Tsipras ou l’imprévu dans l’histoire

 

L’unification politique des nations européennes imposée par une UE hégémonique et post-démocratique n’est pas une évolution inévitable. Le refus définitif de Tsipras de s’incliner devant Bruxelles ainsi que le vibrant appel lancé à ses concitoyens à se libérer du joug étranger marquent un tournant en Europe. Ils nous rappellent qu’il n’y a pas de fatalité en histoire et que des hommes audacieux peuvent permettre à un peuple asservi de reconquérir sa liberté et sa dignité.

La stupéfaction et l’indignation règnent depuis samedi dans les couloirs de la Commission européenne. Les raisons ? Alexis Tsipras, premier ministre grec, a annoncé irrévocablement qu’il ne se plierait pas aux injonctions de Bruxelles. Pire, il a décidé d’organiser un référendum le 5 juillet pour donner au peuple grec la possibilité de se prononcer sur les « réformes » économiques exigées par l’UE.

La plupart des observateurs ont été surpris par la rebuffade de Tsipras et par sa décision de laisser le peuple grec avoir le dernier mot. A commencer par les institutions de l’UE, habituées à prévaloir sur les intérêts nationaux depuis de nombreuses années. Pour une fois, un gouvernement ne recule pas devant les pressions internationales, dit non et se rebelle vraiment ! Rien de tout cela n’était prévu par les eurocrates ! Il faut dire que les têtes pensantes de Bruxelles sont persuadées que la fin des Etats-nations et l’avènement de l’UE en tant que super-Etat illustrent, à l’échelle de notre continent, le processus de réalisation de la raison dans l’histoire énoncé par Hegel. D’après Bruxelles, l’unification politique européenne est écrite; elle est inévitable car elle va dans le sens de l’histoire que le philosophe allemand croyait discerner. Quant à la Grèce, l’UE l’a perçue jusqu’à présent comme un cancre récalcitrant mais insignifiant. Et elle comptait bien la remettre fermement dans le droit chemin afin que ses velléités d’indépendance d’un autre âge ne viennent pas perturber la marche triomphante de la bureaucratie « éclairée » vers la suprématie politique en Europe.

Mais la technocratie qui dirige l’UE pourrait bientôt apprendre à ses dépens que l’histoire n’est jamais écrite d’avance du fait de ce que Dominique Venner appelait l’imprévu dans l’histoire.

Le premier ministre grec possède un certain nombre de caractéristiques lui permettant de personnifier cette notion d’inattendu historique. Tout d’abord, il ne vient pas d’une des familles patriciennes grecques associées au pouvoir depuis trop longtemps. Il n’a donc pas à défendre le système politique grec en place depuis la fin de la dictature des colonels en 1974, que ce soit dans sa dimension purement nationale entachée de corruption ou dans ses relations avec l’UE empreintes de complaisance et de soumission. Par ailleurs, tout juste âgé de 40 ans et député au parlement grec depuis seulement 2009, il est bien trop nouveau en politique pour avoir été appréhendé à sa juste valeur par les eurocrates. Enfin, Tsipras est un « cœur pur » intransigeant et téméraire qui se laisse parfois submerger par la violence de ses émotions. Pour toutes ces raisons, Tsipras est totalement imprévisible.

A un autre moment capital de leur histoire où ils durent comme aujourd’hui affronter un ennemi massivement supérieur en nombre et décidé à les réduire à l’esclavage, les Grecs eurent la sagesse de confier leur destinée à un stratège aux méthodes inhabituelles dont le courage et l’audace leur permirent de se sortir d’une situation a priori désespérée. Homme d’Etat athénien de l’Antiquité, Thémistocle mena les Grecs à la victoire contre les Perses en 480 av. J.-C. grâce à la bataille navale décisive de Salamine. La clé du succès fut d’évacuer Athènes — que ses habitants ne pouvaient espérer défendre longtemps face à la gigantesque armée de Xerxès 1er— et d’attirer l’imposante flotte perse dans l’étroite rade de Salamine où, ne pouvant manœuvrer à son aise, elle fut éperonnée et anéantie par les rapides et redoutables trières grecques. Coupée de sa flotte, l’armée de terre perse décida de rebrousser chemin malgré son invasion de l’Attique. Les cités et la civilisation grecques étaient sauvées.

En provoquant un défaut de paiement sur la dette souveraine de son pays et en laissant planer le doute sur la sortie de la zone euro qui pourrait en être la conséquence, Tsipras demande aux Grecs de 2015 la même chose que Thémistocle aux Athéniens de -480 quand ce dernier les exhortait à déserter provisoirement leur ville: renoncer à l’illusion du connu qui ne mène qu’à la défaite pour oser la rupture et l’inconnu afin de se donner une chance de gagner leur dignité d’hommes libres.

Comme Athènes au 5ème siècle avant notre ère, la Grèce pourrait aujourd’hui être le fer de lance de la révolte des peuples contre la tyrannie menaçante à présent incarnée par la technocratie de Bruxelles dont les méthodes de plus en plus autoritaires conduisent l’Europe vers une dictature molle. Ce soulèvement pourrait être le début de la fin non seulement de l’euro mais aussi de l’UE sous sa forme liberticide actuelle.

Que cette rébellion éclate en Grèce, pays qui inventa la démocratie, est un hasard heureux de l’histoire qui donne au combat de Tsipras une dimension hautement symbolique. N’en déplaise aux médias très majoritairement europhiles qui ne cessent de le dénigrer, Tsipras n’est certainement pas réductible à un voyou communiste. Il représente un imprévu majeur de l’histoire européenne, un imprévu qui fait déjà vaciller les Juncker et consorts.

Roland  Desjardins, 1er juillet 2015

 

4 commentaires

  1. Posté par Erkangilliers le

    Anne Lauwaert pointe exactement le noeud du problème: vouloir unir l’Europe est une erreur magistrale que tous ceux qui l’ont tentée ont fini par constater de la plus violente des manières.

  2. Posté par Aude le

    Apparemment Tsipras n’a pas informé le peuple grec du plan B, s’il en a un….Cette incertitude s’empare d’une partie de la population.
    Peut-on lui reproché d’avoir mis en oeuvre une politique pour laquelle il a été élu…Bien sûr que non.
    Son gouvenement et lui-même ont écumé une grande partie de l’Europe. Sans compter les interminables discussions avec l’UE..
    Les lobbys financiers ont été inflexibles…avec la bénédiction des baillis de Bruxelles. Bref, ils condamnaient le peuple grec à des décennies de misère.
    Tsipas, l’imprévisible…faux.. C’est la seule UE qui décide, à 19, montrant la porte aux Grecs qu’ils allaient débattre de leur sort au final sans eux. Une humiliation sans précédent.
    Devant le fait accompli, Tsipras n’avait plus qu’une solution se dédouané devant son peuple. En quelque sorte, il lui fait comprendre que toute tentative a échoué et laisse en dernier ressort la parole au peuple. A t-il un autre choix?
    Il ne voulait plus l’austérité qui a saigné le peuple grec durant 5 ans, mais Bruxelles lui a répondu..c’est cela ou on vous coupe les vivres…c’est clair.
    Tsipras n’est allé qu’au bout de son mandat et a affronté les totalitaires de Bruxelles.
    Croyez-vous vraiment que l’UE a eu quelque compassion….aucune..Ils ont les chocottes…et si le peuple grec votait non….L’escalade des pays du Sud serait inéluctable..Adieu le Mastodonte, adieu leurs postes aux salaires mirobolants…adieu le pouvoir….la mort lente..par asphyxie…
    Si les Grecs ont envie de faire rebelotte…c’est parti pour longtemps, s’ils ont le courage de naviguer à vue, qui sait……..Tsipras a-t-il réellement un plan B solide… là réside tout le problème.

  3. Posté par Anne Lauwaert le

    Non, non l’unification de l’Europe ne va pas dans le sens de l’Histoire: tout au long de l’Histoire on centralise puis on voit que ça ne fonctionne pas et on décentralise, puis on unit et puis le peuple n’en veut plus et on désunit etc. c’est un constant va et vient empire romain, Alexandre le Grand, empire ottoman, Charles Quint, Napoléon et donc nous pouvons extrapoler que nous sommes arrivés à l’apogée de la courbe et qu’à partir de maintenant elle va être en descente… puisque plus personne n’est content
    mais on peut aussi dire … guerre, paix, guerre… et puisque nous avons eu une période de paix… ce qui nous attend pourrait bien être un changement là aussi… 🙁

  4. Posté par tmazzone le

    Non. Non, je ne pense pas. Si l’UE tombe c’est qu’elle doit tomber. En revanche, le communiste Tsipras est loin d’être une merveilleuse surprise. Bruxelles n’est pas à ça prêt, Bruxelles peut se permettre de tolérer un peu de désobéissance, et il se pourrait que Tsipras soit, justement, une pierre pour boucher un trou dans la muraille, une façon de maintenir encore un peu plus l’UE, structure qu’il [Tsipras] ne projette visiblement pas de quitter. Tsipras est avant tout le leader d’une force de barrage à la colère des peuples, événement qui ne se produit qu’en cas de crise majeure (économique, culturelle, sociale, ethnique…) et qui tendra fatalement à provoquer un refuge vers le camp radical le plus crédible pour prendre le pouvoir. Tsipras est bien un imprévu dans l’histoire, mais un imprévu qui joue contre le camp du bon sens et de l’ordre naturel des choses, un imprévu peut-être même un peu trop prévu par l’UE pour assurer son maintien malgré une bureaucratie rigide et mal conçue. Un joli tour de passe-passe en attendant l’inéluctable et extrêmement lente désintégration, si lente que, peut-être, l’homme perdra toute raison d’être avant même la structure qui le maintient dans cette état. Un lent et inéluctable chemin vers le Néant. Il ne faut pas désespérer, mais le constat doit être radical et aussi exact que possible si l’on veut ensuite placer intelligemment ses espoirs et ses actes.

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