Nordmann et Cherix ou la tentation autoritaire

Philippe Barraud
Philippe Barraud
Journaliste indépendant, essayiste et écrivain
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MM. Roger Nordmann et François Cherix, socialistes capricants, ont mis leurs forces en commun pour écrire un livre de trente-quatre pages et demi, en gros caractères, publié par les Editions Favre, sous le titre: “La Suisse ou la peur”. Ils l’ont fait traduire en allemand, pour que nos Confédérés ne soient pas injustement privés du fruit de leur pensée.

MM. Roger Nordmann et François Cherix, socialistes capricants, ont mis leurs forces en commun pour écrire un livre de trente-quatre pages et demi, en gros caractères, publié par les Editions Favre, sous le titre: “La Suisse ou la peur”. Ils l’ont fait traduire en allemand, pour que nos Confédérés ne soient pas injustement privés du fruit de leur pensée.
Leur prose a séduit les médias – c’était le but, on y reviendra – mais dans des proportions qui laissent songeur. L’Hebdo, par exemple, leur a consacré un boulevard dont le lignage devait être du double ou du triple de celui du livre ! 24 Heures a aussi publié un gros article, et tout comme L’Hebdo, sans approche critique, juste la pommade. Et de grandes photos. Ah! Les photos ! MM. Normann et Cherix se sont fait photographier à Berne, dans des poses à la James Bond, tenant leur opuscule à la manière d’une arme à feu. Il semble que le profond ridicule de cette mise en scène leur ait échappé…

Entre Champignac et Achille Talon

Mais venons-en au fond car, pour faire mentir l’odieuse calomnie selon laquelle les journalistes ne lisent pas les livres dont ils parlent, nous avons lu ce maigre poulet (au sens littéraire du terme), dans l’espoir d’y trouver matière à quelque féconde indignation. Hélas ! Ce n’est qu’une avalanche de lieux-communs, de postures politiquement correctes, de bavardage à la fois creux et grandiloquent, quelque part entre le maire de Champignac et Achille Talon – en moins rigolo. Voulez-vous des exemples ? Voici une phrase tirée de la partie rédigée par M. Cherix, qui s’adresse à nos compatriotes alémaniques: «Je vous propose d’élire une Assemblée constituante, qui discutera librement des institutions et soumettra aux citoyens des propositions globales et cohérentes. Marquer un temps d’arrêt dans le vie de la Confédération, analyser ses défauts, imaginer des solutions, voilà le défi nécessaire et passionnant. Ensemble, toutes cultures et visions réunies, nous pouvons aider la Suisse à franchir un nouveau seuil qualitatif.» Écrasons une larme…
Si M. Cherix se sent investi d’une mission sacrée, à la manière du Major Davel entendant des voix, Roger Nordmann révèle un peu davantage des intentions profondes de son projet. D’abord, l’Assemblée constituante que les deux auteurs proposent apparaît comme une machine de guerre supposée mettre en échec l’initiative de l’UDC en faveur de l’élection du Conseil fédéral par le peuple (que d’éminents socialistes soutiennent par ailleurs, tels Pierre-Yves Maillard).

Le fédéralisme, bon à jeter

Mais il y a plus grave: malgré de prudentes circonlocutions, M. Nordmann s’engage en faveur d’une diminution radicale des pouvoirs des cantons, jugés exorbitants au point de museler le Conseil fédéral. Qui sait si, dans un deuxième temps, il ne s’agira pas de supprimer purement et simplement les cantons, structures jugées archaïques qui empêchent l’établissement d’un pouvoir fédéral fort. Rien de neuf à gauche au reste: il y a 25 ans déjà, Mme Yvette Jaggi qualifiait les cantons d’encoubles. Car un Conseil fédéral fort pourrait enfin prendre, faut-il le dire, des décisions claires, ce qu’on peut traduire, à notre sens, par autoritaires.
En effet, Roger Nordmann rêve d’un Conseil fédéral aux pouvoirs étendus qui, comme dans un régime présidentiel, serait capable de «comprendre les besoins, conduire les changements, défendre l’intérêt général et anticiper les défis à venir. (…) La Suisse a urgemment besoin d’un gouvernement capable de donner des orientations.»
Cet appel à un pouvoir central fort, qui suivrait l’éradication du fédéralisme, se double d’une tendance plus sournoise, si sournoise que nos auteurs ne l’abordent pas de front: c’est le démantèlement des droits populaires. Car pour MM. Nordmann et Cherix, la démocratie directe est comme le fédéralisme: une institution qui a rendu des services, mais qui est devenue obsolète, car elle empêche le Conseil fédéral de gouverner seul et de «conduire les changements.»

La démocratie directe en danger

Une phrase de M. Cherix a de quoi inquiéter à cet égard: «La facilité avec laquelle il est possible de convoquer le peuple pour lui soumettre n’importe quelle modification de la Constitution, même dangereuse pour la dignité humaine, n’est plus adaptée au 21e siècle; (…) le droit d’initiative est en train de devenir une farce inquiétante. Nous savons bien vous et moi qu’il ne suffit pas qu’une décision soit prise à la majorité pour qu’elle soit légitime; encore faut-il qu’elle ne détruise pas les principes et le cadre qu’elle prétend servir.» Est-ce assez clair? Demain, c’est du parti socialiste que viendront les attaques contre la démocratie directe.
Résumons: nos auteurs veulent un Conseil fédéral fort, débarrassé de toute encouble – les cantons, le peuple, voire le parlement. Pour faire quoi? Anticiper et «relever les défis», comme disent les politiciens fatigués ? En réalité, il s’agit de donner les mains libres au Conseil fédéral pour nous pousser dans l’Union européenne, sans possibilité de résistances cantonales ou populaires. C’est dans ce but que ces deux messieurs se répandent dans la presse, pour petit à petit convaincre le peuple que la Suisse se trouve dans une impasse institutionnelle.

Dire non aux incendiaires

Actifs tous deux dans ce qu’on appelle la com, ils savent très bien que les médias, qui sont du même bord qu’eux, sont beaucoup plus vulnérables au discours anti-suisse que le peuple, qui a davantage de jugeotte. C’est pourquoi ils ont ciblé – avec succès – les grands médias, sachant d’avance qu’il suffit de se montrer critique envers les institutions suisses, et de parler d’Europe, pour qu’un magazine comme L’Hebdo vous offre dix pages de promotion; avec, si tout va bien, l’appui d’un édito du rédacteur en chef – voire, adoubement suprême, un édito de Jacques Pilet !
Leur espoir est qu’à force d’entendre parler d’ impasse institutionnelle, les Suisses finissent par croire que c’est vrai, et qu’ils se prêtent alors au démantèlement de leurs propres droits démocratiques, courbent l’échine et passent sous les fourches caudines de l’Union européenne, qui nous fera payer cher notre fierté passée car, selon Roger Nordmann, la Suisse se conçoit «en opposition à l’Europe et au reste du monde, dans une névrose oscillant entre la paranoïa et un complexe de supériorité trahissant davantage d’angoisse que de confiance. La xénophobie, le nationalisme, l’autocélébration sont devenus le langage commun, comme si la Suisse pouvait être une île de bonheur et de prospérité au milieu d’un océan d’échecs et de médiocrité.»
Il n’y a qu’une seule réponse à donner à MM. Nordmann et Cherix, qui manifestement n’aiment pas la Suisse telle qu’elle est, et telle que la veulent la majorité des Suisses: oui, la Suisse est une île de bonheur et de prospérité au milieu d’un océan d’échecs et de médiocrité, il suffit de regarder autour de nous. Et elle le restera tant qu’une majorité se lèvera pour dire non aux incendiaires.

7 commentaires

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Candidus, pour ne pas nommer JAW (toute ressemblance avec les dents de l’amer seraient purement fortuites) a proposé, sur le site des dissidentsdegenève.ch , le livre de Normant Baillargeon: « petit cours d’autodéfense intellectuelle ». J’en ai commencé la lecture cet après-midi! Parvenu à la page 46 seulement je puis déjà affirmer qu’il corrobore les propos de Monsieur Barraud! Je dis à Monsieur Stadelman qu’il est très difficile de résister à l’énoncé du bien. Lequel se présente toujours sous des aspects séducteurs. En ce qui concerne la vérité, il me semble bon de préciser que les propos démontant les mécanismes d’une parole qui se prétend telle (affirmée comme recette pour les lendemains qui chantent), ne peuvent se comparer à l’énoncé du dogme qu’ils mettent en question! Je vous parlerai de mon regard sur l’Europe un autre jour.

  2. Posté par Philippe Blondin le

    Bien sûr, selon ces deux lascars c’est la Suisse qui ne marche pas et l’Europe à prendre comme exemple. Faudrait peut-être sortir un peu de votre patelin ou bien?

  3. Posté par Francis Stadelmann le

    A vous lire Monsieur Barraud , j’ai l’impression que vous détenez la vérité.Que ce qu’on écrit ces deux Messieurs, les propositions qu’ils formulent ,sont tout juste bonnes à mettre à la poubelle.
    Mais alors,j’y comprend plus rien,que ce qu’a écrit Monsieur Windish concernant le politiquement correct n’a pas de sens.Je le cite: « NUL NE DETIENT LA VERITE, LA VERITE ABSOLUE,SURTOUT EN MATIERE D’ANALYSE DES PROBLEMES BRULANTS ET CONTROVERSES DE NOS SOCIETES »
    Je pense qu’avant d’écrire n’importe quoi, vous devriez accorder vos violons. Si vous voulez donner des leçons,il faut commencer par les apprendre vous-même.

  4. Posté par Thomas Gerber le

    « Anticiper et «relever les défis» » ?
    Le gauscisme n’a cessé de prouver son incapacité à l’anticipation :
    – Union Européen ? « Courez-y ! »
    – Ada Marra au lendemain du printemps arabe riait au nez d’Yvan Perrin qui proposait simplement de « tout mettre en œuvre pour se préparer à recevoir un nombre croissants de demandeurs d’asiles ».
    Le plus accablant dans cette histoire, c’est que jamais un journaliste n’ira demander des explications aux europhiles quand l’Europe économique coule ni à Ada Marra quand les chiffres révèlent que les demandes d’asile ont augmenté de 45% depuis l’année passée et qu’il faut désormais ouvrir des abris PC et transformer des parties d’hôpitaux en centres d’accueil improvisés.
    Définitivement, la gauche n’a pas la faculté d’anticipation.

  5. Posté par Antoine Chollet le

    Il y a aussi des gens de gauche que le torchon de Nordmann et Chérix a profondément insupportés. Voir le n° 106 de Pages de gauche, dans lequel je souligne les mêmes penchants autoritaires de nos deux folliculaires de service!

  6. Posté par Inma Abbet le

    Il me semble avoir déjà lu cet article sur le site commentaires.ch il y a quelque temps. Cela ne le rend pas moins intéressant, mais permet en revanche d’observer comment certains mots d’ordre vieillissent de façon, disons, accélérée : avec les crises récurrentes au sein de l’UE, les avantages de la Suisse deviennent de plus en plus appréciables et l’on voit de façon claire à quel point les idées « d’impasse institutionnelle » ou « d’isolement » relèvent du pur fantasme. Félicitations pour ce nouveau site!

  7. Posté par Gilbert Gremaud le

    Je n’ai pas le temps d’écrire un commentaire sur votre article. Il me faudrait le reprendre et l’étudier à fond pour pouvoir le faire. Je dois vous dire que je suis très heureux que des journalistes de droite s’engagent et nous fournissent ce genre de textes. Comme beaucoup de nos concitoyens, je deviens allergique à tous ces prétentieux de gauche qui prétendent détenir la vérité. Bravo et merci.

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