Europe et démocratie : la double illusion !

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Oui-et-NonComme l’écrivait Péguy, « tout commence en mystique et finit en politique ». L’Europe fut un rêve au lendemain de la 2e guerre mondiale. Les Européens traumatisés par les ravages des deux conflits qui avaient frappé leur continent, menacés par le totalitarisme soviétique alors qu’ils venaient à peine d’échapper à la terreur nazie, décidèrent de tourner la page, et de rebâtir la partie du continent qui demeurait libre et connaissait des institutions démocratiques au travers d’un édifice communautaire. Un même courant de pensée animait nombre de leurs dirigeants en France avec Robert Schuman, en Allemagne avec Konrad Adenauer, en Italie avec Alcide de Gasperi. Il alliait l’idéal démocratique à la référence chrétienne, s’opposait aux nationalismes et au marxisme, voulait construire une Europe fondée sur la paix et la prospérité nécessaires au progrès social. D’autres personnalités, liées aux Anglo-saxons, comme Jean Monnet et Paul-Henri Spaak s’embarrassaient moins de philosophie chrétienne mais souhaitaient faire tomber les frontières pour permettre au marché d’irriguer le développement du continent. Peu à peu, c’est cette seconde dynamique qui a prévalu, à mesure que l’identité chrétienne de l’Europe était mise en retrait. Toutefois, par un beau paradoxe, dans le mouvement d’élargissement et d’approfondissement de la construction européenne, la politique a pris l’ascendant sur l’économie. Le Marché Commun a laissé la place à l’Union Européenne. Les plus fervents partisans du fédéralisme ont même doté la majorité des pays d’une monnaie unique avant que les conditions économiques de son existence soient réunies.

Cette contradiction initiale engendre deux conséquences. La première, c’est des pays européens, minoritaires mais importants,  entendent préserver leur identité et une part de souveraineté. Ils n’ont pas adopté l’Euro, même quand ils le pouvaient, et s’en portent d’autant mieux. Ils entendent conserver la maîtrise de certains aspects leur politique nationale. C’est le cas du Royaume-Uni, comme de la Pologne ou de la Hongrie. Il y a donc deux « Europe ». La seconde, c’est le déficit démocratique de l’Europe. Certes, l’Europe est démocratique au sens que Churchill donnait à ce mot en disant qu’il correspondait aux pays où lorsqu’on sonne à votre domicile à 6 heures du matin, vous êtes sûr que c’est le laitier. Mais, la démocratie, c’est aussi un Etat qui repose sur le pouvoir du peuple, comme son nom l’indique. Pour atteindre cet objectif, il, il faut remplir deux conditions : d’abord qu’il y ait un peuple ; ensuite qu’il puisse se faire entendre. Les palinodies grecques de cette semaine dissipent l’illusion que l’Europe soit démocratique. « Le » peuple grec a majoritairement choisi à deux reprises de refuser « l’austérité », en élisant Tsipras en janvier et en votant « non » à 60% au référendum-surprise organisé par celui-ci. Mais, il a, en même temps, et sans cohérence, suivi la ligne démagogique de son Premier Ministre, voulant l’euro, sans l’austérité. Même si le oui a été minoritaire, il a montré combien « le » peuple était divisé entre ceux qui perçoivent cette contradiction parce que leur situation, leur âge, leur niveau d’études les y poussent et les autres. Comme en France, la Grèce est à deux vitesses entre une secteur public protégé, privilégié et un secteur privé exposé et sacrifié. Au moins le vote incohérent d’un peuple divisé aurait-il pu être respecté. Non, Tsipras qui a fait replonger son pays dans la récession depuis son élection en bloquant les mesures prises par le gouvernement précédent, en arrêtant brutalement les négociations avec Bruxelles, et acculé les Grecs à quémander « leur » argent aux guichets des banques, revient aujourd’hui avec des propositions qu’il refusait hier et que le peuple a majoritairement repoussées.

Cette mise en scène vise deux buts. Le premier est pour Tsipras de garder le pouvoir. Le second, qui garantit le premier, est d’obtenir, en échange de sa bonne volonté, une restructuration de la dette, un étalement des échéances, qui justifieront le référendum dans les discours. Le peuple aura été utilisé, manipulé : il aura l’Euro et l’austérité, mais aura servi à M.Tsipras pour garder le pouvoir jusqu’à la prochaine crise, puisque que cet expédient ne résoudra pas  le problème structurel qui sépare la Grèce de la monnaie unique. A moins que les pays les plus rigoureux, comme la Finlande, ne s’y opposent, le Grexit sera donc évité, et les dirigeants des pays les plus importants pousseront un soupir de soulagement, puisque l’illusion européenne n’aura pas été ébréchée par la désertion d’un des membres de l’Union.

Pendant ce temps, on apprenait que 135 000 clandestins avaient abordé les côtes européennes depuis janvier, que le nombre des demandeurs d’asile avait bondi de 68%, et que la France allait accueillir plus de 9000 réfugiés, alors que les Français sont à 64% opposés à cet accueil et favorables au rétablissement du contrôle des frontières à 68%. Mais, là aussi, l’avis du peuple compte peu et on ne risquera pas un référendum. Quant au peuple, contesté dans son identité et son unité, il ne pourra même plus se réfugier-à son tour- dans le patriotisme constitutionnel cher à Habermas et rassemblant les citoyens dans une société multiculturelle, puisqu’ils seront de plus en plus nombreux parmi ceux-ci à se référer à une loi supérieure à la Constitution. Un peuple qu’on n’écoute pas, un peuple qu’on dissout : la démocratie européenne ? Le rêve n’est plus qu’une illusion qui s’efface.

 

 

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