Les vrais responsables de la mort de l’industrie française.

Fabio Rafael Fiallo
Fabio Rafael Fiallo
Economiste et écrivain

D’autres pays ont réussi des réformes audacieuses, et socialement difficiles, visant à libérer la compétitivité de leurs entreprises. En voici quelques exemples.

Dans la Carte et le Territoire, roman qui lui valut le prix Goncourt, Michel Houellebecq dépeint une France dépouillée de ses industries, où seul le tourisme tient encore. Le paysage demeure d’une beauté inouïe, mais il n’y a plus d’activité économique. Or, à en juger par une série d’indicateurs, le roman qui nous occupe n’est pas trop éloigné de la réalité : la France marche d’un pas ferme vers la désindustrialisation.

Que dire, sinon, des emplois industriels qui fichent le camp ? 400’000 de perdus rien que ces cinq dernières années[1][1]. Que dire, aussi, de la baisse des parts de marché par manque de compétitivité ? La France représente 13,1% du total des exportations européennes des articles manufacturés aujourd’hui, contre 15,7% dix ans auparavant (ce qui représente une chute de 17%)[2][2]. Que dire, enfin, du fait qu’en France, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB soit devenue la plus faible parmi les pays de la zone euro ? 9,3% contre 18,7% en Allemagne en 2010[3][3].

Les plans de suppression d’emplois se succèdent. Aujourd’hui chez Peugeot-Citroën (PSA). Hier à Air France, chez Doux et à la Société Générale ou à BNP Paribas. Demain, probablement, chez Sanofi.

Comme d’habitude, les regards accusatoires se portent sur les patrons qui délocalisent, qui suppriment des emplois pour le plaisir, nous dit-on, ou pour s’en mettre plein les poches, quand ce n’est pas pour distribuer de juteux dividendes à leur actionnariat.

Sans nier l’existence de comportements abusifs de la part de certains patrons de grandes entreprises, le problème avec cette lecture à la Robespierre est qu’elle passe à côté de la source principale du mal industriel français, à savoir : la difficulté croissante qu’éprouvent les entreprises françaises, grandes, moyennes et petites, à garder, et à plus forte raison à accroître, leur compétitivité.

En France, syndicats et partis en empathie ne savent parler que de protection. Protection des acquis sociaux, des emplois existants, des effectifs de la fonction publique. Dans leur discours, jamais n’entrent en ligne de compte les défis que pose une économie mondiale globalisée prête à dérouler le tapis rouge pour accueillir les pans de l’industrie française qui, plombés par les charges sociales, la fiscalité progressive, les tracasseries administratives et une législation rebutante, ne trouvent d’autre salut que d’aller voir ailleurs.

Les déboires de PSA illustrent à merveille le caractère contreproductif des efforts pour empêcher les délocalisations. Pendant que Renault, l’entreprise rivale, procédait à des délocalisations malgré la grogne des syndicats et la pression des autorités de l’Etat, PSA jouait en bon élève le « patriotisme économique », gardant ses usines en France malgré des coûts de production plus élevés que dans les pays où Renault délocalisait. Aujourd’hui, PSA perd deux cents millions d’euros par mois, alors que Renault affiche des bénéfices conséquents, cela grâce notamment à sa gamme Dacia, produite à l’étranger.

D’autres pays ont réussi des réformes audacieuses, et socialement difficiles, visant à libérer la compétitivité de leurs entreprises. En voici quelques exemples.

Après avoir frôlé la fermeture définitive, l’industrie automobile américaine se redresse d’une façon spectaculaire grâce, entre autres, à une aide publique octroyée en échange de restructurations comportant des fermetures d’usines, des licenciements massifs, des réductions de salaires et une plus grande flexibilité du travail.

Avec la Suède en tête, les pays scandinaves, dont le système social en fait rêver plus d’un, ont introduit la « flexisécurité », c’est-à-dire une libéralisation du marché du travail permettant de licencier plus facilement, ce qui encourage les entreprises à embaucher sans avoir peur de se retrouver avec une main-d’œuvre superflue en cas de baisse du chiffre d’affaires.

L’Allemagne, elle, aura modernisé son modèle social, et consolidé sa compétitivité, après une réforme en profondeur connue sous le nom d’Agenda 2010 et introduite en 2003 par un gouvernement de gauche, celui du Premier ministre Gerhard Schroeder. Le paquet de mesures comprenait le transfert vers la TVA de certaines charges qui pesaient jusqu’alors sur le coût du travail, puis plus de flexibilité dans le marché de la main-d’œuvre ainsi que des baisses d’impôts.

Mais à chacune des réussites susmentionnées, les syndicats de l’Hexagone, et avec eux les partis qui les soutiennent, opposent à l’unisson une fin de non-recevoir, arguant que de telles méthodes vont à l’encontre du si précieux modèle social français, qu’elles ne sont pas « transposables » à la situation française.

Est-ce si difficile d’accepter que  plus on met d’entraves aux licenciements, moins les patrons sont enclins à embaucher? Que plus l’Etat s’approprie des revenus élevés par des impôts progressifs interposés,  moins les entrepreneurs sont tentés de prendre des risques et d’investir?

Et pendant que la France doit s’accommoder d’explications fallacieuses et voit mourir l’une après l’autre ses industries, asphyxiées par le corset de l’Etat, le ministre du « redressement productif » appelle à « réarmer » la puissance publique et, comme à l’accoutumé, les syndicats demandent encore plus de contraintes pour empêcher les licenciements et bloquer les délocalisations.


[1][1] « Big Car Plant Closure Shows Europe Woes », Wall Street Journal, 12 juillet 2012.

[2][2] « France’s Lost Decade », The Economist, 3 février 2011.

[3][3] « La France marquée par la désindustrialisation », Le Figaro, 22 mars 2012.

2 commentaires

  1. Posté par Antonio Giovanni le

    Si l’on se mentait moins et qu’on ne trichait pas, tout irait sans doute mieux; »…sa gamme Dacia, produite à l’étranger… » modèle bas de gamme, sans les dispositifs coûteux de sécurité exigés chez les « riches » clients européens; et en effet, la Roumanie a reçu comme un cadeau le constructeur de ce modèle, Renault qui le promettait à la seule vente dans les pays de l’est européen, et pourquoi pas de l’Asie: voeux pieux ; car , les années passant, le modèle s’est retrouvé sur le marché interne de l’U.E. et a immédiatement concurrencé les modèles plus raffinés et complexes de la métropole; sans que les syndicats, partis politiques, patronat ne pipassent mot: tous complices ? La délocalisation n’a jamais été dénoncée par ceux qui aujourd’hui accusent le patronat de lâcheté et d’incompétence; je fais la rapprochement avec ce qui s’est produit en Suisse: la « délocalisation dans le privé » du secteur archi-rentable des communications de l’ancienne régie PTT n’a soulevé ni commentaires, ni critiques; et depuis on ne cesse de demander à la poste non plus d’être le service public que chacun regrette, mais de se comporter en entreprise bénéficiaire et du même coup ceux-là qui se taisaient lors de la « délocalisation dans le privé » des communications crient comme putois au bradage d’un service public; et qui étaient ces partis qui hurlaient au scandale lors de la suppression du bureau de poste de la rue du Beulet à Genève ? les mêmes qui ont voté la privatisation des PTT, sans mot dire: faites ce que je dis, pas ce que je fais…

  2. Posté par François Etienne le

    Très bon commentaire ! La France souffre de son corset social bien trop serré, empêchant de souffler correctement, de se mouvoir avec aise, bref de marcher sur le chemin de la compétitivité. Cette imposition socialo-syndicaliste du risque social = zéro se base sur des concepts anciens, dépassés. Par exemple, les congés payés de 1936, leitmotiv ressortant régulièrement de la veste socialisante. L’initiative fût magnifique et très louable … dans l’avant-guerre mondiale qui se préparait dans une euphorie certaine. Mais soixante-dix ans se sont écoulés.

    En fait, la France s’auto-asphyxie par un carcan apparemment social, mais lequel freine voire bloque toute avancée économique. La chasse aux riches, sans en fixer la définition relève d’un socialisme archaïque avec relents communistes adoucis et, en pratique, c’est bel et bien la « riche classe moyenne » qui depuis des décennies paie la facture et la fracture sociales. Le plus choquant réside dans les discours de nababs bien nourris, planificateurs nés mais réalisateurs nuls.

    L’Allemagne vit depuis dix ans un régime social et économique assez sévère, notamment aux niveaux de l’emploi précaire, des rentes de pensions rabougries. Dans ce pays, la redistribution sociale demeure néanmoins bien plus souple, l’une des raisons de ses avancées spectaculaires. Ce n’est pas un miracle, mais une attitude de l’effort réparti au mieux. Il est vrai qu’il ne faut pas comparer les mentalités de peuples si différents.

    Le Français moyen mérite mieux, tant ses efforts actuels sont réellement durs à accomplir, avec des salaires de misère subventionnés à coups de milliards par un Etat en déficit depuis trente-quatre ans. Depuis trois décennies, l’Entreprise France est en état de faillite avérée. Les cigales de droite et de gauche ont chanté durant tout ce bel été des trente glorieuses.

    Historiquement, la France a très mal assumé le largage de l’Ancien régime; dans ses gènes, elle aspire toujours à une ligne royaliste. La France s’en sortira lorsqu’elle quittera ses sempiternelles références impérialistes, ce « il n’y en a point comme nous », avec ses apparats d’un autre temps méprisant ici et là les « petites nations ». Alors elle disposera de grandes capacités à se transformer en une nation productive, sans renier le vrai droit social de l’individu. Bien au contraire.

    Que le peuple français de base songe à se prendre en mains en considérant les réalités du XXIe siècle !

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