Du traitement médiatique de l’entartage

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Entartage de gauche et entartage de droite….

«L'entartage de Calmy-Rey ne fait rire personne,» titre Le Matin du 8 mars qui, de toute évidence, n'entend pas le pouffement général, certains versent même dans l'alarme, comme Christophe Darbellay, qui, au passage, remporte la palme de la muflerie quand il qualifie l'ex-conseillière fédérale de dame âgée, allant même jusqu'à lui donner «septante ans», (il y a de petites vengeances qui n'attendent que ce genre d'occasion). Le coup de la tarte à la crème est pourtant un exercice courant en politique, mais, cette fois-ci, l'on fait des misères à une «retraitée le soir dans la rue», l'heure est grave.

C'est cette gravité qui surprend, comparée aux occurrences similaires dans le camp "adverse". Suivant le bord politique de la cible, le traitement médiatique semble ne pas devoir être le même:

La qualification diffère déjà étrangement: d'«attentat pâtissier», sur un mode satyrique et bon enfant, pour la mésaventure du 5 septembre 2011 du conseiller national Freysinger, à coup de «poing enrobé de chantilly dans la figure», pour Calmy Rey, sur le ton grave et désolé de la dignité offensée.

Selon que vous serez...

Concernant l'agresseur, deux constantes font jour selon que la victime est de gauche ou de droite: victime de droite, l'agresseur, est anonyme, ainsi la F.A.R.C.E (Fraction Armée Révolutionnaire Clandestine Etc.) dans l'aventure de l'enyaourtage du conseiller fédéral Blocher, le 27 septembre 1999, et Christian (prénom d'emprunt) dans l'affaire Freysinger. Deuxièmement, il fait l'objet d'une interview complète, souvent amusée et complice, histoire de relayer proprement des motivations toujours légitimées par une saine intolérance de l'idéologie de la victime. Chez Blocher, «la xénophobie, l'intolérance, le racisme et l'exclusion» ont obligé les FARCE à «utiliser d'autres voies que celles que nous offre la démocratie», pour Freysinger, Christian n'a pu contenir sa juste indignation devant des propos « intolérants, ridicules, dangereux et mensongers »; autant d'âmes bien nées, nimbées de vertu républicaine, dont la posture est la seule évidence et toute la justification, contraintes malgré elles de violer les fondements de la démocratie pour en sauver le principe dont leur courant est seul propriétaire.

A gauche, en revanche, l'agresseur a toujours un nom, le cordon de sécurité médiatique accomplissant un travail de police remarquable, une biographie complète est bientôt à disposition des agences de presse et les détails les plus scabreux finissent en première page. Ensuite, le nouvel ennemi du peuple est toujours muet, pas de relais, pas d'entrevue, « on ne distingue aucun message », trop occupé que l'on est à dévaster sa crédibilité à grands coups de spéculations sur sa psychologie déficiente.

Son motif, si on lui laisse le loisir d'en avoir un, est toujours celui de la vengeance personnelle, ce qui semble de fait le priver de toute forme de vraisemblance. Pensée ô combien symptomatique du climat qui règne dans les rédactions et qui préfère un motif idéologique vague, mais conforme, à un cas simple, concret, précis et qui mériterait peut-être une enquête aussi énergique que celle que l'on mène sur la personne.

La force de la camisole

Claire Seguin, l'enfarineuse d'Hollande sera déclarée «irresponsable» par le candidat socialiste et même enfermée, peu de temps après, dans un service d'urgences psychiatriques. Si d'aucuns citent malicieusement le souvenir des purges staliniennes, le fait est que la moindre critique du système établi semble créer une incompréhension si entière et sincère de ses adeptes que la marginalisation définitive est la seule réponse possible. Foin de répression, l'incarcération psychiatrique semble être le degré maximal de la pitié à gauche pour le dissident, tant le simple fait d'oser discuter le dogme semble incroyable et relever d'un profond déséquilibre.

Plus près de chez nous, l'entarteur de Calmy-Rey est qualifié d'agitateur hanté par ses échecs, incapable d'accepter les indiscutables décisions de justice qui firent gagner les partisans du régime d'alors et perdre les pékins dans son genre à qui ne reste plus que la frustration d'être ce qu'ils sont.

Haro sur le baudet, on offre même une récompense à qui entartera l'entarteur; tant de docilité désole.

La fin justifie les moyens

L'exposé du procédé fait aussi l'objet d'un traitement spécial qui tend à gommer la violence de celui dont les motifs sont justes ou à accentuer ceux cédant à une vulgaire pulsion réactionnaire. L'interview de Christian précise qu'il a «attendu la fin du débat pour qu’on ne [lui] reproche pas d’entraver la liberté d’expression», c'est bien, celle des FARCE, concédée par L'Hebdo, que «l'humour est un facteur de civilisation», c'est beau.

L'enfarineuse de Hollande est folle, nous l'avons vu, c'est triste, quant à l'entarteur de Micheline, les images «révèlent toute la violence et la lâcheté de son geste», c'est mal.

Si, de droite, vous tentez de reprendre votre souffle, attention vous «maugréez», signe que vous n'avez pas le moindre humour, et malheur à vous si vous ne souriez pas devant les photographes. A gauche, en revanche, si vous «lâchez un son furtif», vous réagissez avec «avec une sagesse qui force le respect». A droite, poser plainte revient à signer son arrêt de mort, à gauche en revanche l'on relèvera tant de noblesse à «ne pas s'abaisser» à cela etc.

Entartage©

«Le pauvre type qui a préparé son coup contre l’ex-élue genevoise ne mérite donc en rien le titre d’«entarteur», déclare Le Matin, ceux qui ont inventé le genre s’efforcent au moins de donner un peu de sens et d’élégance à leur geste. Dans le cas du sexagénaire genevois hanté par son passé personnel, on ne distingue aucun message. Et les images de sa vidéo postée sur Internet – il vaudrait mieux se dépêcher de l’oublier! – révèlent toute la violence et la lâcheté de son geste». Le Matin ne s'y trompe pas, l'entartage, s'il doit être connoté positivement, reste le plein apanage de la gauche et de sa vision exclusive. Le processus de désacralisation de la personnalité en exercice, s'il est festif à l'encontre de la dissidence, reste un blasphème envers un membre du parti.

Reste que la véritable forfanterie est bien cet entartage que la grande presse nous inflige au quotidien sous prétexte de gratuité (ou non d'ailleurs, quelle différence?), ce tartinage épais, dirigiste, qui pousse la prétention jusqu'à décider ce qui relève ou non de la contestation politique, quand il convient de ricaner, de penser, ou pas.

5 commentaires

  1. Posté par Julien Bernasconi le

    Moi les entartrages ou jets de farine, je trouve ça drôle en général, à condition que ce ne soit pas violent. C’est une manière originale de marquer son mécontentement. Je pense que si j’étais un élu entarté, je pense que j’en rigolerais. Mais dans le cas de Calmy-Rey, il faut le dire, elle fait quand même vieille dame, elle a failli tomber par terre. Ca m’a fait penser à ma grand-maman. Je n’ai pas trouvé ça drôle. Mais je ne crois pas que ce soit une question gauche droite, parce Hollande enfariné, j’ai trouvé ça drôle aussi. Et à ce que je sache, Darbellay n’est pas de gauche…

  2. Posté par Olivier Pitteloud le

    François : nous sommes bien d’accord que l’acte d’entartrage en lui-même est stupide, lâche et profondément idiot. Je dirais même qu’il ne faut pas être bien courageux pour aller agresser une retraitée dans une rue sombre de Genève mais là n’est pas le sujet de l’article.

    Le but de cet article est de mettre en lumière à quel point le traitement d’une information en particulier est modifié suivant s’elle implique des membres de la gauche ou de la droite et on voit bien que la plupart de nos médias romands ne sont pas impartiaux, loin de là !

  3. Posté par François Etienne le

    L’entartage relève de l’indécence, de l’irrespect des idées et surtout de la débilité profonde de leurs auteurs. C’est une démarche de violence « douce » de la part de crétins congénitaux, souvent asociaux et cas sociaux. Ces gens-là vivent au crochet de la société, haïssent le travail. L’institution fermée pourrait leur apporter une aide.

  4. Posté par Olivier Pitteloud le

    C’est ce qu’on peut appeler la « justice à géométrie variable » ou le « politiquement correct » et cela démontre bien ce dont on parlait dans un autre article : la plupart de nos médias n’hésitent pas à diaboliser la droite et à diviniser la gauche au mépris de toute objectivité ou impartialité.
    Il n’est pas normal que le même acte ou la même idée soit, selon la personne concernée, considéré comme « bien » ou « mal » mais ce n’est malheureusement pas nouveau dans ce pays….

  5. Posté par Alain Favre le

    La différence médiatique, suivant qu’on appartient au camp du bien, ou au camp du mal, est indéniable. Et l’ « affaire » Calmy-Rey en est un révélateur flagrant.
    Il suffit de relever les mots employés par la presse pour relater l’entartage de Calmy-Rey et celui de Freysinger.

    Le Temps : « La presse dénonce l’entartage à Genève de l’ex-conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey L’ancienne conseillère fédérale a été lâchement entartée, de nuit, dans une rue de Genève, alors qu’elle sortait d’un débat organisé par le festival FIFDH. La presse se révolte unanimement contre cette atteinte stupide à la démocratie, qui n’est même pas drôle. Mais sèche et violente. Nulle »

    20 Minutes : « en version plus violente et pas du tout comique: sans le moindre des ménagements, Micheline Calmy-Rey (MCR) a été entartée »

    Le temps : « l’ancienne conseillère fédérale, que toutes les photos du jour montrent très digne et comme une sage sans peur ni reproche au-dessus de ces gamineries, renonce à déposer plainte »

    Tribune de Genève : «L’action choque par sa virulence, d’où l’humour est absent»

    Le Temps : « qu’il lui écrase méchamment une tarte sur le visage »

    Quotidien E.D. : «Dès que je la croise, je vais me la faire.» « Joli vocabulaire, qui indique le niveau de la détermination. »

    Le Temps : « La vidéo qui a fait le tour du Web mardi montre très bien la violence du coup reçu par MCR – elle fait deux pas en arrière et manque de tomber – alors qu’elle sortait justement d’une conférence sur les droits humains à Genève »

    Le Temps : « Le geste a choqué tout le monde. Christian Levrat pense être conforté dans son observation d’«une dégradation des mœurs politiques», tout comme d’autres présidents de partis ».

    Le Matin : «Agresser une retraitée le soir dans la rue, voilà qui ne fait rire personne», et ajoutant: «Nul ricanement», car «aucun message» dans le geste. Alors MCR «réagit avec une sagesse qui force le respect. »

    Le Temps : « Conclusion, sans appel: «La tolérance doit être nulle face à tout geste déplacé pour que ne se banalise pas la violence en démocratie.» Autrement dit, un entartage public, ce n’est pas une basse agression nocturne dans la rue, qui ne peut être qu’assimilée à une crasse pleutrerie. »

    Blog « Les Hommes Libres » : « agression «lâche et moche»: «On peut ne pas être d’accord avec elle, ce qui a souvent été mon cas, mais sans le minimum de respect même contre ses adversaires, la vie est juste un tas de pourriture. »

    C’est un acte lâche, bas et peu digne», enchaîne Arcinfo, le site de la presse neuchâteloise, en citant le président du Parti socialiste genevois, René Longet, pour qui «il est parfaitement déloyal de surprendre quelqu’un qui vous écoute poliment, relevant qu’on pouvait ne pas être d’accord avec les jugements rendus dans l’affaire BCGE par la justice genevoise, mais que la démocratie offrait d’autres façons de s’exprimer.»

    site Les Quotidiennes : «Sec, violent, pas drôle… Juste nul!» Il n’y a peut-être «qu’à Genève qu’on rate même un entartage, confirme le site Les Quotidiennes. Le style se veut généralement drôle, crémeux, savoureux. Celui subi hier par l’ex-présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey ressemble à une vulgaire castagne. Une agression aussi sèche qu’un coup de trique, faite de nuit par un étrilleur bourru sur une simple citoyenne, et qui n’arrache pas le moindre sourire, même du coin des lèvres.»

    Le Temps : « Décidément, une forme de paranoïa assez aiguë explique peut-être ce geste d’une lâcheté inouïe sur une femme qui a le mérite et l’honneur de le prendre avec une philosophie qui la place bien au-dessus de ces poltronneries. »

    Quant à Freysinger, l’affaire n’a été que peu relatée, si ce n’est un article de presse repris par tous les médias, un passage de l’intéressé à la radio, et un autre article offrant une tribune de vainqueur à l’entarteur. La presse se contente de « Freysinger entarté ! », comme si cela était une évidence, un minimum de politesse et de bonne éducation.

    Tribune de Genève : « Un mouvement de foule et l’émule du célèbre Belge Noël Gaudin se faisait évacuer manu militari par un garde du double de sa stature. Fin du coup d’éclat. »

    Cicad : « Bon, et alors, prendre une tarte en pleine poire, ça fait quoi ? » (…) « l’entarteur explique avoir eu l’idée de «cette blague» la veille du débat ». «Lorsque j’ai appris que Freysinger venait, je me suis dit qu’il fallait le ridiculiser et le punir pour ses propos haineux et ridicules, et son manque de tolérance. » « Et entarter, c’est un signe de tolérance ? «Mais on ne peut pas discuter avec Freysinger, répond l’entarteur. De toute façon, je savais que je ne risquais rien.» «Je ne vais rien faire. Dans cette histoire, le con, c’est lui», explique, tout en nuances, Oskar Freysinger. »

    Swissinfo : « le parlementaire Oskar Freysinger entarté après un débat »

    Journal du Jura : « Freysinger entarté! »

    RTS : « Un débat sous haute surveillance, qui s’est déroulé dans le calme, avant la fin de soirée et l’entartage de l’élu UDC. »

    En bref, une baffe à gauche est indigne, et une baffe à droite est méritée. Pourtant on nous enseigne de tendre les deux joues…

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