L’Europe dans l’œil du cyclone

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens
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Samedi 27 juin, à 1h 20 du matin heure locale en Grèce, Alexis Tsipras fit une fracassante déclaration télévisée, s'en remettant à un référendum pour valider ou non la poursuite de l'austérité telle que décidée par la Troïka (FMI, Commission Européenne et Banque Centrale Européenne). Tout le monde fut pris de court - si quelques rares individus purent se féliciter qu'on fasse enfin appel à un vote populaire, la décision arriva bien trop tard pour signifier autre chose que la conclusion d'un incroyable gâchis.

Récit d'un fiasco annoncé

Il faut revenir en arrière pour comprendre ce qui s'est passé ces deux dernières semaines. Le plan européen se terminant officiellement le 30 juin, il devenait de plus en plus pressant de parvenir à un accord, dans le but de libérer les 7,2 milliards d'euros de la dernière tranche du deuxième plan d'aide à la Grèce bloqués depuis l'automne dernier, et ce même si la dette grecque était insoutenable.

acropole.jpgOn négocia donc, s'envoyant propositions et contre-propositions, chacun déclarant avec un optimisme forcené qu'on était "à bout touchant". En fait il n'en était rien ; la discussion virait sans cesse au dialogue de sourds. Côté européen, on voulait des "engagements" et des "réformes" pour restaurer la compétitivité du pays et libérer l’État grec de l'énorme boulet de ses dépenses publiques, afin de le rendre à nouveau viable, tout en réclamant un engagement précis et sur la durée. Côté grec, on s'élevait contre les conséquences sociales de ce tour de vis face à une population fragilisée par des années de crise en réclamant un allègement de la dette elle-même.

L'illusion d'une solution sembla se dessiner lorsque M. Tsipras vint enfin avec de "nouvelles propositions" le 21 juin, lesquelles semblaient enfin correspondre - sur le papier tout au moins - aux objectifs financiers chiffrés formulés jusqu'alors par les Européens. L'optimisme soufflait à nouveau. Il se dissipa assez vite plus tard dans la semaine lorsque le FMI y opposa son veto et le fit tomber à l'eau. Retour à la case départ.

Il est facile de critiquer le FMI pour son application cruelle de critères financiers aveugles, selon la phraséologie à la mode, mais l'histoire n'est pas aussi simple. Le FMI eut au moins le mérite d'avoir présenté une position claire, sans louvoyer, depuis des mois: pour tenir debout, l’État grec devait couper dans ses dépenses. Les trois-quarts des dépenses de l'Etat grec ayant trait aux pensions et aux salaires, c'est par là qu'il fallait réformer.

Tsipras, en bon étatiste, voyait quant à lui le salut dans une augmentation des prélèvements ; de fait, le dernier accord proposé relevait pour 92% de hausses d'impôt et seulement pour 8% d'allègement des dépenses. Non seulement ce qui restait de l'économie grecque aurait été achevé, mais toutes les projections de revenu à court et moyen terme en devenaient totalement fantaisistes, même aux yeux des commissaires européens les plus enthousiastes.

Malheureusement, les propositions du FMI étaient tout aussi impensables pour Tsipras, ex-communiste pour lequel l’État est la finalité de la société. Rappelons par exemple que par pure bravade il réintégra les 2'600 fonctionnaires de la télévision publique dans leurs postes, au mépris de toute prudence financière. N'attribuons pas tous les torts à Alexis Tsipras ; la société grecque est au bout du rouleau et les aînés et leur maigre retraite sont souvent le dernier revenu de familles dévastées par le chômage. Or, 45% des retraités grecs vivent déjà sous le seuil de pauvreté. De plus, tout projet d'accord ramené de Bruxelles aurait dû être validé par le Parlement grec où les radicaux de Syriza règnent ; ils n'auraient eu aucune hésitation à rejeter toute perspective d'une baisse du train de vie de l'Etat.

A quel moment étions-nous "à quelques centimètres" d'un accord, M. Moscovici?

Poker menteur

Les deux positions étant séparées par un gouffre, l'appel à la démocratie était une excellente idée, permettant de démêler un sac de nœuds à la source du problème: l'irrationalité d'une bonne partie de la population grecque, souhaitant à la fois rester dans la zone euro mais rejetant les règles permettant de s'y maintenir.

La déclaration d'Alexis Tsipras et son appel à la démocratie via un référendum aurait pu être un moment historique de génie politique ; à la place, ce fut un désastre.

Le génie eut été de faire cette déclaration une semaine plus tôt, de sorte que le vote puisse se tenir avant la date butoir du 30 juin et influer finalement sur les négociations. En annonçant un référendum tenu après la fin officielle du deuxième plan d'aide à la Grèce, la Troïka se retrouve libérée de toute obligation même en cas de résultat positif du vote.

Bien sûr, on écrira des ouvrages entiers sur cette étrange manœuvre. Depuis les élections de janvier portant Syriza au pouvoir, l'équipe gouvernementale avait eu le temps d'y penser. Estimait-elle que ce référendum tardif finirait par faire plier les créditeurs? Ou au contraire qu'un Non massif renforcerait son pouvoir dans la crise à venir alors que tout était perdu?

Chacun accordera telle ou telle intention à Alexis Tsipras et son équipe selon ses convictions politiques et l'habileté qu'il prête au personnage. Personnellement, il me semble que ce référendum s'apparente à une terrible erreur d'appréciation de la position européenne. Si la Grèce avait franchement opté pour l'affrontement, elle aurait pu le faire plus tôt et avec bien plus de chances de succès ; elle était mieux lotie et en position de force au début de l'année. Mais au contraire Athènes choisit la voie de la conciliation pendant des mois, s'épuisant dans l'intervalle. Rappelons qu'au mois de mai la Grèce ne parvint à rembourser ses mensualités qu'en exploitant une ligne de crédit d'urgence du FMI réservée aux catastrophes naturelles. Quel intérêt de choisir la voie de fierté et de l'opposition après avoir vidé les caisses jusqu'au dernier centime?

referendum_tsipras.jpgAlexis Tsipras fait penser à un joueur de poker recevant une mauvaise main, décidant de bluffer quand même, et finissant par engloutir tous ses jetons dans la manœuvre au lieu de se coucher quand il avait encore quelque chose.

Au moins l'épopée interminable de la dette grecque touche-t-elle à sa fin. Mais pour les créanciers de la Grèce, l'histoire est loin d'être finie.

Le Chaos en Grèce

La Grèce fera officiellement défaut le 30 juin au soir. Cela déclenchera une cascade de conséquences intérieures allant de l'introduction d'une nouvelle monnaie locale à des troubles civils qui ne manqueront pas d'égayer le séjour des touristes bloqués sur place (à moins de rallonger qui dix euros pour faire le plein du bus, qui vingt euros pour que le capitaine lève l'ancre de son navire).

Cette semaine encore, la Grèce vit au ralenti: gérant avec parcimonie ses dernières réserves de liquide en euro, elle bloque les retraits des clients des banques et ferme la bourse pour une semaine - à titre de comparaison, rappelons que même Wall Street ne fut fermée que trois jours en 2001 suite aux attentats du World Trace Center.

Viendra le référendum. Peut-être qu'en votant Non les Grecs choisiront courageusement de couper les amarres avec les créanciers qui les étranglent petit à petit depuis des années, rejoignant la liste de pays comme l'Argentine privés de tout accès aux marchés financiers internationaux et devant vivre sur leurs seules forces. Cela obligera le gouvernement à introduire une Nouvelle Drachme et à faire preuve de parcimonie dans ses dépenses - impossible de continuer à s'offrir une paix sociale à crédit, ce qui est plutôt une bonne chose, mais qui sera bien difficile à avaler de la part d'un gouvernement d'extrême-gauche.

Si les Grecs votent Oui, la situation sera autrement plus chaotique ; on peut vraisemblablement s'attendre à ce que le gouvernement Syriza démissionne et à de nouvelles élections, bien malin qui peut dire quel parti en sortira vainqueur. L'UE aura reçu mandat pour s'atteler encore une fois à un nouveau plan d'aide, forcément insuffisant puisque la dette grecque n'est pas soutenable ; ce qui amènera de nouvelles mesures de rigueur, etc. donc un probable retour à la case départ qui a amené Syriza à cristalliser le mécontentement. Là encore l'introduction d'une nouvelle monnaie locale semble quasiment inévitable.

Les Grecs se préparent quoi qu'il advienne à des lendemains difficiles (leurs banques devraient faire faillite le 6 juillet) mais au moins en quittant l'euro et l'Union Européenne auront-ils une chance de reprendre pour de bon leur destin en main, et tant pis pour la monnaie unique.

Le Chaos dans l'Union Européenne

La cessation de paiement grecque résonne comme un échec bien plus grave pour l'Union Européenne que pour la Grèce et ses 11 millions d'habitants.

L'UE est un projet politique qui s'inscrit dans le sens de l'histoire telle que ses élites se l'imaginent. Dans cette conception du projet européen, tout retour en arrière est impossible, la fusion est l'objectif et la vitesse de progression la seule possibilité d'ajustement. La faillite de la Grèce fera s'effondrer ce château de cartes idéologique. L'UE apparaîtra comme faillible, la zone euro comme friable et le projet européen comme chimérique.

Si les élites européennes ont fait preuve de tant de fermeté face à la dette grecque, ce n'est pas que pour sauver les banques et leurs bilans mais également pour faire barrage aux clones de Syriza aux portes du pouvoir dans d'autres pays en crise de l'Europe, comme Podemos en Espagne. L'idéal eut été de briser et de décrédibiliser Syriza en forçant Alexis Tsipras à démissionner tout en acceptant le programme de la Troïka, mais malheureusement le destin ne se plie pas forcément au script prévu.

Comment chasse-t-on un pays de la zone euro? Le peut-on seulement? Et qu'en est-il de l'Union Européenne? Peut-elle expulser un de ses membres? Comment? Et que faire si le mauvais élève se révèle récalcitrant?

Les élites politiques de l'UE auront bien du pain sur la planche pour savoir comment détricoter les dizaines de traités croisés qui constituent le désormais bien mal nommé "acquis européen" - ainsi que l'attribution des 312 milliards d'euros d'ardoise que la Grèce ne remboursera probablement jamais. On verra bien ce que donnent ces fameux stress tests bancaires finalement...

La Grèce a encore un rôle à jouer en Europe: elle a valeur d'exemple. Si elle sort de la zone euro et parvient à rebondir, la crédibilité de l'UE sera définitivement brisée. Si elle plonge dans les abîmes de la misère, elle pourra servir de repoussoir à d'autres pays tentés eux aussi de renégocier leurs dettes, osant remettre en question la hiérarchie européenne. Il n'est donc pas exclu que l'Europe politique exerce un maximum de violence et de mesures de rétorsion contre cette Grèce revêche, juste pour l'aider à réaliser son destin expiatoire.

Les divorces se déroulent rarement dans la bonne humeur.

Stéphane Montabert - Sur le web et sur Lesobservateurs.ch, 30 juin 2015

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