A l’Ouest, pour respirer un peu…

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PHILIPPE BARRAUD

Wallace Stegner est un grand écrivain américain, qui sait faire vivre comme personne ce qui fait la grandeur, et mieux encore, la nécessité des paysages sauvages, qui nous recentrent et nous permettent de regarder au fond de nous-mêmes.
Toute personne ayant visité l’Ouest des Etats-Unis et du Canada aura fait l’expérience, inoubliable et bouleversante, de l’immensité. Une immensité inconnue en Europe, essentiellement désertique, et généralement bien préservée – même si, aux yeux de nombre d’Américains, elle ne l’est pas assez.
Wallace Stegner est né en 1909 dans une famille de paysans nomades très pauvres. Il a erré avec ses parents du Saskatchewan au Montana, puis à l’Idaho, puis à l’Utah, puis à la Californie, entre autres. Sa formation d’homme, et plus précisément d’Américain, il l’a trouvée dans cette immersion dans une nature démesurée, sous des horizons infinis, dans un monde peuplé d’une pléthore d’animaux, dans la solitude aussi, puisque les voisins sont forcément très loin, quand il y en a.
Terre d’espoirs et de désillusions également immenses, nature violente et rude, l’Ouest a, par quelque magie – peut-être tout simplement sa grandeur et la beauté déchirante de ses paysages – contribué fortement à forger un type de personnalité imprégné d’indépendance et de liberté qui perdure aujourd’hui. Selon Stegner, l’Ouest a fabriqué «un nouvel homme (…) créé de solitude, d’isolement, de liberté totale et d’autosuffisance.» Cet homme «s’est fait la main face à un millier de dangers et s’était perfectionné à un millier d’activités. Il était aussi autonome qu’un Indien dans les bois, et plus redoutable encore.»
Dans ses Lettres pour un monde sauvage1, qui vient de paraître dans une très belle traduction, Stegner évoque avec une justesse rare et des images littéraires étincelantes ce qui fait la beauté et la spécificité unique de l’Ouest, que ce soient les grandes plaines où l’on se sent si petit, les canyons aux couleurs extravagantes, les eaux bleu ciel de Havasupai, ou cette prodigieuse wilderness où seul est permis le pas de l’homme, qui ne fait que passer sans laisser de traces. Certaines sont grandes comme des pays européens, et pourtant, les Américains les jugent rétrécies… Question d’échelle: tenez, la John Muir Trail, c’est 338,6 km dans la Sierra Nevada, sans rencontrer grand monde – d’humain s’entend. Elle fait partie de ces mythiques trails qui ont fait rêver tant de marcheurs anonymes et tant d’écrivains, comme Bill Bryson qui l’a conté dans son hilarant A Walk in the Woods (Promenons-nous dans les bois)2 sur les 3650 km de l’Appalchian Trail (dans l’Est celui-là) ou le Wild de Cheryl Strayed3 sur les 4286 km du Pacific Crest Trail.
Pour qui se sent à l’étroit dans notre Europe dénaturée et surpeuplée, l’Ouest constitue un formidable moyen de ressourcement moral et spirituel, un recentrage sur notre condition d’homme au coeur de la nature sauvage, et un apprentissage jamais fini de la vie dans la nature. Alors, en attendant de partir se remplir les sens et les poumons dans les grands espaces, lisons et relisons les grands écrivains de la nature et de l’Ouest – Thoreau, John Muir, Ansel Adams, John Wesley Powell… et Wallace Stegner, naturellement.

  1. Wallace Stegner : Lettres pour le monde sauvage. Gallmeister, 2015.
  1. Bill Bryson : A Walk in the Woods, Broadway Books, 1998 – Promenons-nous dans les bois, Payot 2013.
  2. Cheryl Strayed : Wild, Alfred A. Knopf, 2012. – Wild, Arthaud 2013

 

 

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