Les Réformés doivent relever la tête

Philippe Barraud
Philippe Barraud
Journaliste indépendant, essayiste et écrivain
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Dans un monde en perte de repères, les Réformés ont quelque chose à dire. Encore faut-il qu’ils retrouvent la fierté de s’affirmer, et de ne pas céder sur l’essentiel: tout n’est pas égal à tout. Tel est le message des pasteurs Eric Fuchs et Pierre Glardon, dans un formidable livre de combat*.

Savez-vous ce qu’est l’acédie ? Cette disposition se caractérise par la paresse spirituelle, le renoncement à un minimum d’ascèse, le refus de l’effort inscrit dans la durée, le consentement irréfléchi à l’activisme, l’éternel désir d’un ailleurs. L’acédie, c’est un mal qui ronge clairement l’Eglise réformée.
Comme celle-ci serait utile, pourtant, en ces temps d’acédie généralisée, pour apporter aux femmes et aux hommes de ce temps les réponses spirituelles qui leur font tant défaut – à leur insu souvent, d’ailleurs !
Le constat posé par les pasteurs et professeurs Eric Fuchs et Pierre Glardon, dans leur livre est impitoyable. Impitoyable, mais hélas juste. Voici quelques jalons posés par les deux auteurs.
L’Eglise réformée se demande désespérément pourquoi son message paraît de plus en plus récusé, pourquoi elle peine à ce point à séduire et à rassembler, pourquoi tant de fidèles ont déserté. Mais elle cherche les réponses ailleurs que là où il le faudrait, de peur peut-être de devoir se poser les vraies questions; bref, elle tourne autour du pot, et cherche des solutions auprès de spécialistes de la gestion RH ou de la communication, de juristes, de sondeurs d’opinion. Et les auteurs d’ironiser: «Puisqu’une église est un fournisseur de prestations, que peut-on faire pour améliorer le produit et, si l’on ose dire, sa «commercialisation»? Cette approche ne peut apporter aucune solution durable et sera, quoi que l’on pense, vouée à l’échec tant que l’on ne prendra pas la peine de s’interroger spirituellement.»

Le déni et le deuil

Pour Fuchs et Glardon, nos Eglises souffrent non seulement d’acédie, mais encore de déni et de deuil. Qu’entendent-ils par là? Le déni, c’est le refus de se confronter à une réalité pénible: «Nous pensons que (…) nos Eglises sont dans le déni lorsqu’elles refusent de prendre acte de la pauvreté, voire de l’insuffisance, d’un certain nombre de leurs prestations, dans les domaines prédicatifs, catéchétiques, formatifs, liturgiques, etc…»
C’est que les communautés et les pasteurs se dispersent et s’égarent dans des «activités» innombrables, jonglent avec l’agenda, délaissent la prière pour les plannings et les rapports… Surchargés et dépassés par la tâche, ils n’ont plus le temps de se nourrir spirituellement, de se remettre en question et d’évoluer.
Le deuil dont parlent les auteurs, et auquel sont confrontés les Protestants, c’est celui d’un passé réformé structuré, dont l’influence s’est aujourd’hui effondrée; c’est aussi le deuil d’une certaine crédibilité, qui débouche parfois sur une mésestime de soi; c’est enfin la perte d’une vie communautaire engageante, face à un avenir incertain.

 A quoi sert une théologie post-libérale et agnostique ?

Les pasteurs Fuchs et Glardon sont particulièrement sévères à l’égard de la décision du professeur Pierre Gisel de couper la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne de ses racines chrétiennes – en quoi on est libre de voir une authentique trahison des clercs. En effet, depuis 2010, elle «n’est plus une Faculté organisée en fonction du christianisme». C’est une énormité, mais qui ne suscita guère de réactions dans la société vaudoise et au ministère des cultes – un accès d’acédie, sans doute… Analysant la démarche du doyen Gisel, le pasteur Shafique Keshafjee (cité par les auteurs), remarquait que la théologie de Gisel, «à la suite de Platon, est devenue philosophique et ne se veut plus chrétienne.» Or, une telle démarche ne peut que générer une perte d’identité, analysait-il: Si une théologie post-libérale et agnostique devait «sans autre être reproduite dans une Eglise (…), la perte de l’identité chrétienne de cette Eglise n’en serait qu’accélérée.»
Une des conséquences de la «déchristianisation» de la Faculté de théologie est une formation insuffisante des pasteurs, dont les diplômes pourraient n’être plus reconnus dans d’autres cantons. Et là, Fuchs et Glardon tirent le signal d’alarme, surtout lorsque une faculté accueille des gens qui visent à détruire l’institution: «Face à ce que nous considérons comme des dérives par rapport à la foi et à la théologie réformée, nous réagissons comme Luther, invoquons la clause de conscience: «Non possumus».Dans ce sens, si la Faculté – ou tel enseignant de la faculté – n’est plus en état d’apporter ni aide, ni exemple, ni lumières à un ministre en ces domaines, l’Eglise se doit d’autant plus de prendre le relais que la formation professionnelle de douze mois qu’elle dispense ne pèse pas lourd face aux cinq à six années passés sur les bancs de l’Académie.»

Oser s’affirmer, car tout n’est pas égal à tout

Pour Fuchs et Glardon, l’avenir des Réformés est dans un retour aux sources, aux valeurs spirituelles, à l’Evangile, et à l’affirmation de soi. «Après des années de silence et de tolérance molle, le temps est venu pour les réformés de s’interroger sur ce qu’ils défendent et ce dont ils se distancent désormais, sur les conférenciers qu’ils invitent, et sur ceux au services desquels il n’est plus nécessairement pertinent de recourir régulièrement pour contribuer à l’édification du peuple de l’Eglise. Sur les fondements qu’ils entendent se donner et ceux qu’ils récusent désormais. Le postmodernisme implique aussi – soyons cohérents – dans un monde à ce point multiculturel et multireligieux, la volonté, le droit et la capacité de s’affirmer face à d’autres, voire les contester si besoin est.»
Ce besoin d’affirmation de soi, qui n’est jamais que la manifestation courageuse d’une Foi, doit aussi se traduire dans les rapports à l’Autre, et aux autres religions. Les pasteurs Fuchs et Glardon osent le dire, et on les en remercie: «Le christianisme réformé de demain, s’il veut perdurer, ne peut ainsi que redevenir plus apologétique et plus polémique qu’il ne l’est aujourd’hui. Il est des compréhensions de la théologie, du pluralisme, du multitudinisme, de la déontologie et de l’éthique, voire de l’oeucuménisme, et du dialogue interreligieux auxquels il convient désormais de s’opposer en toute charité: tout n’est pas égal à tout.»
Les réformés, porteurs d’un message «spécifique et irremplaçable», selon André Gounelle, doivent absolument «retrouver une réelle fierté à le communiquer dans un monde en totale perte de repères. Ils peuvent parfaitement le faire, non de manière déguisée (en évoquant des «valeurs chrétiennes à portée universelle»), mais bien comme disciples de Jésus de Nazareth (reconnu comme Christ), et comme membres d’Eglises qui se savent responsables de partager – à temps et parfois à contretemps – une Parole interpellante de remise en cause et de libération face à toutes les idoles et à tous les asservissements du temps. Paroles débouchant immanquablement sur une éthique.»

Une immense soif de repères

Cette affirmation d’un «message spécifique et irremplaçable» est fondamentale en effet, puisque, comme le soulignent les pasteurs Fuchs et Glardon, notre société souffre d’une dramatique pertes de repères. Nous sommes dans une société «hyperpermissive, dont les modèles structurants (véhiculés par la télévision, les affiches et les magazines) ne sont plus de patriarches bibliques, des héros grecs ou des saint(e)s, mais des people, des traders, des actrices et acteurs de cinéma, des animateurs TV, des footballeurs, idoles d’un moment.»
L’absence de repères n’est pas une libération, car l’individu sans repères et sans valeurs est mûr pour toutes les manipulations. Beaucoup de nos contemporains souffrent profondément de cette perte de repères, preuve en soi l’engouement dont jouissent les mouvements évangéliques, qui précisément proposent des repères – ou le choix du Général Guisan comme Romand du XXe siècle.
C’est à cette soif de sens et de valeurs que les Eglises réformées doivent répondre. Certes, elles se préoccupent beaucoup de la faim dans le monde, et multiplient les oeuvres caritatives; mais la faim de spiritualité de nos concitoyens est au moins aussi dramatique que la pénurie alimentaire en Afrique, et demande des réponses fortes, qui hélas ne viennent pas.

* Editions Ouverture, 2011.

Prochain article: Mariage, homosexualité… L’Eglise a-t-elle trop concédé ?

6 commentaires

  1. Posté par Antonio Giovanni le

    L’acédie est un péché aussi grave que l’orgueil, c’est le péché, le seul ou presque, de ceux qui ne connaissent pas la parole de l’Évangile et qui ne font rien pour s’en rapprocher et le connaître; c’est donc le péché par excellence des païens, des agnostiques, des athées et autres libres penseurs; le Concile de trente l’a défini pour qu’ils aient tout de même quelque chose à confesser au Jugement dernier, malgré une vie qui aurait été sans tache et sans défaillances.
    Les Réformé m’étonnent d’une part par leur silence, d’autre part par leur éclats de voix; leur silence à l’égard des enseignements et contenus e la doctrine catholique renouvelés par Benoît XVI ( avortement, mariage gay, pilule contraceptive) et leur éclats quand ce pape comme ses devanciers rappelle les fondements de l’ordre chrétien du point de vue catholique; car de deux choses l’une ou les réformés ne se sentent pas concernés par les encycliques et les mandements catholiques et ils laissent le pape tranquille,ou ils montent aux barricades ce qui signifie que ce qu’il dit les concerne aussi et dans ce cas il convient qu’ils prennent clairement théologiquement position face aux énoncés de la foi catholique; or, rien de cela ne m’est jamais parvenu aux oreilles et j’attends ce jour où l’Eglise réformée parlera de ces problèmes de société que sont : avortement, mariage gay, pilule contraceptive. Un grand pas sera fait dans la bonne direction..

  2. Posté par Philippe Vuillemin le

    J’ai grandi et reçu mon éducation protestante en Normandie dans les années soixante.Vrais protestants plus que disséminés, nous pouvions compter sur quelques pasteurs à la fois ouverts au monde ( l’un d’eux avait été aumônier aux Dardanelles) et fermes sur la doctrine, car en pays catholique où le curé de Courseulles sur Mer avait enterré un protestant en dehors du cimetière,il fallait se serrer les coudes tout en ne perdant pas de vue notre statut d’ultra minoritaire.Cela me changeait de mes trois premières années de cathéchisme à Corsier. Revenant à Lausanne quelque 7 ans plus tard, je me réjouissais de revenir sur une terre à forte tradition protestante. Las! Très vite la paresse intellectuelle de « prédicateurs » entretenus par l’Etat, doublant les services sociaux, et incapables de dire le protestantisme, m’est apparue comme insupportable.Je me suis alors imaginé que séparer l’Eglise de l’Etat serait une source de renouveau malgré l’inévitable précarité que cela présupposait; mais en Normandie j’en avais vu d’autres. Avec témérité,j ‘ai proposé au Grand Conseil de réaliser cette séparation au début des années nonantes. Quel tollé. A plusieurs reprises je me suis offusqué du désert religieux dans lequel sont plongés nos aînés en EMS, malgré les dénégations des Eglises et malgré les efforts de quelques uns : il y a d’autres priorités que de dire l’espoir à ceux qui terminent leur vie ici bas semblait-il
    Je viens de recevoir le questionnaire des Eglises protestantes adressés aux candidats aux élections : j’ai répondu que l’on avait besoin de prédicateurs qui nous disent la doctrine et l’espoir dans le respect des autres religions sans jamais renier la nôtre. Mais j’ai aussi dit qu’il me semblait que quelques pasteurs l’avait bien compris et qu’un timide renouveau apparaissait. Il y a heureusement quelques rares endroits où le pasteur ou la pasteure dit la lithurgie protestante dans sa simplicité, avec courage et ouverture, sans renier les racines. Espérons, entre autres, dans le sens de votre article, et avec cette question: les Eglises en général et les Eglises protestantes en particuliers doivent-elles toujours être encore, peu ou prou, des Eglises d’Etat ?

  3. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Relever la tête? Avec fierté. L’assurance d’être les meilleurs? Et église réformée, de quoi? Des indulgences dénoncées par Luther, lequel prônait la noyade des trisomiques? Le salut en Jésus-Christ n’est-il pas une indulgence, accordée à bon compte? Certes au prix de la repentance. Mais repentance de quoi au juste? Détournement de fonds, pratiques solitaires, regard concupiscent sur la femme du prochain? Ou alors de ne pas croire en Jésus. Relever la tête? Est-ce ce qu’il faut faire? Une option est offerte! Répondre au enfants qui demandent avec quelle femme Cain et Seth ont eu des enfants! Quitte à dire: « je ne sais pas, mais je cherche! » Et j’en ai des tonnes de cet accabit! Tenez, un autre question: souvenez-vous de l’histoire de Gédéon! Rien qu’elle offre de quoi tenir en haleine dans les tavernes. Dieu garde les hommes qui lapent l’eau comme des chiens pour sauver Israël! Et essayez de mettre un torche dans une cruche sans qu’elle s’éteigne! Cette histoire est passionnante. De plus elle a inspiré un psychiatre, Von Orelli, pour parler de l’investissement narcissique des pères sur les fils. Alors, relever la tête, ou casser la cruche? Ou devenir savoureux, mangeables. Imaginez-vous, peut-être, que Dieu fit venir les animaux dans l’arche de Noé à coups de fouet? À coup de valeurs? Ou de confiture et de miel?
    Mais, citant Noé, voici que je vois un rapport entre l’un de ses fils et la Presse! Fille de Cham! Vous ne pigez pas? C’est sans intérêt?

  4. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Relisant l’article je souligne: « quête de sens »! Un sens redonnant vie à nos valeurs? Des valeurs qui autoriseraient, je suis fondé de le croire, un jugement péremptoire à l’égard du maître de la vigne! Celui qui accorde le même salaire aux derniers venus. Que dire du sens de la parabole des talents? Qui consolera ceux auxquels elle a donné mauvaise conscience? Marie Balmary assurément! Dans son livre « Abel ou la traversée de l’Eden ». À moins que ce soit dans « Le sacrifice interdit »! Je vous invite à lire ces livres! Jubilatoires.

  5. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Quelque chose me chifonne dans cet article. Mais les mots me manquent. Quelque chose d’humain. Qui évoque un parti politique. Qu’entend on par « spiritualité »? Suis-je spirituel quand, dans un bistrot ou je mange, je paraphrase la Genèse pour la serveuse? Qui se met a rire, et me donne raison! Qu’ai-je dit? « Le jour ou tu en mangera sans gratitude tu mourras. Je puis dire aussi, sans conscience des processus mystérieux qui conduisent ces aliments dans ton assiette! Et de tous ceux qui en sont les agents! Et encore, dans les facultés de théologien apprend on à redevenir comme des enfants? Ne serait-ce que pour voir le royaume! N’y apprend on l’hebreu que pour être supérieur? Et ne pas voir des trahisons dans les traductions! Exemple, Exode 3:14! Segond 1979: je suis celui qui suis. Bible courant pour iPhone: je suis qui je suis. La version du monde nouveau, la plus honnête: Je me révélerai ce que je me révèlerai être. Un professeur d’hébreu: je serai qui je serai. Quelle différence? me direz-vous! Je viens d’en parler à un dépanneur d’appareils électroménagers. Ce faisant j’ai ouvert un oreille, et des vannes. Mais ce sera tout.

  6. Posté par Clara Brisson le

    Pour que votre site soit fréquenté et LU, peut-être conviendrait-il que vos textes apparussent clairement sur un écran rétro-éclairé d’un ordinateur. Actuellement, vos pattes de mouche sont vraiment illisibles. Ecrivez NOIR sur BLANC et ne vous laissez pas faire par les infographistes et autres informaticiens qui ne connaisent rien à l’art de Gutenberg. Ecrivez en colonnes justifiées. Vos beaux esprits n’auraient-ils pas d’yeux 🙂 Je vous donne 48 heures pour remédier à votre médiocre présentation des textes. Sinon ? Je zappe et je ne serai pas le seul. Au boulot 🙂

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