L’européisme, fauteur de tensions entre nations.

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

La chronique de Jacques Pilet, parue dans L’Hebdo du 26 juillet 2012, est consacrée
aux « démons » qui « s’agitent à l’Est ».

A quoi fait-il allusion ? Au conflit institutionnel qui oppose le premier ministre et le président roumains, au pouvoir bulgare placé (selon lui) entre des mains douteuses, aux pleins pouvoirs du ministre-président hongrois, à l’élection d’un président serbe nationaliste et à la récente émergence d’un parti néo-nazi grec.

Comme on le voit, Jacques Pilet est un champion-toutes catégories de l’amalgame. Qu’y a-t-il de commun entre tous ces « démons » ? Pilet seul le sait.

Aussi, avant d’arriver à sa conclusion, le suspense du lecteur est-il à son comble. Il se demande à quoi tous ces approchements incongrus sont censés conduire et, là, le résultat tombe in fine comme un cheveu sur la soupe: « Face aux menées anti-démocratiques, le seul barrage possible, aussi insuffisant soit-il, c’est la construction communautaire qui pose le principe du droit. Martelé sans relâche ».

A l’évidence Pilet n’a pas lu le dernier livre du président tchèque Vaclav Klaus, qu’il est difficile de qualifier d’ennemi de la démocratie. Sinon, Pilet n’aurait pas terminé sa chronique par une telle affirmation péremptoire et n’aurait pas confondu, par idéologie européiste, l’effet avec la cause.

Sauver les démocraties en Europe est un recueil de discours et d’interventions, d’articles et de textes du président tchèque qui ont pour thèmes l’européisme, l’Europe et l’Union européenne, l’euro, et qui s’échelonnent de 2003 à 2011. Ce qui frappe en les lisant c’est la cohérence des propos et leur caractère prémonitoire pour ce qui concerne les plus anciens.

L’européisme, dont Pilet est un honorable correspondant, est une idéologie dont l’objectif, plus ou moins avoué, est de se débarrasser des Etats égaux et souverains, qui coopèrent entre eux, pour les remplacer par « une patrie artificiellement organisée pour tous les européens ».

L’Etat, égal aux autres Etats, et souverain, est pourtant « le garant de la démocratie » et « l’unité politique de base de l’ordre démocratique (à la différence des empires, des syndicats ou des unions de républiques diverses) ».

Les européistes, qui « ont réussi à se présenter eux-mêmes comme un progrès, tandis que tous les autres seraient le symbole du retour en arrière », veulent donc instaurer un système supranational qui n’a rien de démocratique et ne peut même pas l’être. Et l’élection d’un parlement européen n’y change rien, au contraire: « On ne peut pas appliquer une approche parlementaire au niveau international et un Etat ne peut pas imposer sa vision à un autre par un vote ». C’est pourquoi seul le vote à l’unanimité des Etats de l’UE est admissible.

Qu’un système supranational ne puisse pas être démocratique ne gêne pas le moins du monde les européistes, puisqu’ils se considèrent tous autant qu’ils sont, politiciens, fonctionnaires, intellectuels à la Pilet, comme des « choisis » (non élus), des prédestinés. Eux seuls savent ce qui est bon pour les peuples d’Europe. Contre leur gré, mais pour leur bien, ces derniers seront harmonisés, intégrés, homogénéisés, unifiés, réglementés.

L’Union européenne, qualifiée par les extrêmes d’ultralibérale, est en réalité un système de coercition sans égal et, par essence, antidémocratique et antilibéral. Les européistes ont « besoin d’intermédiaires, de collectifs et de groupes, avec lesquels ils peuvent négocier » et se passent fort bien de l’avis des peuples eux-mêmes, dont ils se soucient comme d’une guigne.

Le peu de cas que les européistes ont fait des référendums, votés en France et aux Pays-Bas, disant non au Traité de Constitution pour l’Europe et l’adoption parlementaire du Traité de Lisbonne en sont la preuve manifeste. Il ne fallait à aucun prix que les citoyens ordinaires puissent se prononcer sur un objet qui les dépasse…

L’autre conception européenne est «l’élimination de toutes les barrières amovibles, inutiles, improductives qui nuisent aux activités humaines aux frontières des pays» et, à peu de choses près, de s’en tenir là. Mais cela n’est pas de nature à satisfaire les européistes, qui veulent tout diriger – et organiser le bonheur – d’en haut.

L’autre conception est évidemment contraire aux privilèges que les européistes se sont arrogés sur le dos des citoyens des Etats de l’Union, avec lesquels ils gardent la plus grande distance possible et qu’ils dupent en noyant le poisson dans des processus toujours plus complexes.

Pour ces prédestinés, le marché est « une anarchie que l’Etat a pour fonction de corriger », alors que l’autre conception de l’Europe est justement pour leurs adeptes d’être « plus proches du citoyen et du marché » et de s’« éloigner de l’Etat et de la réglementation », autrement dit de défendre la liberté humaine et d’assurer la prospérité des hommes.

La conception choisie par les européistes, sur laquelle ils ont entraîné l’Europe, conduit à creuser toujours plus le déficit démocratique et à favoriser par là-même « l’augmentation permanente du vote extrême, en faveur des mouvements radicaux nationalistes et populistes » qu’observe Vaclav Klaus.

En effet les peuples se sentent trahis par leurs prétendues élites, qui font la sourde oreille quand ils récriminent. Sur ce point ils ont raison parce que les institutions supranationales, ou paneuropéennes, signifient moindre liberté, oppression nationale et subordination aux puissants.

Oser critiquer l’européisme disqualifie celui qui s’y livre. Il est interdit d’émettre le moindre doute sur la conception du meilleur des mondes européens qu’il sous-tend, sous peine de se voir taxer d’europessimisme, d’euroscepticisme, de nationalisme, voire d’« « arriérisme » réactionnaire incompréhensible ».

De même ne faut-il pas critiquer l’euro, qui « a toujours été considéré comme un instrument utile pour la création de l’Union politique européenne », dont les peuples ne veulent pourtant pas…

Selon Vaclav Klaus, les avantages de l’euro sont faibles – réduction des coûts de transaction et du risque de change – au regard des coûts élevés, tels que la perte pour les Etats de mener une politique monétaire indépendante et l’impossibilité pour eux d’agir sur les variations du taux de change.

De plus, souligne-t-il, la monnaie unique crée un environnement financier irresponsable et représente « un cheval de Troie d’une harmonisation globale des règles économiques, politiques et des lois dans l’UE ».

Dès 2003 il prédit: « Je suis convaincu que tout problème de la zone euro sera interprété comme une conséquence de l’absence d’harmonisation ».

Et ajoute: « Je m’attends à ce que le maintien de la monnaie unique européenne sera coûteux en termes de croissance économique et de transferts budgétaires inévitables visant à soutenir les partenaires les plus faibles. Il peut même générer des tensions inutiles entre les nations ».

Vaclav Klaus croit aujourd’hui au maintien de l’euro, au prix fort d’une faible croissance économique: « Il y a eu tellement de capital politique investi dans son existence et dans son rôle de « ciment » qui lie l’UE sur la voie de la supranationalité »…

Ce qui veut dire que les européistes se moquent des peuples. Leur objectif est d’instaurer un gouvernement central européen autoritaire à leur image. Se posant en défenseurs des droits de l’homme ils n’ont cure des droits civiques. Ils « imaginent le développement de la société humaine davantage comme un « human design » que comme un « human action ». Et, sous couvert d’économie sociale, ils asservissent: « La directive européenne « soziale Marktwirtschaf t» est une variante improductive de l’Etat-providence, du paternalisme d’Etat, d’une société des «loisirs», d’impôts élevés et d’une faible motivation au travail ».

A la toute fin de sa chronique Jacques Pilet pose une petite question qui se veut vacharde et qui n’est qu’inepte: « Qui, Ueli Maurer mis à part, peut penser que si l’Union européenne n’existait pas, la carte du continent serait plus rassurante ? »

Réponse: tous ceux – et ils sont nombreux – qui ne sont pas saisis par l’idéologie européiste comme Pilet, et qui veulent être libres, tout simplement.

5 commentaires

  1. Posté par Francis Richard le

    @ Thierry Jallas
    Effectivement il manque le mot de « pouvoir » avant « mener une politique monétaire indépendante etc. »
    Pour ce qui concerne le fond, je suis d’accord avec vous, c’est pourquoi j’ai pris soin de préciser que cette opinion était celle du président tchèque (« selon Vaclav Klaus »), qui a été président de la banque centrale de son pays… ce qui explique cela.

  2. Posté par Thierry Jallas le

    Il manque, à mon avis « de la possibilité » ou « du pouvoir » au milieu de la phrase « la perte pour les Etats de mener une politique monétaire indépendante et l’impossibilité pour eux d’agir sur les variations du taux de change. »

  3. Posté par Thierry Jallas le

    Merci pour cet article fort intéressant. Seul point de désaccord de ma part : les critiques faites par Vaclav Klaus à l’euro (perte pour les États de mener une politique monétaire indépendante et impossibilité pour eux d’agir sur les variations du taux de change) ne me semblent pas être les bonnes.

  4. Posté par Richard Hill le

    Je trouve que vous faites trop d’honneur à Pilet en critiquant ses propos, qui sont manifestement absurdes – et la grande majorité des suisses le savent.

  5. Posté par MARTIN DESMARETZ de MAILLEBOIS le

    J’ai toujours été d’accord avec Vaclav KLAUS. Je l’ai cité plusieurs fois dans mes chroniques. Je vais commander ce bouquin !

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