Le gâchis des jours amende: qui sont les responsables?

Olivier Grivat
Olivier Grivat
Journaliste indépendant, auteur d'ouvrages liés à l'histoire de la Suisse
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Des cambrioleurs qui ne font pas un jour de prison et des délinquants étrangers attirés par la clémence des lois suisses ? Une réalité quotidienne. Mais comment des parlementaires fédéraux, juristes de surcroit, ont-ils pu se tromper à ce point ? Regard dans le rétroviseur 2001.

«Le système du jour-amende est un excellent système: il introduit plus d'égalité, il donne plus de latitude aux juges pour rendre des décisions plus équilibrées et, surtout, il aboutira incontestablement à des résultats plus satisfaisants, du point de vue de l'efficacité de la peine pénale...»

Le conseiller national qui plaide pour les jours-amende lors du débat d’entrée en matière tenu sous la Coupole en juin 2001 n’est pas un ignare en droit. C’est Nils de Dardel, un avocat qui a obtenu son brevet à Genève en 1973 ; le socialiste a été député au Grand conseil genevois et conseiller national à Berne de 1991 à 2003. C’est en tant que membre de la commission des affaires juridiques du National que le juriste a mis la mis à la pâte au projet fédéral.

Dix ans plus tard, le constat est là : en trois semaines depuis Noël dernier, 65 actes de brigandage et de violence ont eu lieu en Suisse romande avec 86 interpellations : «Leurs auteurs n’ont généralement pas de papiers, constate le porte-parole de la police vaudoise. Quand la police les arrête et pour des peines au-dessous d’un an de détention, ils ne font pas de prison ferme, ils écopent de jours-amende, qu’ils ne paient souvent pas (Le Matin-Dimanche du 22 janvier 2012)".

L’angélisme qui a dominé les débats au Parlement pour introduire dans le Code pénal le principe des jours-amende a-t-il aveuglé les parlementaires ? Personne a-t-il senti le vent venir ? Le principe avait pourtant fait la quasi-unanimité lors de l’entrée en matière, droite comprise avec quelques nuances.

Aujourd’hui, le mal est fait. Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2007, l’unanimité est faite. A tel point qu’il va falloir rouvrir le chantier d’une révision qui avait occupé le Parlement pendant vingt ans.

Deux avocats romands, membres du Conseil national sous les couleurs du PLR, le Genevois Christian Lüscher et la Vaudoise Isabelle Moret, ont déposé une initiative parlementaire demandant de supprimer la peine pécuniaire ou de la rendre subsidiaire à la peine privative de liberté qui avait cours auparavant. L’UDC a exigé à son tour la révision d’un système qui constitue « le paroxysme du laisser-aller ». Mais comment en est-on arrivé là ? LesObservateurs s’est penché dans les archives de la session d’été 2001, via le site de l’Assemblée fédérale*.

Christiane Brunner : «Une meilleure protection de la population»

C’est en tant qu’ancienne présidente de la Commission des affaires juridiques que la socialiste genevoise, conseillère nationale puis conseillère aux Etats de 1995 à 2007, a présenté aux Chambres la première partie de l'une des révisions majeures du Code pénal : «Notre Code pénal, vieux de 60 ans, a bien connu un certain nombre de révisions au fil des dernières décennies, mais les plus importantes d'entre elles n’ont porté que sur la partie spéciale», rapporte-t-elle lors du débat d’entrée en matière en juin 2001. Emmené alors par la conseillère fédérale Ruth Metzler, le Département de justice et police a chargé le professeur Schultz d'examiner la nécessité de réviser la partie générale du Code pénal et d'élaborer un avant-projet.

Une commission d'experts s'est ensuite employée, à partir de 1987, à réviser entièrement la partie générale. De l'aveu même de la rapporteuse genevoise, le point central de la révision porte sur le nouveau système des sanctions : « Il assure une meilleure protection de la population contre les délinquants violents et une diminution des courtes peines fermes, qui seront autant que possible remplacées par des peines pécuniaires calculées selon un nouveau système, le système des jours-amende, ou par le travail d'intérêt général».

«Malgré toute l'attention qui doit être légitimement vouée aux délinquants violents et dangereux pour la collectivité, poursuit la socialiste genevoise, ce type de délinquance ne représente qu'une infime partie de l'ensemble de la criminalité. La grande majorité des délits dont la police et la justice ont quotidiennement à se préoccuper ont un caractère nettement plus inoffensif. A l'occasion de la révision partielle de 1971 déjà, le législateur avait eu des doutes sur l'exécution des courtes peines d'emprisonnement et des peines d'arrêt. Il avait introduit des formes d'exécution spéciales telles que la semi-détention et l'exécution par journées séparées. Le scepticisme à l'égard des courtes peines privatives de liberté fermes a néanmoins continué à croître au cours des années.

Selon le projet de révision, les peines privatives de liberté fermes de moins de six mois ne devraient plus pouvoir être prononcées qu'à titre exceptionnel. Cette diminution des courtes peines fermes au profit d'autres sanctions ne vise cependant pas à ménager les auteurs d'infractions, mais à remplacer ces peines, plutôt onéreuses pour l'Etat et d'un effet non avéré, par d'autres sanctions présentant plus d'intérêt, notamment pour la collectivité. Les autres sanctions prévues devraient avoir un effet préventif au moins équivalent à celui des peines privatives de liberté».

«Des économies pour la collectivités »

Après avoir fait passer le maximum de la peine pécuniaire de 720 000 francs, prévu par le projet du Conseil fédéral, à 1 080 000 francs, la substitution des courtes peines privatives de liberté par le travail d'intérêt général et les peines pécuniaires aurait donc une double utilité: celle de ne pas devoir procéder à la coûteuse exécution de la peine privative de liberté et celle de rapporter à la collectivité plus d'argent que cela ne lui en coûte. «Des estimations prudentes permettent d'envisager des économies de l'ordre de 40 millions, assure la rapporteuse qui souligne « les conséquences sociales souvent négatives et l'absence d'effet resocialisant des courtes peines privatives de liberté fermes. Ces peines peuvent, en effet, entraîner la perte d'un emploi, et donc précipiter le condamné dans l'exclusion sociale. Elles peuvent perturber les relations familiales et priver le condamné d'un soutien moral indispensable, alors même que la protection de la collectivité ne requiert aucunement ce genre de peines et que leur plus grande utilité sur le plan de la prévention n'a pas été avérée. Leur brièveté ne permet pas l'exécution de mesures éducatives».

Christiane Brunner souligne que l'ampleur du projet a justifié que la Commission des affaires juridiques y consacre une dizaine de séances et qu'elle ait entendu 25 experts : «Le présent projet est le fruit d'une évolution, et non une révolution».

«Plutôt réinsérer que punir»

"Ouvrir une école, c'est fermer une prison," plaide la Verte Anne-Catherine Menétrey-Savary. Pour l’ex-députée communiste, qui n’est point juriste mais enseignante, le débat sur le Code pénal aboutit au fait que « nous ne sommes plus en situation de faire ce choix entre école ou prison, car nous nous situons en aval de l'éducation. Il serait pourtant utile que nous ne perdions pas de vue que la volonté de punir doit céder le pas devant la nécessité de prévenir, d'éduquer et de réinsérer. Il n'est pas inutile non plus de rappeler que le délinquant violent a souvent d'abord été une victime de violence, d'abus, de rejet, d'exclusion, dans un parcours jalonné de blessures et d'humiliations ». La non-juriste estime que son regard de profane n'est pas inutile. Le Code pénal ne devrait pas se limiter à être un manuel technique à l'intention des juges, mais il devrait avoir une portée pédagogique « de manière que les profanes aient une vision claire des comportements et des actes que la société tolère et ne tolère pas, des risques qu'ils encourent en transgressant les lois, mais aussi des droits dont ils peuvent se prévaloir. On en est encore loin (…) Le projet ne fait pas beaucoup de place aux intervenants autres que les juges et les psychiatres. Les victimes des actes délictueux n'y ont pas non plus leur place, ou si peu».

La popiste vaudoise recolorée en vert n’échappe pas au catéchisme habituel de la gauche : «A travers les auditions d'experts, nous avons dû constater que les statistiques de la police donnent une vision particulière de la criminalité et de son évolution dans notre pays, parce qu'elles reflètent, d'abord, l'activité de la police. Les représentations sociales, en partie fondées sur le discours des médias, mais aussi sur un fond de convictions propres à notre culture, postulent une augmentation de la violence, notamment chez les jeunes, et une forte implication des étrangers dans la criminalité. Les études ne confirment pas cette conception, elles ne l'infirment pas non plus».

Aux yeux d’Anne-Catherine Menétrey, le nouveau Code pénal représente un progrès par rapport au code actuel « qui fait constamment sentir aux auteurs d'infraction qu'ils sont avant tout punis, qu'ils exécutent une peine et sont l'objet d'une décision de justice, et non pas le sujet ou la partie prenante d'un processus de réhabilitation».

Pas d'effet préventif?

La Vaudoise souligne l’économie que le système des jours-amende représente pour l’Etat : «Les peines privatives de liberté entraînent des coûts directs considérables. Une journée de prison pour un détenu coûte entre 100 et 700 francs. Mais elles entraînent aussi des coûts indirects dans la mesure où leur effet préventif n'est pas démontré et qu'elles n'empêchent pas la récidive. Selon le professeur Riklin, la longueur des peines de prison, au-delà d'un certain seuil, n'a pas d'effets positifs sur la prévention de la criminalité. Il estime que si on réduisait de 12 à 7 ans la peine d'un trafiquant de drogue, on ne changerait rien à la criminalité liée aux drogues, mais on économiserait 500 000 francs. La diversification des sanctions, le travail d'intérêt général et tout particulièrement l'introduction des jours-amende censés remplacer les peines de prison de moins de six mois sont de nature non seulement à coûter moins cher à la collectivité, mais aussi à favoriser des rentrées financières importantes pour les cantons».

Punir les riches proportionnellement à leur fortune ?

Pour l’avocat et conseiller national genevois Nils de Dardel, le jour-amende doit permettre au juge de mieux fixer le montant, en tenant compte de l'importance de la faute et de la situation économique de la personne : «La culpabilité sera appréciée par nombre de jours et le montant quotidien de la peine pécuniaire fixé en fonction de la situation économique de la personne condamnée. A revenu inégal mais à culpabilité égale, le montant de la peine pécuniaire sera donc très différent. Ce n'est pas du tout le cas dans le système actuel, où le critère de la situation économique est souvent pris en compte de manière insuffisante (…) On aurait même pu imaginer un système plus juste encore, c'est-à-dire un système avec un taux progressif, impliquant un taux plus élevé au fur et à mesure de l'augmentation dans l'échelle des revenus, un peu selon l'analogie à faire avec les impôts directs. Or, dans le système qui est proposé, on en reste à un calcul qui est plutôt proportionnel au revenu. Le nouveau système apporte une amélioration incontestable. Pour les personnes de situation aisée, le système de la peine pécuniaire va conduire à des peines nettement plus importantes. Mais en compensation, les peines courtes de privation de liberté ne seront plus infligées.»
A la lecture de ces erreurs de jugement, on en vient à se demander si la politique pénale n’est pas un sujet trop sérieux pour être confié à des politiciens juristes...

Pour en savoir plus :
http://www.parlament.ch/f/suche/pages/amtliches-bulletin.aspx

8 commentaires

  1. Posté par François Etienne le

    Bon …. Pour expliciter le lent pourrissement moral de notre système, il suffit de faire un petit exercice de proportionnalité des peines : un dépassement de parcage de quelque minutes engendre CHF 60.00 d’amende, alors que la consommation / vente ouverte de substances entraîne une brève interpellation et la mise en liberté, gratuite, avec sursis. Et même avec excuses s’il le délinquant est un requérant dealer. Voilà la Justice dans toute sa splendeur.

  2. Posté par François Etienne le

    Un exploit (de plus) du socialisme bien-pensant. Au point que la vraie victime doit s’effacer physiquement, pénalement et civilement devant l’agresseur, devant le barbare.
    Au nom des droits de la racaille, des innocents doivent souffrir une vie entière dans leur chair et/ou dans leur psychisme. Ce n’est plus une affaire de nombre de policiers et de caméras, mais bel et bien une situation méritant une répression implacable lors des agressions violentes. L’innocent a le droit de vivre. Le braqueur a le droit de risquer sa peau.

  3. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Petite histoire! Une amie, presque septuagénaire, sort avec son chien. A Meyrin, peu avant minuit. Un énergumène à la mine patibulaire s’approche d’elle, menaçant et lui demande son fric! Elle dit: mais bien sûr! Elle ouvre son sac innocemment et sort un spray au poivre! Une bonne giclée en pleine poire est le début du traitement. La phase deux consiste en une raclée à coups de matraque télescopique. Mesurée toutefois car autrement elle se serait avilie! L’agresseur ne demande pas son reste. Mais ce n’est que le début! Car voici le plus intéressant à mes yeux! Cette amie, a recherché son agresseur dans un centre pour requérants d’asile proche de son domicile, et l’a retrouvé. Le gars s’est mi a genoux, implorant le pardon. Vous me direz, à bon droit,que c’est à la portée de n’importe quel fourbe. Mais comment savoir? L’amie a dit, OK, je ne dis rien aux flics et tu te tiens à careau! Un mois plus tard la directrice du centre fit savoir à l’amie que le comportement de l’homme avait radicalement changé. Au moins provisoirement? Et ça sans flics et sans loi! Evidement, mon amie n’a pas été émasculée. Autrement, ficelé dans la bien pensance, elle n’aurait pu que se plaindre.
    Ceci me rappelle l’histoire contée dans le livre d’Esther! Un souverain, manipulé par un comploteur, édicte et scelle une loi qui ordonne un génocide! Rien de moins! Mis au courant du complot par Esther il déclare irrévocable, hélas, la loi signée de son sceau! Que faire alors? Mais, il est souverain et n’a nul besoin de consulter le peuple. Alors il édicte une autre loi! Autorisant les juifs, car ce sont eux, à se défendre par tous les moyens qu’ils jugeraient bons! L’affaire s’est si bien teminée qu’on la fête encore aujurd’hui! Et ce sera tout, bien que pas assez! Parce que cette histoire, racontée de mémoire, me conduit tout droit à l’école! Et l’école, c’est une histoire!

  4. Posté par Jean-Paul Costantini le

    Il devrait être impossible d’infliger des jours-amende avec sursis; cela fait rire tout le monde! Expulsons sans pitié tous les délinquants étrangers et faisons tout pour les empêcher de revenir. Il s’agirait de parapher des accords avec le plus grand nombre d’Etats possible, afin que des personnes condamnées en Suisse purgent leur peine dans leur pays.

  5. Posté par Gérard Currat le

    Les dealers financent leurs jours amendes par les trafics…La Gauche a ouvert les frontières et s’assure que les voyous ne seront pas incarcérés ! N’importe quel notable peut également s’en tirer en payant… Nous avons créé une justice avec une boîte à vitesse ! Rapide et payante pour les nantis, sévères et lourdes pour les plus faibles et absentes pour les étrangers sous peine d’accusations de racismes…. C’est regrettable de pouvoir éviter la prison quand on gagne illégalement de l’argent.. Une façon légale de blanchir les revenus du proxénétisme, du brigandage, du traffic de stup etc…Monsieur Cottier, procureur du Canton de Vaud avait dénoncé les risques de ce système.. Pourquoi ne pas avoir tenu compte de son expérience ?

  6. Posté par Eric Bron le

    Le plus navrant, c’est que des parlementaires de droite ont voté ces révisions absurdes du CP et du CPP qui suscitaient l’enthousiaisme de Mmes Brunner et Ménetrey !!! Maintenant, ça va prendre des années pour en revenir à une vraie « justice ». Le risque c’est que des milices privées se substituent aux autorités et règlent eux-même le problème de la « délinquance de proximité ». A Genève et Lausanne, ça ne va pas tarder, vu que la situation devient ingérable. Un grand merci au Parlement !!!!

  7. Posté par Ch.Rey le

    Malheureusement, si le nouveau Code pénal fut une lumineuse idée de gauche, il est maintenant bien servi par le nouveau Code de procédure pénale qui est une volonté de droite. En effet, ce sont bel et bien les juristes de droite du parlement qui ont permis que l’on puisse sortir un malfrat des griffes de la justice pour des raisons de procédure. Enfin servir à quelques choses et justifier ses honoraires surfait, quelle belle justification. Mes aïeux se retournent depuis longtemps dans leur tombe! Pauvre pays ! Mais je veux croire que grâce à vous aussi, le vent tournera bientôt… Bravo et merci !

  8. Posté par Ch Gillioz le

    Pour ceux qui comme moi ne connaissent que la dernière phase de cette bêtise, il est intéressant de l’observer dans son ensemble.

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