Genève: La burqa mais pas la soutane

La ville de Genève vient d’interdire une manifestation de catholiques au prétexte qu’on risquait d’y voir défiler… des soutanes.

Le département de l'environnement urbain et de la sécurité de la ville de Genève vient d'interdire la tenue d'une manifestation « pour apporter [un] témoignage sur l'avortement », place des Nations, à un groupement de catholiques de rite traditionnel en raison des soutanes de son clergé, pourtant la marque de fabrique de ces mouvements dits 'traditionnalistes'.

Fabrice Fortin, chef d'unité du service de la sécurité et de l'espace public, dit craindre que les participants ne soient vêtus d' « habits sacerdotaux », ne brandissent croix et autres images de la Vierge, et n'y tiennent des « prêches » (sic).

A l'appui d'une décision qui semble violer directement libertés de croyance et d'expression, Fabrice Fortin invoque une loi vieille de... 137 ans, la Loi sur le culte extérieur (LCExt), qui punit de l'amende « le port de tout costume ecclésiastique ou appartenant à un ordre religieux ». Et les derniers fantômes du Kulturkampf de flotter lugubrement sur la Rome protestante.

La LCExt qui, soit dit en passant, n'est plus applicable depuis un arrêt du Tribunal fédéral de 1982, a manqué d'être changée, en 2010, en loi contre les signes religieux extérieurs, avec le voile islamique en toile de fond. Devant le risque, probable, d'inapplicabilité, et celui, certain, de riposte immédiate de la clientèle musulmane, le projet de réforme avait été retiré in extremis. Ainsi cette loi, établie alors ouvertement à l'intention de l'Eglise catholique, est-elle restée ce qu'elle était, et la vieille guerre de religion peut-elle continuer de se jouer 150 ans après le “Sondrebond”. Taquiner le « papiste » reste donc autorisé, pas touche, en revanche, au touriste qatari ou saoudien; on ne plaisante pas, à Genève, avec 200 millions de revenus annuels.

Un problème juridique

Selon Me Léonard Bruchez, avocat à Lausanne, diplômé en droit canonique et en droit ecclésiastique, interrogé par lesobservateurs.ch, le refus de la ville pose plusieurs problèmes: « En raison du type d’usage du domaine public, de la nature et du nombre des droits fondamentaux en cause, le refus de l’autorisation devrait demeurer l’exception; l’octroi, la règle ». En effet, « les requérants n’entendaient pas établir de construction ou faire usage du domaine public à des fins industrielles ou commerciales, mais simplement apporter un témoignage sur l’avortement ».

« On voit mal quelle disposition légale ou quel motif de sécurité publique pourrait justifier une interdiction pure et simple de rassemblement, fut-il fondé sur une base religieuse », continue le canoniste. « En plus de reposer sur une base légale claire, toute restriction des droits fondamentaux doit répondre à un intérêt public, être proportionnée et ne pas violer l’essence des droits fondamentaux. Il apparaît que la Loi sur le culte extérieur est manifestement impropre pour une restrictiction de ce genre dès lors que le Tribunal fédéral, il y déjà bien longtemps, a indiscutablement relevé le caractère anticonstitutionnel de cette loi ».

« En aboutissant à une interdiction totale, la décision de la ville de Genève semble disproportionnée, donc, difficilement soutenable sur le plan juridique », conclut-il sans hésiter.

Burlesque

De son côté, l'abbé Henry Wuilloud, supérieur de la Fraternité sacerdotale saint Pie X en Suisse, qui avait rédigé la demande d'autorisation, semble prendre les choses avec une philosophie amusée et d'autant plus étonnée que de semblables manifestations avaient été autorisées sans problème les deux années précédentes.

« Le prêtre catholique est encore considéré comme sectaire à Genève au XXIe siècle, je trouve cela d'un burlesque indicible », déclare-t-il, sourire en coin.

Le port de la soutane est inscrit dans les statuts de la congrégation et la prise d'habit fait même l'objet d'une cérémonie au début des années de séminaire. « La soutane est l'habit de notre ordre, il est absolument impensable de nous demander de nous déshabiller », assure l'abbé Wuilloud. « Il y a une année, je me promenais en soutane au Maroc. De toute évidence, la plus vieille monarchie du monde musulman est encore plus éclairée que la République de Genève ». Post tenebras...

Fabrice Fortin, quant à lui, est resté inatteignable. Ce qui est fort dommage, nous aurions pu lui demander si la ville de Genève avait l'intention d'interdire la prochaine Gay pride au motif que les manifestants s'y promènent déguisés en bonnes soeurs.

Mais le but des autorités ne serait-il pas, en somme, de tendre à la paix sociale et, pourquoi pas, religieuse, et non pas de s'essouffler vainement sur les braises d'un autre temps ?

 

Un commentaire

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Je pense que c’est l’esprit de Genève! C’est tout! Et je suis autorisé, si c’était nécessaire, à publier in extenso la lettre dans laquelle Jean Raspail m’écrit que Genève est une ville foutue! Jean Raspail est l’auteur, entre autres ouvrages passionnants, de « Le camp des saints », récemment réédité.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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