« Corée du Nord – 9 ans pour fuir l’enfer » d’Eunsun Kim

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Que sait-on de la Corée du Nord? Pas grand chose, pour la bonne raison que c’est un pays qui vit en vase clos et où le peuple est encore de nos jours retenu prisonnier.

Une fois qu'on a dit qu'il s'agissait du dernier pays stalinien de la planète (est-ce vrai?), on a tout dit. Mais c'est un peu court pour se faire une idée de ce qui s'y passe réellement.

Eunsun Kim n'est pas le nom de l'auteur. Afin de ne pas mettre en danger les membres de sa famille restés là-bas, elle a pris ce pseudonyme.

Aidée de Sébastien Falletti, correspondant du Figaro et du Point à Séoul, Eunsun Kim lève dans son livre un coin du voile qui recouvre pudiquement la vérité sur l'enfer coréen et sur le socialisme dynastique des Kim.

Au fil du récit Eunsun nous révèle en effet la vie quotidienne en Corée du Nord, l'embrigadement des esprits dès l'école, l'obligation d'assister à des exécutions publiques dès le plus jeune âge, le culte de la personnalité vouée à Kim Il-sung puis à son fils Kim Jong-il, l'ignorance de ce qui se passe dans le reste du monde, capitaliste, dépeint comme un enfer.

Son témoignage est certes très émouvant, mais il est aussi très instructif parce qu'il nous montre la Corée du Nord vue par une enfant, qui y a vécu jusqu'à ses douze ans et qui n'a dû qu'à la fuite d'être toujours de ce monde. C'est le récit de cette fuite salutaire, avec les pieds, qui nous est conté.

Eunsun Kim, sa grande soeur Keumsun et leur mère n'ont pas fui parce qu'elles étaient hostiles au régime en place, dont elles ne comprendront l'inhumanité et l'asservissement que bien après, mais parce qu'elles avaient faim et parce qu'elles voulaient tout bonnement survivre. Or il ne leur était plus possible de se nourrir faute de ressources.

L'économie nord-coréenne vit sous perfusion de l'Union soviétique. L'aide du grand frère communiste cesse avec la chute du régime en 1991. A partir de cette année-là l'économie de la Corée du Nord est complètement déstabilisée. Et la famine y fait son apparition dans le milieu des années 1990.

En 1994 les grands-parents de l'auteur y succombent, puis son père en novembre 1997. Le récit commence d'ailleurs vraiment quelques semaines plus tard. Eunsun raconte qu'elle est gagnée par le désespoir quand, au bout de six jours, elle ne voit pas revenir sa mère et sa grande soeur, parties pour la grande ville voisine à la recherche de nourriture.

Eunsun rédige alors son testament - elle a onze ans -, puis s'endort avec la pensée qu'elle ne se réveillera plus jamais. Quelques heures plus tard, elle est réveillée par sa mère, suivie de sa grande soeur. Elles sont malheureusement rentrées bredouilles, mais, au moins, Eunsun n'est plus seule si, désormais, son enfance lui est définitivement volée.

A bout de forces la mère d'Eunsun l'envoie chez une amie et envoie Keumsun chez une de ses soeurs. A leur retour elle a pris sa décision, fuir. Où? En Chine. Comment? En traversant une rivière qui est la frontière naturelle entre les deux pays et qui se trouve à une heure de la petite ville où elles habitent.

Les 9 ans du sous-titre du livre sont le temps qu'il leur faut pour rejoindre la Corée du Sud après toutes sortes de tribulations. Pour survivre Eunsun devient fille de rue après la première tentative avortée de franchissement de la frontière. A l'issue de la deuxième tentative toutes trois sont vendues par leur hôtesse chinoise à un fermier qui veut que la mère lui donne un fils.

Après la naissance du petit frère d'Eunsun, Tchang Tsian, les trois nord-coréennes sont dénoncées et la police chinoise les renvoie dans l'enfer nord-coréen. Après avoir été en camp de rééducation, elles saisissent une occasion de partir en cavale et de franchir une troisième fois la frontière:

« La misère en Chine vaut quand même mieux que la famine en Corée du Nord ».

Après être retournées à la ferme chinoise, leur seul point d'ancrage en Chine, la vie y devenant très vite un enfer, elles prennent la fuite une nouvelle fois, vivent en clandestines et commencent à rêver de Corée du Sud, où elles finissent par aboutir après bien des péripéties et grâce à une grande persévérance, mais où elles sont considérées comme des citoyennes de deuxième classe.

L'auteur conclut son récit en ces termes:

« Si ce témoignage peut participer à la prise de conscience générale de notre détresse et alerter le reste du monde, justement, sur l'iniquité et le tragique anachronisme du régime nord-coréen, il n'aura pas été inutile ».

Aucun témoignage sur la servitude n'est jamais inutile, ne serait-ce que pour se rendre compte combien est précieuse la liberté. Car la liberté est toujours menacée, même dans nos pays, même si c'est à un bien moindre degré. La défense de la liberté est un combat qu'il faut sans cesse recommencer contre les Etats, toujours enclins, par nature, à asservir.

 

Corée du Nord - 9 ans pour fuir l'enfer, d'Eunsun Kim avec Sébastien Falletti, 256 pages, Michel Lafon ici

Source: blog de Francis Richard 

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