sont bien ces commentaires! D’une part l’initiative n’empêche nullement les salaires élevés, d’autre part elle ne fait que remettre les choses à plat concernant les rémunérations. Cela mérite d’être fait parce que les patrons-voyons exploiteront toutes les failles (ce ne sont pas les scrupules qui les arrêteront). Laisser l’interprétation des choses permises et interdites au bon goût du Parlement dans une loi d’application aurait été trop dangereux: on voit bien avec quel empressement celui-ci dénature les articles constitutionnels qui lui déplaisent.

    L’initiative Minder n’est pas une « invasion légale » de la relation entre actionnaires et comité de direction: celle-ci appartient au droit des contrats et l’Etat est garant du respect de ce droit. L’Etat est arbitre et se trouve parfaitement dans son rôle lorsqu’il définit ce qu’un contrat de travail peut légalement contenir. Les exemples d’abus interdits par l’initiative Minder correspondent tous, hélas, à des cas réels.

    Dernier argument, le contre-projet serait « plus rapide ». Venant de gens ayant tout fait pour faire traîner le dossier pendant des années, l’excuse fait sourire. Il est vrai que dans la situation actuelle, après avoir perdu des années, le contre-projet est finalement placé dans une situation où il s’appliquerait plus vite, mais cette situation a été patiemment mise en place par les gens qui gèrent le dossier depuis plus de cinq ans! Du point de vue de l’initiative, nous en sommes au même point qu’en 2008. Qui oserait prétendre que la perte de temps vient du camp des initiants? Et le but d’une loi (à fortiori d’un article constitutionnel) est de penser un problème sur le long terme. Les discussions sur la rapidité de mise en place d’un texte ou d’un autre sont donc finalement bien vaines.

    A-propos, centrée sur le droit de propriété et la responsabilité des actionnaires, l’initiative Minder répond de façon intelligente à une dérive inquiétante, mieux que les faux-semblants du contre-projet indirect qui lui est opposé.

    Voilà pourquoi je la soutiens pleinement.

    Stéphane Montabert

    (*) Il ne faut pas exclure une troisième possibilité: que l’initiative Minder soit repoussée et qu’EconomieSuisse bondisse sur l’occasion pour réclamer un référendum contre la loi, qui lui permettrait en cas de victoire de maintenir le statu-quo actuel pendant encore une demi-douzaine d’années, minimum.

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