Redéfinir et revaloriser le mot « droite » : de l’intérêt d’une revue intellectuelle de droite

La plupart des chefs d’État français ont veillé avec soin à contrôler, ou du moins à « être en phase » avec le monde des idées, et ceux que l’on appela longtemps « les Clercs » et qu’on appelle aujourd’hui les « intellectuels ». Ainsi firent la plupart de nos rois, Charles V créant la Bibliothèque Nationale, François Ier le cercle de la Pléiade, Louis XIII l’Académie Française, Louis XIV ou Louis XV le cénacle étroit mais puissant des artistes et écrivains « pensionnés » ; ainsi firent ensuite Bonaparte puis les « grands hommes » de nos Républiques, qui auraient pu dire avec de Gaulle « Au fond des victoires d’Alexandre, on trouve toujours Aristote ».

Plus près de nous, il serait intéressant de calculer (du moins si elle n’était pas incalculable !), la dette que François Mitterrand devait, en 1981, à l’énorme mobilisation des intellectuels pour assurer l’hégémonie culturelle de la gauche, lentement conquise après la guerre dans les années 50 et 60 puis éclatante sur la ruine du gaullisme au fil des années 70 : peu à peu l’écrasante majorité des revues puis des journaux puis des grands medias et, par là, la plupart des intellectuels (écrivains, éditeurs, universitaires d’abord, avant que ne suive la grande masse des professeurs, magistrats et autres « faiseurs d’opinion ») furent de gauche ; l’hégémonie politique de la gauche et notamment du PS ne fit que procéder de cette hégémonie culturelle, si puissante que rares furent les périodes où, depuis 1981, le Parti Socialiste fut complètement écarté du pouvoir politique – il est significatif que, après la conquête du Sénat en 2011 puis l’élection de François Hollande, la gauche politique ait dominé toutes les institutions françaises, la Présidence de la République, le Gouvernement, les Assemblées, ainsi qu’une écrasante majorité des régions, départements et grandes villes – sans parler de sa domination sur des institutions centrales telles que la Justice, l’Éducation nationale et l’Université. Prise dans ces filets, la droite française ne peut que surnager (à l’exception de la notable victoire nettement droitière de 2007, qui hélas, dans un tel contexte ne put se traduire que par une « ouverture » inconsidérée et d’innombrables concessions aux discours et politiques de gauche) et, même, voir plusieurs de ses ténors contaminés par la pensée dominante…

C’est peu dire que, face à la gauche, la droite française est plongée, intellectuellement et idéologiquement, dans un état d’hébétude quasi-complet qui, la privant de ses mots, et d’une vraie parole populaire, la prive de tout moyen de gouverner réellement, au point qu’elle ne peut plus compter que sur les énormes erreurs de la gauche (dont heureusement le logiciel se détricote d’année en année) pour espérer conquérir le pouvoir politique – hélas, ce pouvoir conquis, elle ne peut en faire grand chose, faute de savoir qui elle est et quels paradigmes la guident, faute de profiter de solides relais dans l’« opinion » et, partant, dans le peuple. Alors qu’elle avait été hégémonique à partir de la fin du XIXe et pour plusieurs décennies, socle qui assura le triomphe d’un Clémenceau ou la longévité d’un Poincaré et qui forma la première génération de la résistance (à commencer par de Gaulle lui-même), la droite a rendu les armes devant le communisme puis le socialisme et ses différents avatars… La gauche française est à bout de souffle, mais règne encore parce qu’il n’y a pas, en France, de droite qui se connaisse, se reconnaisse et se dise telle – c’est peut-être la cause principale de la déréliction dans laquelle est plongé notre pays.

L’auteur de ces lignes a si souvent arpenté la question, jamais examinée par les chefs de la droite et pourtant décisive, des relations entre pouvoir intellectuel et pouvoir politique, il est tellement persuadé que le second ne peut presque rien sans le premier qu’il se propose de consacrer à ce sujet cardinal tout un livre reprenant les théories d’historiens et philosophes tels Vico, Michelet ou Gramsci ; ce dernier, pour le dire en deux mots, a puissamment montré que le politique est tout entier déterminé par les pensées dominantes de l’époque et que celles-ci le sont devenues pour avoir conquis, avant la « doxa » et l’esprit public dans son ensemble, le cerveau des intellectuels secondaires (les « faiseurs d’opinion » : professeurs, instituteurs, journalistes et publicitaires de tout poil…) lesquels ne font que traduire les schémas archétypes et paradigmes auparavant conçus par les intellectuels centraux que sont les écrivains, philosophes et universitaires.

C’est ce travail d’infusion verticale qu’il nous faut réaliser si la droite française se décide à exercer pleinement le pouvoir en disposant d’un suffisant maillage de relais d’opinion, ce qu’elle n’a pas. Elle ne l’aura pas tant qu’elle ne saura pas donner la parole à un nombre significatif d’intellectuels centraux – français et étrangers. Pour ce faire, un premier pas, qui peut paraître secondaire mais dont je suis sûr qu’il pourrait être décisif (surtout s’il en annonce d’autres), serait la création d’une revue intellectuelle de haut niveau qui, sans les réunir (chose impossible : ce sont les républiques grecques) du moins créerait un effet d’affiche qui modifierait le paysage intellectuel français.

À tout le moins, une revue trimestrielle qui se dirait de droite (affichant une ambition du type « restaurer la droite pour redresser la France ») est indispensable pour redonner au simple mot de « droite » ses lettres de noblesse. C’est là le point central, que l’actualité politique et, pour commencer, les avanies de l’UMP illustrent chaque jour : la droite a tant abandonné le terrain sur lequel la gauche exerce à loisir un véritable terrorisme, que rares sont les esprits, universitaires, éditeurs, journalistes, hommes et femmes politiques qui ne sont pas contaminés, à des degrés divers, par une si écrasante hégémonie.

Redonner un contenu valorisant au mot droite en restaurant ses valeurs et ce qu’il faut aussi appeler ses « paradigmes » rassembleurs est le premier pas d’une droite décomplexée : il faut un jour aimer se dire de droite, se sentir valorisé par ce mot, lui donner un sens noble. Je tiens à disposition une note séparée sur les paradigmes possibles d’une droite française qui me pourrait pouvoir être héritière des grands « Classiques » que, depuis la fameuse « Querelle » des années 1700 les Modernes ont réussi à faire passer à l’arrière-plan – et avec eux l’héritage de ce que l’on peut appeler la Pensée française, aves ses féconds paradigmes que sont les libertés (mot retourné par l’hégémonie de gauche depuis la révolution française), la tradition, la nature et la Nature humaine, etc. C’est par  ces quelques mots que la droite peut se retrouver, retrouver une unité d’abord, puis une audience et par là une légitimité populaire. Nulle phrase n’est plus à méditer que celle de Péguy : « Tout ce qui élève unit ». Dans le désert des idées, la division est inévitable – l’UMP en a fait la preuve.

En 1997, après le triste épisode de la dissolution, j’ai développé ce raisonnement dans une longue note adressée à Philippe Seguin pour le convaincre de doter le RPR d’une revue : ainsi naquit en 1998 la revue trimestrielle « Une Certaine Idée » – placée sous la direction de Jean de Boishue, Directeur de la publication et de moi-même qui en fut Directeur de la rédaction ; elle disparut hélas au bout de deux ans, après le départ de Philippe Séguin, non sans avoir atteint à l’été 1999 5 000 abonnés, battant toutes les revues de la rive gauche, « Esprit, Les Temps modernes, Le Débat, Commentaires », et même la vielle Revue des deux Mondes. C’est dans cet esprit que je souhaite relancer la revue « Les Cahiers de l’Indépendance » lancée en 2007 mais que j’ai dû abandonner après son 12e numéro peu après avoir quitté le Parlement européen. Il me semble que l’heure est venue d’élever les esprits de droite pour les unir, leur permettre de savoir qui ils sont, d’être entendus et compris, de conquérir le pouvoir politique en déshérence – et surtout de l’exercer.

Source et auteur : Les cahiers de l’indépendance, Paul-Marie Coûteaux, Directeur de la publication

Lien vers la revue :

http://cahiersindependance.com

 

 Merci à Stevan M.

 

Un commentaire

  1. Posté par BLUM Dominique le

    L’idée de M. Paul-Marie Coûteaux est bonne.
    Ayant découvert cet intellectuel dans « Valeurs actuelles », il y a qqs années, je trouvai sa pensée , ainsi que celle des autres contributeurs de ce magazine, plutôt revigorantes, dans l’ensemble.
    Ce qui me surprit, cependant, c’est l’espèce d’évanouissement dont il fut saisi, qqs semaines avant les présidentielles de 2012: alors qu’il aurait fallu se battre jusqu’au bout, pour démasquer l’imposteur que les médias dominants poussaient de toute leur puissance propagandiste, jusqu’au sommet de l’Etat,  » Valeurs » devint zombie.

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