Présidentielles françaises, 1er tour: stabilité et…

Yvan Blot
Yvan Blot
Inspecteur général, Ministère de l'Intérieur. Auteur: "La démocratie directe:une chance pour la France", 2012
post_thumb_default

La question de fond: pourquoi l’électorat est-il si stable ? C’est la question la plus intéressante du point de vue de la science politique…

La gauche représentée par les candidats Hollande, Mélenchon, Joly, Poutou et Arthaud  atteint au total 43,50% des voix. Elle n’est pas majoritaire et ne l’était pas non plus il y a dix ou vingt ans. C’est la rupture entre le Front National et la droite modérée qui donne ses chances à la gauche comme l’ancien président socialiste François Mitterrand l’avait bien vu et instrumentalisé en son temps (voir mon livre « Mitterrand, Le Pen, le Piège » paru en 2007.)

Le parti socialiste fait toujours autour de 30%  et l’extrême gauche entre 11 et 15%  des voix.
Mélenchon, Poutou et Arthaud totalisent 12,79%  ce qui n’est pas une surprise. Certes, les Verts ont fait un mauvais score (2,26%) surtout au profit de Hollande.

A droite, c’est, on pourrait dire le retour à la normale. Les centristes sont autour de 10%. Sarkozy avait réussi lors des dernières présidentielles à capturer la moitié des voix du Front National mais celui-ci a retrouvé ses voix de 2002. Sarkozy a été sanctionné pour avoir déçu cet électorat qui est revenu à son niveau habituel.

Le Front National est stable

Par rapport à 2002, Marine Le Pen, avec 18,27%  des voix, est en retrait de 0,93%  par rapport au total des voix Le Pen plus Mégret qui était de 19,20%. Si l’on ne compte pas les voix de Mégret, ce qui est une erreur car son électorat est le même que celui du FN, Marine Le Pen ne gagne que 1, 41%  des voix sur le score de son père en 2002 (16,86%). Marine Le Pen a su sauver l’héritage mais n’a pas su faire progresser son parti qui en reste au même point qu’il y a dix ans.

La permanence des mauvais reports à droite: un problème «affectif»

L’exemple de Mélenchon ou d’Eva Joly appelant le soir des élections leurs électeurs à voter contre Sarkozy montre l’excellente discipline solidaire de la gauche même sans la moindre négociation.

A droite, comme depuis la victoire de François Mitterrand en 1981, les mauvais reports favorisent la victoire de la gauche. Il faut dire que la droite est affectivement très divisée et ce n’est pas un problème intellectuel mais affectif, donc beaucoup plus grave. L’UMP, le parti de Sarkozy compte des gens proches de la sensibilité populiste du Front National, comme les députés de la «droite populaire» mais il en compte d’autres plutôt d’une sensibilité proche des oligarques de centre gauche, comme le conseiller du président Henri Guaino ou madame Kosciusko-Morizet voire même Alain Juppé. Ces oligarques ne peuvent s’empêcher de faire sentir leur morgue et leur mépris, voire pour certains leur haine, à l’égard des électeurs «populistes», notamment du FN. Ces derniers, humiliés, sont donc hostiles en retour.

La cassure entre le peuple et l’oligarchie passe au milieu de la droite, et il n’y a pas de phénomène aussi fort à gauche même si cette cassure existe aussi (quoi de commun entre l’oligarque Laurent Fabius et le populiste Mélenchon?)

Avec les sondages sur les reports des voix, il semble qu’Hollande devrait gagner le deuxième tour. En effet, avec un stock de 43,50% des voix clairement de gauche, Hollande peut espérer avoir 3% de voix parmi les électeurs du centriste Bayrou (soit un tiers) et 3,6%  de voix venant de l’électorat de Marine Le Pen, ce qui fait un total de 50-10%. Certes, la marge est faible.

Le discours actuel du président Sarkozy, qui consiste à dire que les électeurs du Front National sont des électeurs qui souffrent n’est pas faux mais semble insuffisant pour créer une réconciliation tellement ces électeurs se sentent considérés comme des Français de deuxième classe. Suspectés souvent à tort de racisme, ces électeurs supportent mal la condescendance des élites politiques qui forment la majorité de l’entourage du président Sarkozy malgré la présence d’hommes de tact et de bons sens comme le conseiller catholique de droite Patrick Buisson ou le ministre de l’intérieur Claude Guéant.

Le pronostic du 2ème  tour reste donc favorable à Hollande, même si le score peut être serré.

La question de fond: pourquoi l’électorat est-il si stable?

C’est la question la plus intéressante du point de vue de la science politique. En effet, la société française connaît de nombreuses mutations. Les jeunes électeurs votent de plus en plus pour le Front National (nationaliste) ou le Front de Gauche (marxiste). Cela traduit les inquiétudes des jeunes électeurs tant sur des sujets comme l’immigration ou l’insécurité que sur l’économie ou le chômage. Cela dit, cette montée des jeunes (limitée par la crise démographique) semble être compensée par une grande fidélité des électeurs plus âgés vers les partis traditionnels, l’UMP, les centristes et le parti socialiste. C’est ce qui expliquerait la stabilité actuelle mais qui ne durera pas toujours si l’économie venait à s’effondrer.

Enfin, si l’on cesse de voir les appartenances partisanes, on constate une méfiance générale croissante envers l’oligarchie politique française, très liée aux Etats-Unis et à leurs modes idéologiques : 38%  des citoyens seulement disent avoir confiance dans les députés, et le chiffre est le même pour les syndicats. Mais 18% seulement ont confiance dans les partis politiques. (source : CNRS ; Bréchon et Tchernia). Sur des sujets ponctuels comme l’immigration ou l’insécurité, les citoyens sont nettement plus radicaux (vers la droite) que les élites politiques. Ils souhaitent aussi pouvoir être consultés par référendums (il y en a de moins en moins depuis le départ de de Gaulle). Il manque pour l’instant en France un grand parti qui soit à la fois libéral en économie, favorable aux référendums populaires, patriote sur le plan national et conservateur sur le plan des valeurs morales et chrétiennes. Bref, personne n’a en France une ligne comme celle du président Poutine en Russie. Le dernier fut de Gaulle. C’est un grand inconvénient. L’émergence d’une telle force soit par la réforme des partis existants soit par l’apparition de nouvelles organisations est un sujet essentiel pour moderniser la vie de la démocratie française. Car il y a des urgences : il faut notamment redresser l’économie et les finances de la France, juguler l’immigration de masse et l’insécurité, et redonner à la France sa souveraineté malmenée depuis le départ du général De Gaulle. Il y va de la confiance des Français dans leurs politiciens professionnels qui, ces dernières années, les ont beaucoup déçus.

5 commentaires

  1. Posté par Patrick Dupont le

     » je soutiens qu’il y a plus de points communs, de valeurs communes entre les oligarques de droite et ceux de gauche »

    vous enfoncez des portes ouvertes, mais vous n’allez pas jusqu’au bout !
    au vu des faits, des analyses des Résultats depuis plus de trente ans , il est évident qu’il n’y a aucune différence idéologique entre la « gauche » et la « droite ». Ces deux organisations politiques ont élaboré et mettent en oeuvre le même projet: construire un état européen supra national, financiariser l’économie, c’est la mondialisation sauvage, et construire à marche forcée une société multi ethnique, multi culturelle, multi confessionnelle. J’ajoute que nos utopistes veulent inclure dans le périmètre européen les pays du sud de la méditeranée. Précisons que, au rytme de l’immigration , nous aurons bientôt 30% de nos populations qui proviennent de ces rives sud.

    L’immigration invasion étant l’arme de destruction massive des Etats nations homogènes d’un point de vue ethnique.

    je vous invite à relire les excellents ouvrages de madame Bat Ye Or…………….

  2. Posté par Prisca Vuilloud le

    Le problème de nombreuses droites européennes réside dans une pratique extrême du libéralisme que l’on appelle communément de nos jours l’ultra-libéralisme. Ainsi, l’ultra-libéralisme qui est pratiqué comme une religion par les représentants de l’oligarchie mène désormais à une impasse car il contribue à faire voler en éclat la cohésion sociale dans de nombreux pays. L’ultra-libéralisme ne se soucie pas d’accorder par exemple une protection aux travailleurs nationaux vis à vis des travailleurs étrangers puisque ce courant s’inscrit dans une logique strictement comptable. L’ulta-libéralisme contribue par conséquent à l’avénement d’un néo-féodalisme où la majorité des travailleurs ne sont plus que des numéros qui demeurent à la merci du diktat exercé par les grandes multinationales. Or comme l’histoire a prouvé à de nombreuses reprises que le socialisme ne marche pas, le seul système économique efficace, juste et durable demeure le libéralisme. Le libéralisme représente en effet l’équivalent d’une économie de marché régulée à la marge par l’Etat (ce système a été pratiqué notamment dans certains pays européens jusqu’à l’avènement de la globalisation en 1990). Ce système permet de donner une place pleine et entière aux membres les plus faibles de la société et il permet ainsi de créer de la justice sociale. Par conséquent, dans le cas de la France, le salut de ce pays réside dans le rejet d’une économie étatique et dans l’acceptation d’une libéralisme modérément réglementé par l’Etat, c’est à dire un libéralisme dans lequel l’économie se met au service de l’homme et du citoyen (dans l’ultra-libéralisme, c’est au contraire l’homme qui est au service de l’économie). Et ici comme ailleurs, la régulation passe bien évidemment par un certain contrôle de l’accès au marché du travail national par les travailleurs étrangers…

  3. Posté par Bruno Bertez le

    J’apprecie l’analyse d’Yvan Blot à un point tel que je lui en veux d’avoir écrit cet article sur lequel moi meme je travaillais. La cassure entre le peuple et l’oligarchie est tellement évidente a droite, qu’elle fait peine à voir dans les émissions de télèvision.. Je vais plus loin que le constat de cette cassure et je parle de mépris. Il serait peu charitable et peut etre contreproductif de citer des noms, mais certains se trouvent dans l’énumération de M. Blot.
    S’agissant d’ unité ou de réduction des différences, il me semble que rester au niveau politique ou affectif ne suffit pas. Il faudrait que la droite soit capable de proposer une analyse, un diagnostic fondés sur autre chose que des pseudo évidences ringardes et éculées, et qu’a partir de cette présentation, elle puisse élaborer un projet qui , organiquement, offre aux Francais de droite une vision commune. Ce projet passe , par le social, l’économie , le politique, le culturel , mais aussi dans les circonstances présentes et plus que jamais par l’économique et le géopolitique. Un projet commun ne peut se construire que dans une dynamique. La reduction des clivages, des animosités ne peuvent se faire que dans le cadre d’un processus d’intégration et non pas dans celui de la rècuperation thématique comme c’est le cas actuellement.
    C’est evidemment une de mes marottes mais je soutiens qu’il y a plus de points communs, de valeurs communes entre les oligarques de droite et ceux de gauche qu’il n’y en a entre la droite classique et la droite populaire. Surtout sous le double aspect de l’acceptation de la vassalisation et de la financiarisation.

  4. Posté par Hélène Richard-Favre le

    « Il manque pour l’instant en France un grand parti qui soit à la fois libéral en économie, favorable aux référendums populaires, patriote sur le plan national et conservateur sur le plan des valeurs morales et chrétiennes. Bref, personne n’a en France une ligne comme celle du président Poutine en Russie. Le dernier fut de Gaulle. C’est un grand inconvénient. L’émergence d’une telle force soit par la réforme des partis existants soit par l’apparition de nouvelles organisations est un sujet essentiel pour moderniser la vie de la démocratie française. », écrivez-vous.

    Dominique de Villepin avait un projet qui allait dans ce sens.Il a été très peu et très mal médiatisé.
    J’ai suivi Dominique de Villepin depuis des années. Certes, le soutien à sa candidature et sa candidature elle-même ont été âprement discutés et controversés. Je m’en suis expliquée ici: http://billets.blog.tdg.ch/archive/2011/12/15/3113151316537972137e193b1a9d197b.html

    Quant à Thierry Desjardins, il avait consacré un très beau blog à l’ex-candidat Villepin : http://www.thierry-desjardins.fr/2011/12/et-pourquoi-pas-villepin-2/

  5. Posté par Marie-France Oberson le

    « Par rapport à 2002, Marine Le Pen, avec 18,27% des voix, est en retrait de 0,93% par rapport au total des voix Le Pen plus Mégret qui était de 19, 20%. Marine Le Pen a su sauver l’héritage mais n’a pas su faire progresser son parti qui en reste au même point qu’il y a dix ans. »
    Vous êtes bien le seul à avoir une telle vision des choses. Il ne faut pas parler en pourcentage mais en nombre de voix exprimées!
    Dans cette présidentielle un très grand nombre d’électeurs s’est exprimé, contrairement à 2002.
    Ainsi en 2002 , environ 4’800’000 Français avaient donné leurs voix à JMLP, alors que cette année ce sont environ 6’400’000 qui ont apporté leurs voix à sa fille , soit plus 1’600’000…une paille ?
    Toute la classe politique et médiatique parle de la montée incontestable du FN… et s’en inquiète. Si votre analyse était juste,pourquoi une telle inquiétude?

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.