Dossier: L’échec de l’euro

Pierre Leconte
Pierre Leconte
Président du Forum monétaire de Genève
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Texte intégral de l’exposé donné le 21 novembre 2012 à l’invitation de l’Institut Libéral, Hôtel Métropole, Genève,
dans le cadre de la Conférence « Quelles suites pour notre système monétaire ».

Mesdames, Messieurs,

A la demande de l’Institut Libéral et conjointement à la présentation de mon ami Philippe Simonnot sur les manipulations monétaires des banques centrales, je vais traiter ce soir devant vous la question de l’euro, dont il faut bien convenir en toute objectivité qu’il a totalement échoué à atteindre les objectifs mirifiques annoncés par ceux qui l’ont créé. Et cela sur cinq plans (que je reprendrai ensuite plus en détail au cours de cet exposé) :

1/ il n’a pas constitué une monnaie de qualité supérieure à celles qu’il a remplacées, en particulier puisque son architecture bâclée n’est en aucune façon viable en l’état actuel et qu’il n’a fait que transférer le monopole étatique de création monétaire -qui est la cause principale de l’instabilité monétaire et de l’inflation- du niveau national au niveau supranational.

2/ il n’a pas produit plus de convergence macro et micro économiques entre les 17 Etats qui l’ont adopté, puisqu’au contraire il a conduit à des écarts intenables de taux d’intérêt entre les obligations émises par les divers Etats de la zone, les PIIGS étant contraints de continuer de s’endetter à un coût exorbitant, ce qui renforce les pays forts et affaiblit les pays faibles.

3/ il n’a pas conduit à plus de croissance économique ou de compétitivité ni à moins de chômage dans ces mêmes Etats, puisqu’il a au contraire accru le caractère non optimal de ladite zone, au sens où l’entend Robert Mundell, qui était évident dès sa création.

4/ il n’a pas entraîné la construction politique européenne vers plus de solidarité ni de démocratie, puisque pour le maintenir -contre vents et marées- il a fallu recourir à tous les artifices possibles de l’autoritarisme, que d’aucuns comme Tommaso Padoa-Schioppa, l’inspirateur de Jacques Delors, ont qualifié en s’en félicitant de « despotisme éclairé ! »

5/ il n’a pas permis de concurrencer le dollar US qui demeure - abusivement d’ailleurs - la monnaie de référence internationale (puisque 62% des réserves en devises des banques centrales restent en dollars US contre seulement 24% sont en euros et que 85% des transactions de change impliquent la monnaie américaine), ni d’avancer positivement dans le sens de l’indispensable réforme du Système monétaire international. Les USA ont d’ailleurs favorisé la création de l’union monétaire européenne dans la mesure où la sur-évaluation constante de l’euro leur a permis d’organiser la sous-évaluation du dollar US pour en obtenir un avantage commercial, sans que la monnaie européenne puisse constituer une menace pour leur hégémonie monétaire mondiale tant qu’elle en restera la variable passive d’ajustement, faute en particulier de politique monétaire adaptée de la part de la BCE et de règles claires présidant à sa gestion.

Tout cela pour deux raisons principales, que je vais examiner successivement dans les deux parties de mon exposé, à savoir :

1/ l’échec de l’euro, c’est d’abord celui de la construction européenne dans son ensemble qui s’est organisée dans la dissimulation des objectifs poursuivis par la plupart des politiciens européistes de négation des Nations européennes au profit d’une sorte d’Empire multinational, dont les peuples ne veulent pas parce qu’ils tiennent par-dessus tout à leurs identités nationales et culturelles comme à leur expression politique démocratique au sein de chacune desdites Nations forgées par une histoire longue dans lesquelles ils se sentent solidaires les uns des autres.

2/ l’échec de l’euro, c’est ensuite celui de la création ex nihilo constructiviste d’une union monétaire cartellisée monopolistique censée préfigurer une union économique et politique européenne centralisée alors que cela n’a jamais réussit dans l’histoire, puisque, après le court intermède de la « banque libre », ce sont toujours les Nations qui ont produit la monnaie (« le politique précède le monétaire » selon la formule de Jean-Jacques Rosa), laquelle ne peut d’ailleurs apparaître qu’à l’issue d’un long processus d’adhésion et de confiance progressive de ses utilisateurs, les unions monétaires multinationales ayant toutes échoué puisque elles sont gérées par des banques centrales supposées indépendantes et que, comme le remarquait Ludwig von Mises, « les crises économiques sont provoquées par les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales ». A ce propos, Pascal Salin remarquait que « l’Europe ne souffrait pas du fait qu’elle n’avait pas de banque centrale mais bien au contraire du fait qu’il y existait déjà des banques centrales ! »

*

Autrement dit, faute d’un puissant vouloir vivre ensemble et d’en accepter les avantages comme les sacrifices, les peuples européens refuseront de se fondre dans un Super-Etat européen centralisé et bureaucratique, comme de s’en voir imposer la monnaie artificielle politisée à l’extrême, ce qui veut dire que nécessairement tout cela un jour explosera dans des convulsions politico-économiques que l’on peut encore éviter comme exposé plus loin.

D’autant que, loin de favoriser plus de participation politique ou de produire plus de bien-être en faveur des populations, les développements actuels et futurs de l’aventure européenne telle qu’elle a évolué aboutissent déjà à la confiscation des processus démocratiques (comme l’illustrent le renvoi des premiers ministres Berlusconi et Papandréou et leur remplacement par Messieurs Monti et Papademos imposés aux peuples italien et grec par des dictats de l’Allemagne et de la « Troïka ») et à la régression économique et sociale (comme l’illustrent les récessions issues des plans draconiens d’austérité imposés aux PIIGS et l’explosion du chômage comme de la paupérisation dans la plupart des 17 Etats-membres de la zone euro). Sans compter que l’union européenne à deux vitesses (l’une concernant le « noyau dur » des 17 Etats-membres de la zone euro et l’autre concernant la périphérie des 10 autres Etats ayant conservé leurs monnaies nationales) posera des problèmes de plus en plus insurmontables de nature à fragiliser en permanence l’ensemble qui implosera un jour du fait du caractère kafkaïen des consensus à réunir pour faire avancer le tout.

Il y avait deux façons de construire l’Europe :

1/ Soit par la coopération intergouvernementale croissante de ses Nations conservant leur indépendance et leur monnaie nationale qu’elles auraient gagée sur l’or, mais coopérant pour créer des politiques communes sur de plus en plus de sujets, selon le schéma proposé par Charles de Gaulle. Ce sont d’ailleurs les coopérations issues de cette méthode comme Airbus ou la fusée Ariane qui ont fonctionné.

2/ Soit par l’intégration forcée au profit d’une structure supra-nationale, le Super-Etat européen conduisant nécessairement à la disparition des Nations, au moyen d’un enchainement permanent et inévitable de crises faisant apparaitre ce Super-Etat européen comme la solution optimale pour les résoudre alors que c’est la pire, puisqu’à l’époque actuelle de la circulation maximale de l’information et de l’efficacité supérieure des structures décentralisées et participatives, le centralisme bureaucratique ne peut aboutir qu’à la paralysie collective. Ce sont d’ailleurs les petits pays (comme la Suisse par exemple) qui sont les plus prospères et les plus démocratiques, même si rien n’est jamais parfait chez eux non plus.

Le socialiste Jacques Delors, qui fut le créateur de l’euro, utilisait à ce propos pour tromper à dessein les populations sur la voie de l’intégration européenne dirigiste dans laquelle il comptait les engager la formule de « fédération d’Etats-Nations », alors qu’il s’agit d’un piège grossier puisque la construction d’une Fédération conduit nécessairement à la disparition des Etats-Nations et qu’elle est intrinsèquement contradictoire, du même genre que le serait celle d’une « dictature démocratique » ! Même si la comparaison peut choquer certains, toute l’histoire de la tragédie européenne est précisément le produit des tentatives de création d’un Super-Etat européen, vainement expérimentées par Hitler ou Staline pour ne citer que les plus venimeux, qui ont été suivies de guerres sans fin. Alors que le continent avait réussit à vivre dans une coexistence relativement pacifique – si l’on met de côté la période de la Révolution française et de l’Empire napoléonien – produite par le traité de Westphalie de 1648 qui organisait la reconnaissance et la coexistence des Nations en fixant leurs frontières, tout en mettant fin à la Guerre de Trente Ans et aux prétentions impériales des Habsbourg de réunification austro-allemande.

La question allemande est d’ailleurs restée au centre du débat européen puisque l’on sait que François Mitterrand, obsédé par le risque d’hégémonie en Europe que portait ladite réunification après la chute du Mur de Berlin, a cru habile de plus ou moins contraindre l’Allemagne d’Helmut Kohl à renoncer à son deutschemark pour adopter l’euro en échange du feu vert de la France pour que se reconstitue l’Allemagne unifiée, alors que ce faisant l’on installait le modèle allemand de gestion de la future monnaie unique européenne. Evidemment à terme incompatible avec les politiques jusqu’alors poursuivies par la plupart des pays européens de recours régulier aux dévaluations monétaires pour assurer leur compétitivité, sans avoir à remettre en cause leur modèle social d’Etat-providence, et de financement des Etats par les banques centrales nationales, via leur achat massif des obligations qu’ils émettent. Alors que les bonnes solutions -qui sont toujours d’actualité- c’étaient de revenir à l’étalon-or et/ou de supprimer le monopole étatique de création monétaire mais aussi le cours forcé puisque, comme le remarquait Friedrich von Hayek, « nous n’aurons pas de monnaie honnête tant que d’autres que les gouvernements en fonction n’auront pas le droit d’en proposer de meilleure que celle de leur fabrication ».

Je vous rappelle, en outre, qu’au 20éme siècle toutes les constructions politiques multinationales ont éclaté, à commencer par l’Empire Ottoman et l’Autriche-Hongrie puis la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie pour finir par l’Union soviétique, et que toutes leurs monnaies ont été pulvérisées. Ce qui, de nos jours, motive les peuples (comme les Basques, les Flamands, les Catalans et les Ecossais par exemple) c’est la reconstitution d’entités régionales indépendantes pas l’Europe de Bruxelles. D’où l’erreur fatale des politiciens européistes qui se gardent bien de faire voter les peuples sur les questions relatives à la construction européenne et, quand ils y sont obligés, de passer outre à leurs choix (ainsi que l’a décidé Nicolas Sarkozy en imposant par le vote parlementaire le traité de Lisbonne sur la constitution européenne que le peuple français avait déjà majoritairement rejeté par référendum).

Alors comment croire qu’il puisse y avoir une union fiscale (dite « Europe des transferts ») entre les 17 Etats-membres de la zone euro de nature à redistribuer les impôts nationaux ou à instituer un grand impôt européen, indispensable comme nous le verrons à la poursuite de l’expérience d’union monétaire, qui serait imposée aux peuples sans expressément les consulter et sans que ceux-ci finissent par rejeter le tout ? Je vous rappelle que le consentement du peuple à l’impôt selon la formule « pas de taxation sans représentation » est à l’origine même de la démocratie libérale telle qu’elle s’est établie en Angleterre et qu’il n’y a que dans les dictatures que l’on contraint au paiement de l’impôt des peuples qui ne l’ont pas accepté. Nonobstant le fait que Flamands et Wallons ne parvenant même pas à vivre ensemble en Belgique, dont ils ont la nationalité depuis plus de 180 ans, faute d’accepter de s’en répartir le coût, comment croire que Prussiens et Siciliens pourront le faire dans le même Super-Etat européen si, en plus, cela occasionne pour le Prussien le paiement du double de ses impôts actuels qui sera détourné par quelque mafia sicilienne locale ?

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Nous allons maintenant traiter plus spécifiquement de l’euro, dont à notre avis la continuation selon son organisation présente et avec tous ses Etats-membres actuels est impossible, sauf à provoquer à terme assez rapproché la double régression économique et sociale de l’Europe des 17 et politique de l’ensemble de l’union européenne des 27.

1/ L’euro a été mis en place dans une zone monétaire non optimale (en particulier faute de mobilité des travailleurs par suite d’une forte segmentation linguistique et des systèmes de protection sociale) dans laquelle tout choc asymétrique frappant un ou plusieurs de ses Etats-membres se répercute de façon systémique à tous les autres, puisqu’il n’y a pas de prêteur en dernier ressort susceptible de l’atténuer, la BCE ayant interdiction de financer directement lesdits Etats, d’autant que son capital est très faible et son bilan plutôt pourri (elle a déjà acheté indirectement pour prés de 250 milliards d’euros d’obligations d’Etat des PIIGS), et que ce n’est pas elle qui imprime l’euro mais les 17 banques centrales nationales qui ont subsisté dans le cadre du SEBC. D’ailleurs, les pièces et billets en euros sont tous marqués du signe de la banque centrale nationale qui les émet.

2/ La politique monétaire européenne est définie par plusieurs entités, dont la BCE, l’Eurogroupe, les banques centrales nationales, la Commission européenne via son commissaire aux affaires monétaires, sans oublier les ministres des finances nationaux et les chefs d’Etats ou de gouvernements. Ce qui conduit nécessairement à des divergences et des conflits de compétence paralysant l’ensemble. Il n’est que de voir les réunions de tous ces responsables qui s’enchaînent sans jamais produire de solutions durables pour clore la crise actuelle qui a commencé il y a déjà plusieurs années.

3/ Les règles que devaient respecter les Etats-membres –comme les critères dits de Maastricht- ont été constamment violées par les petits pays mais aussi par les plus grands (la France pendant la présidence de Jacques Chirac et l’Allemagne quand Gerhard Schröder en était le chancelier) de telle sorte que l’engagement improprement qualifié de « règle d’or » imposé par l’Allemagne de Merkel dans le récent traité budgétaire européen d’intégrer dans les constitutions nationales la stricte limitation de l’endettement public et des déficits budgétaires ne résistera pas lorsque la récession s’aggravera, ce qui réduit à peu de chose la crédibilité des politiques publiques.

4/ L’euro a conduit à un endettement colossal de ses Etats-membres, qui n’avaient pas les moyens d’y recourir puisqu’incapables de le rembourser ultérieurement faute de compétitivité suffisante, à l’abri du supposé « parapluie allemand » (les marchés ayant cru à la solidarité des participants à la zone euro alors que les PIIGS se comportaient en « passagers clandestins ») lequel s’est révélé inexistant au moment de s’en servir puisque l’Allemagne et la Bundesbank refusent de payer les dettes des autres via une « Europe des transferts », mais aussi via la création de mécanismes communautaires d’endettement comme les eurobonds, c’est-à-dire la mutualisation des dettes. Alors que si chaque Etat avait conservé sa propre monnaie nationale, il aurait été immédiatement sanctionné par les préteurs qui auraient tout de suite exigé des taux d’intérêts plus élevés pour les financer, sans compter que ces monnaies auraient été immédiatement dévaluées, ce qui aurait stoppé beaucoup plus tôt la bulle d’endettement et aidé au rétablissement de leur compétitivité. Quant aux mécanismes récemment mis en place pour aider les Etats en difficulté comme le MES, ils ne sont pas dotés de fonds suffisants pour solutionner leurs problèmes d’autant que, supposant en contrepartie des plans d’austérité toujours plus contraignants pour eux, ce n’est qu’au bord du précipice qu’ils les solliciteront lorsqu’il sera trop tard pour éviter leurs naufrages (il n’y a que la Grèce qui y a recours alors qu’elle ne peut plus revenir à l’équilibre sauf à sortir de l’euro et à faire défaut sur toute sa dette publique et privée, pendant que l’Espagne pourtant en situation analogue se refuse à demander cette aide). D’où la nécessité d’un fédéralisme fiscal intégral, dont la charge financière pour les contribuables de toute la zone euro serait énorme sans du tout en valoir le coût, pour pouvoir espérer garder les 17 Etats actuels dans la zone. Pour le moment, la BCE et les banques centrales nationales n’aident que les banques commerciales ou d’affaires privées à coup de centaines de milliards d’euros imprimés ex nihilo pour temporairement éviter leur faillite, alors qu’elles ne pourront jamais rembourser la totalité de ces prêts (comme le LTRO d’un montant de 1.100 milliards d’euros), ce qui à leur échéance pourrait entraîner la déconfiture de cette BCE et de ces banques centrales nationales (à moins de les recapitaliser à grands frais).

5/ l’euro, étant donné que le même taux d’intérêt ne convient pas à tous ses Etats-membres dont les niveaux d’inflation et de croissance sont bien différents, a créé d’abord une forte hausse des prix dans la zone puis toutes sortes d’effets secondaires négatifs consubstantiels à ses défauts de conception. Je me bornerai ici à évoquer le mécanisme TARGET 2 de compensation entre banques centrales du SEBC qui a pour effet de transférer aux banques centrales des Etats les plus riches (la Bundesbank surtout mais aussi les banques centrales des Pays-Bas et du Luxembourg) les soldes débiteurs -et les créances pourries des banques commerciales ou d’affaires privées nationales- portés dans les bilans des banques centrales des Etats les plus impécunieux (la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie en particulier). Ainsi la Bundesbank à elle seule est déjà engagée pour près de 750 milliards d’euros de pertes potentielles qui deviendrait réelles en cas de défaut des PIIGS ou d’explosion de la zone euro. On comprend dès lors qu’elle s’oppose au rachat « illimité » des dettes étatiques directement par la BCE via le programme OMT annoncé cet été par Mario Draghi son président, un coup de bluff qui a fait baisser temporairement les taux d’intérêt sur les dettes publiques espagnoles, italiennes et autres, mais qui n’a pas pu se concrétiser puisque le conseil des gouverneurs de la BCE n’a pas donné formellement son feu vert, d’autant qu’il s’agirait d’une violation des statuts de cette BCE comme des traités européens et que Madame Merkel étant entrée en 2013 en année électorale ne compte pas prendre le risque d’être désavouée par la banque centrale allemande sur un sujet aussi brûlant dans son pays, sa gestion pour le moins incohérente de la crise lui ayant déjà valu de perdre toutes les élections régionales auxquelles sa coalition a participé.

*

Nous conclurons en remarquant il n’y a donc que peu de chances de stabiliser la zone euro et de progresser plus avant dans une construction européenne fédéraliste, tant pour des raisons de déficiences structurelles que d’opportunité politique. Personne ne peut dire quand tout cela explosera et si ce sera une déflagration brutale ou bien un délitement progressif. Nous remarquerons avec Jacques Sapir que, contrairement à ce que prétendent certains, « l’Europe a finalement peu à craindre de l’échec de la zone euro. Ce montage institutionnel fait de bric et de broc construit dans l’urgence par une élite politique aux abois et des technocrates sans légitimité peut fort bien disparaître ». Puisque l’Europe a déjà connu des situations bien pires et repartirait ensuite sur d’autres bases plus durables. « Mais, en revanche, l’Europe a tout à craindre du réveil d’un antagonisme franco-allemand qu’alimenterait le juste ressentiment qui naît de l’oppression des intérêts des uns et des autres », lequel se manifesterait immanquablement si le coût du sauvetage de l’euro s’avérait démesuré en aggravant encore la crise économique et le chômage de masse jusqu’à ce qu’elle provoque des situations révolutionnaires du type de celles qu’a connues la France à maintes reprises dans son histoire (la dernière en date remontant à mai 1968). Sans parler de l’Espagne, de la Grèce ou d’autres Nations dont l’exaspération des peuples a déjà conduit à des guerres civiles. Quant aux Allemands, n’aimant ni le désordre ni l’inflation, il est possible qu’ils finissent par se retirer d’un ensemble qui les conduirait à la destruction de ce qu’ils identifient comme leurs « grands équilibres ». Raisons pour lesquelles, il est du devoir des gouvernements responsables de se préparer à des solutions alternatives de remplacement à l’euro actuel au lieu de se résigner à la crise politique majeure que sa continuation porte en germes.

Je voudrais à la fin de cet exposé dire quelques mots sur la prévision, évidemment toujours aléatoire et difficile, mais que l’on doit tout de même tenter de faire quant à la valeur future possible de l’euro sur le marché des changes.

Après avoir été fixée au 1er janvier 1999 à 1,17 lors de son lancement, la parité euro/dollar US a chuté vers 0,85 en 2000 puis est remontée vers 1,60 en 2008 lors du krach boursier qui a mécaniquement augmenté la valeur du dollar US considéré comme une valeur refuge. Elle a rechuté vers 1,20, est remontée ensuite vers 1,32, mais vaut actuellement 1,27. On peut donc dire que l’euro a exceptionnellement bien tenu sans subir de perte massive de confiance pour plusieurs raisons : la balance commerciale de la zone euro est restée excédentaire compte tenu des bonnes performances du commerce extérieur allemand pendant que celle des USA se détériorait, la politique monétaire de la BCE et des banques centrales nationales du SEBC a été beaucoup plus restrictive que celle de la Federal Reserve, en dépit de la création massive d’euros et de dettes en euros pour aider les Etats-membres et les banques, sans provoquer jusqu’ici d’inflation. En ce sens d’ailleurs la BCE a atteint l’objectif du mandat qu’elle a initialement reçu puisque le triple effet de la « trappe à liquidité », de la baisse du multiplicateur de crédit et de la faiblesse de la vitesse de circulation de la monnaie (les banques ne prêtent plus et les agents économiques n’empruntent plus) entretient la pression déflationniste. L’euro a aussi bénéficié, surtout pendant les deux années écoulées, des ventes massives par les banques européennes -aux fins de reconstituer leurs bilans- d’actifs jusqu’alors investis à l’étranger en dollars US principalement qui ont été replacés en euros, comme de la politique monétaire de la BNS de maintien d’une parité fixe entre le franc suisse et l’euro à 1,20 qui s’est traduite par des achats massifs et continus d’euros réalisés par la banque centrale suisse.

Nous pensons que l’euro/dollar US pourrait maintenant entrer dans une période de turbulences de nature à le faire baisser (ce qui est d’ailleurs dans l’intérêt immédiat de la zone euro pour limiter ses pertes de marchés à l’exportation) puisque la récession économique est plus forte en Europe qu’aux USA et que la perte de compétitivité européenne ne sera pas redressée ni par les plans draconiens d’austérité ni par la baisse du pouvoir d’achat des Européens via la diminution du coût du travail. La perspective d’éclatement de la zone euro, quelles que soient les solutions retenues ou les dérives inattendues qui pourraient se déclencher, devrait peser de plus en plus négativement sur la parité euro/dollar US. Même si les USA ont aussi d’énormes problèmes à régler comme l’indispensable diminution de leur endettement exponentiel, leur dette publique ayant doublé depuis 2006 (en particulier pendant le premier mandat d’Obama qui a été calamiteux de ce point de vue) pour atteindre au bas mot stricto sensu près de 16 à 17.000 milliards de dollars US, tout en tentant d’éviter un « fiscal cliff » trop brutal mais en mettant un terme au plus vite aux conséquences dommageables du « Quantitative Easing Forever » décidé par Bernanke -l’hélicoptère à jeter des dollars US fraîchement imprimés sur Wall Street pour entretenir à l’infini les bulles alternatives des actions ou des obligations américaines au risque que, lorsqu’elles exploseront nécessairement les arbres ne montant jamais jusqu’au ciel, le krach final soit incontrôlable-. De telle sorte qu’une cassure à la baisse du support vers 1,26 mais surtout vers 1,20 sur l’euro/dollar US pourrait le faire progressivement tomber vers la parité avec le risque inflationniste qui alors reprendrait ses droits dans la zone euro, sans compter la forte baisse des actifs « risk-on » comme les actions qui se produirait. Les Allemands, adeptes d’une monnaie forte et traumatisés par leur expérience monétaire hyper-inflationniste sous la République de Weimar, une population vieillissante composée d’une majorité de retraités dès 2030, l’accepteraient-ils ?

Ludwig von Mises remarquait que « l’ordre ne sera rétabli dans la vie économique que lorsque le désordre monétaire aura pris fin, grâce au retour de l’étalon-or » parce qu’« une monnaie de papier est une créance sur un inconnu, sur un pays ou sur un gouvernement dont personne ne peut prévoir à l’avance les aventures politiques, sociales ou financières et les décisions arbitraires » renchérissait Charles Rist. Combien de temps encore va-t-on nier l’évidence ?

Les politiciens -européistes en particulier-, pour justifier leur emprise croissante sur les mécanismes économiques et monétaires prétendent que l’insolvabilité globale actuelle des systèmes bancaire et monétaire occidentaux tient aux excès du libéralisme, alors même que ce sont l’étatisme et le socialisme rampant, sources de l’endettement abyssal et de la manipulation monétaire, qui ont déclenché la crise et entretenu son mauvais traitement. C’est leur épaisse sottise qui fait répéter jusqu’à l’ivresse que le libéralisme c’est la jungle, l’état de nature, l’humanité rendue au règne et à la colère des choses, alors que pour les théoriciens de l’Ecole de Manchester, pour Adam Smith, pour Jeremy Bentham ou, plus récemment pour Friedrich von Hayek, Ludwig von Mises, Jacques Rueff ou Maurice Allais, c’est l’effort visant, au contraire, à maîtriser la loi de la jungle, sortir de l’état de nature, inventer des normes et des règles permettant de surmonter la lutte de tous contre tous. Ainsi que le constatait Montesquieu dans « L’esprit des lois » : « Sans liberté économique, la liberté politique est en péril ! »  De nos jours, après plus d’un siècle de politiques keynésiennes laxistes de la part des Etats et de création monétaire illimitée gagée sur le néant par le cartel des banques centrales, on peut compléter cette déclaration d’évidence en ajoutant que sans liberté monétaire, la liberté économique ne peut pas s’exercer !

Pierre Leconte

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