L’Espagne, matrice des tueurs de gauche

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

 

Je regardais l’autre soir un film sur Ernest Hemingway et Martha Gellhorn, journaliste américaine et militante communiste. Moi qui suis devenu anticommuniste après Mai 68, j’étais pourtant ému. Tant de ferveur chez les Républicains espagnols, tant de rêves, tant de solidarité, comment rester insensible ? Il faut avoir tué son cœur pour réagir seulement selon son intellect, selon une grille  d’interprétation du réel, selon une grille gauche/droite par exemple avec purs et impurs en colonnes par deux. Même chose avec les réfugiés qui affluent aujourd’hui en Europe. Il faut avoir tué son cœur pour ne pas voir ces mères qui, avec leurs enfants, essaient de survivre sur le pont brûlant d’un bateau, sans toilette, sans beaucoup d’eau ou de nourriture.

Mais laisser parler son émotion en ignorant ce que nous dit notre intellect, à savoir que parmi ces réfugiés il y a de potentiels djihadistes,  proxénètes, mafieux, ce n’est pas mieux. Tuer son cœur pour se comporter selon des schémas intellectuels provoque aussi sûrement des exterminations que l’inverse, c’est-à-dire tuer son intellect au nom d’une compassion universelle. Cela provoque des haines effroyables comme on peut le voir dans les commentaires de plusieurs sites Web.

Une certaine gauche larmoyante devant les réfugiés se comporte selon un schéma humanitaire. Ce n’est pas son cœur qu’elle épanche lorsqu’elle les défend en bloc, mais sa manichéenne représentation du réel avec bons et méchants bien rangés. Les réfugiés, ils s’en fichent et les utilisent pour promouvoir la cause de l’ouverture, des droits de l’homme, de la tolérance et autres niaiseries.

Je ferme la parenthèse et reviens à la guerre civile en Espagne. Jeune, j’avais lu L’Espoir de Malraux et regrettai pendant deux ou trois ans de n’avoir pu partir avec lui pour lutter contre la tyrannie. J’étais né  beaucoup trop tard.

La suite des rêves des antifascistes espagnols, nous la connaissons. Élimination des hommes de gauche qui ne faisaient pas allégeance aux communistes staliniens. Orwell faillit y laisser sa peau et son expérience espagnole sera la matrice de 1984. Alexandre Orlov, envoyé par Moscou, fut chargé par Staline de liquider trotskistes et anarchistes. Il fut aussi chargé du transfert de l’or et des monnaies de la banque d’Espagne à l’URSS via Odessa, un transfert qui était en réalité un vol pur et simple. A qui revient la palme du plus « efficace » ennemi des Républicains ? A Franco ou à Orlov-Staline ?

Il y avait quelques années on pouvait encore voir, lorsqu’on descendait vers le Sud de la France, des inscriptions peintes sur les murs des maisons bordant la route conduisant de Grenoble à Marseille : « A bas le fascisme – Mort à Franco ». Ceux qui ont peint ces inscriptions, contrairement aux combattants du POUM et des Brigades internationales, ne m’ont jamais ému. Ils ne risquaient pas leur vie. En outre, leurs dénonciations étaient pathétiques puisqu’ils auraient pu aussi bien dénoncer le fascisme stalinien.

Le film dont je parlais avait cette vertu de rappeler la rupture entre Hemingway et l’écrivain américain John Dos Passos. Celui-ci comprit qu’un de ses amis républicains, José Robles Pazos, avait été exécuté par les sicaires de Moscou, à peu près au même moment qu’Andres Nin, un autre républicain, qui malgré sa plus grande proximité avec les communistes, fut lui aussi liquidé. Les deux savaient trop de choses sur les horreurs staliniennes. Le NKVD s’occupa deux.

Ce même film rappelait aussi la présence des communistes, socialistes, anarchistes américains dans les brigades internationales, regroupés dans la brigade Abraham Lincoln. On connaît mal en Europe l’histoire de la gauche américaine qu’on croit apercevoir dans le miroir déformant du maccarthysme, miroir qui fait de cette gauche une pauvre victime, ce qu’elle n’était pas. Les Américains qui sympathisaient avec la gauche étaient nombreux et ceux qui étaient des agents de Moscou étaient loin d’être rares. Alger Hiss,  Whittaker Chambers, les époux Rosenberg, pour ne citer que ces trois noms, jouèrent un rôle important dans des opérations d’espionnage, notamment le vol de documents qui ont permis à Moscou de faire exploser une bombe atomique en 1949 déjà.

La gauche américaine a elle aussi vu plusieurs de ses membres éliminés par Moscou,  comme Nin ou Robles. Ce ne fut pas en Espagne que commença la pratique consistant à purger le parti communiste de tout élément présentant un danger aux yeux de Moscou. Dès 1918, sous l’impulsion de Lénine et Dzerzhinsky inspirés par l’assassinat du tsar en juillet, les victimes se comptent par dizaines de milliers en Russie. Mais c’est en Espagne que cette pratique des purges et des assassinats s’est pour la première fois développée hors de l’URSS, la Suisse figurant elle aussi parmi les terrains d’exercice des tueurs du NKVD avec l’assassinat d’Ignace Reiss en 1937. En Amérique, on assiste au même « développement » la même année avec la « disparition » de Juliette Poyntz, membre fondateur du parti communiste américain. Elle était allée en URSS à l’époque des Grandes Purges et avait commencé à comprendre la nature exterminationniste du communisme. Le NKVD la liquida vite fait bien fait dans le port de New York.

Qu’aujourd’hui encore, on « essentialise » la gauche en la plaçant dans le camp des bons est stupéfiant, car c’est en son sein que se trouvent ses pires ennemis. Ceux qui parlent de chasse aux sorcières en se référant au maccarthisme font sourire. Ce n’est pas à droite qu’on trouve les tueurs des gens de gauche, mais dans la gauche elle-même.

Partout dans le monde des socialistes ont eu leur chemin de Damas. Chevauchant non pas un âne comme saint Paul, mais la ligne politique du parti, ils ont soudainement compris qu’ils étaient les mercenaires d’une bande de tueurs invoquant la justice sociale pour perpétrer leurs crimes. Dès leur retournement, ils craignirent pour leur vie, où qu’ils fussent. L’assassinat de Trotski au Mexique ne fut que le sommet de l’iceberg. Les « retournés » durent partout se cacher, Whittaker-Chambers faisant figure de symbole. Il dissimula les documents qui montraient les activités d’agents communistes infiltrés américaines dans une courge. Aujourd’hui encore on se souvient, aux Etats-Unis, des « Pumpkin Papers ». Chambers survécut, mais pas d’autres.  Et contrairement à ce qui s’est passé avec Trotski, il est souvent impossible de dire s’il y a eu suicide ou assassinat. Je pense à Krachvchenko, à Krivitski, et à bien d’autres, notamment à mon père. Il y a quelques années, cherchant à savoir s’il s’était suicidé ou avait été liquidé, je m’approchai, lors d’un congrès, de Stéphane Courtois, auteur avec Nicolas Werth et d’autres du Livre noir du communisme. Je lui fis part de mon hésitation entre suicide et liquidation.  Malgré le tragique de mon cas, il éclata de rire tant il ne faisait aucun doute, à ses yeux, que mon père avait été liquidé.

Récemment Oskar Gröning a été condamné par un tribunal allemand pour avoir exercé une activité de comptable à Auschwitz. Qu’on condamne les participants à ce régime monstrueux qu’a été le nazisme, rien de plus légitime et même nécessaire. Je regrette seulement que les tueurs lâchés par Moscou dans le monde entier ne soient pas, eux aussi, poursuivis. Je ne parle même pas du goulag.

Jan Marejko, 18 juillet 2015

8 commentaires

  1. Posté par Jean Paul O le

    Je vous recommande « terreur rouge » de Julius Ruiz les tribunaux populaires a Madrid depuis juillet 36 et la continuité de cette activité de répression arbitraire menée par le Front Populaire contre les ennemis de la république… très bien documenté…
    petite anecdote: le dernier descendant de Cristobal Colomb fut fusillé car il ne représentait pas une bonne image républicaine…

  2. Posté par Jan Marejko le

    Margarete Buber-Neumann était une femme courageuse et lucide. L’extraordinaire est que, sauf erreur de ma part, elle était la soeur de Babette Gross, femme de Willy Munzenberg, agent de Moscou très actif en France, mort mystérieusement et donc probablement liquidé par le NKVD.

  3. Posté par Pierre H. le

    @BLUM Dominique : « Je ne sais si vous avez un parti communiste, en Suisse. »

    Petit complément au commentaire précédent… Je disais que la Sibérie leur aurait fait le plus grand bien car ce sont des communistes de salon, mais très dangereux néanmoins.

  4. Posté par Pierre H. le

    @BLUM Dominique : « Je ne sais si vous avez un parti communiste, en Suisse. »

    Officiellement, non. Mais bien de nos socialistes et leur chef sont communistes. Un petit séjour en Sibérie à l’ère soviétique leur aurait fait le plus grand bien…

  5. Posté par KANDEL le

    Désolé, voici encore:
    Livre de Victor Herman
    Le survivant des glaces

  6. Posté par KANDEL le

    Pour se plonger dans les sables mouvants mortels de cette époque, voici des ouvrages super:

    Livres de Margarete Buber-Neumann
    — Déportée en Sibérie

    — Déportée à Ravensbrück

    Livre de Viktor Andreïevitch Kravtchenko
    — J’ai choisi la liberté

    Le Procès Kravchenko contre Les Lettres Françaises. Compte rendu des débats d’après la sténographie.

  7. Posté par BLUM Dominique le

    « Poursuivre les tueurs lâchés par Moscou », écrit Jan Marejko.
    Je ne sais si vous avez un parti communiste, en Suisse.
    Mais nous, en France, nous en avons un , subclaquant, sans doute, mais sous perfusion de subventions d’argent public, avec son organe vital: « l’Huma » qui ne se vend pas , que l’on entretient mieux qu’une sainte relique.
    N’oublions pas que Hollande a été élu aussi grâce aux voix du PCF, de toute l’extrême-gauche qui ne trouve rien à redire aux dictatures, pourvu qu’elles soient cubaines, nord-coréennes, fardées de couleurs socialistes. Lors d’un voyage au Mexique, sur les pas de B.TRAVEN , (cet extraordinaire écrivain dont on ne sait quasiment rien, mais qui fut inspiré par les Indiens du Chiapas :— « Le visiteur du soir »— ), j’eus l’occasion de voir la maison du fameux couple communiste mexicain: DIEGO RIVERA ET FRIDA KALHO.
    Je m’attendais à être introduite dans une demeure sobre, conforme à l’idée d’austérité que je me faisais du communisme.
    Je n’ai jamais vu demeure si charmante, confortable, bourgeoise pour tout dire.
    Quant aux fresques inspirées par le peuple à Diego Rivera, tartinées sur les murs d’une université, c’est à faire fuir.
    En comparaison, l’art soviétique me sembla inspiré, dynamique.

  8. Posté par Pierre H. le

    « Martha Gellhorn, journaliste américaine et militante communiste »

    Militant communiste ou gauchiste, c’est presque un pléonasme ! Qui deviendrait communiste naturellement ? Je veux dire que ceux qui milite pour cette idéologie sont des gens qui doivent tout contrôler et tout imposer aux autres. C’est comme vouloir imposer aux arbres d’avoir des feuilles bleues. Ils ne peuvent pas vivre leur vie et nous foutre la paix ? C’est comme l’intellectualisme de gauche. C’est vrai qu’il faut une encyclopédie de la dimension de l’Encyclopedia Brittanica pour justifier les inepties du gauchisme…

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