L’angoisse des eurobéats dix ans après la victoire du "non"

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N'ont-ils donc rien appris ? Dix ans après, les membres éminents de la confrérie des Ouiouites dépités nous servent le même discours qu'à l'époque. Pis, à les écouter, si l'Europe est aujourd'hui alitée dans un service de soins palliatifs, c'est parce que le "non" l'a emporté !

Il faut comprendre le dépit d’Alain Duhamel, qui commente dans Libération la victoire du non au référendum sur le Traité constitutionnel européen, le 29 mai 2005. A l’époque, comme 99,99 % des éditorialistes de la presse, il fut de ceux qui expliquèrent que le oui était le seul choix possible, l’unique réponse rationnelle, et que les adeptes d’un avis contraire relevaient au mieux de l’hôpital psychiatrique, au pire de l’expulsion pour cause de déviance avérée. Le résultat lui est donc resté sur l’estomac, sans pour autant remonter jusqu’au cerveau.

Dix ans après, Alain Duhamel a donc repris la plume pour expliquer que l’Europe était en état de décomposition avancée et la France au stade de la mort clinique. Et pourquoi, Votre Honneur ? A cause de la victoire du non. En raison de ce résultat, en effet, « La France a perdu son prestige européen » ; « elle est devenue la mauvaise conscience » du Vieux continent ; elle est « moins européenne et l’Europe moins française » ; elle « s’est déclassée ». En un mot comme en mille, « la France du 29 mai 2005 a ouvert la phase où l’espérance européenne a laissé la place au ressentiment national, voire nationaliste ». Et pourquoi pas préfasciste, pendant qu’on y est ?

Soyons juste, Alain Duhamel n’est ni une anomalie, ni une exception, ni un cas bizarroïde relevant de la science de la nature. A sa manière, il dit tout haut ce que pense l’élite. Quand celle-ci a opté pour le oui en 2005 (ce qui était parfaitement son droit), elle a traité les autres de dégénérés de la pensée. Fort logiquement, elle n’a rien dit quand le TCE rejeté par le peuple est revenu par la fenêtre sous forme du Traité de Lisbonne qui en était la copie conforme (en 2007). Aujourd’hui, elle continue donc à expliquer que si le résultat du référendum avait été différent l’Europe ne serait pas en crise, alors que l’UE fonctionne exactement selon leurs critères.

Bref, le problème, comme d’habitude, c’est le peuple. Le peuple qui ne comprend rien à rien, le peuple qui renâcle à manger le brouet indigeste qu’on lui sert, le peuple qui résiste, le peuple qui, en réalité, est foncièrement antieuropéen.

C’est ce qui fait écrire à Arnaud Leparmentier, du Monde, autre membre éminent de la confrérie des Ouiouites dépités, à propos du résultat du 29 mai 2005 : « L’affaire scelle la fin du rêve européen ». Que les nonistes, dans leur majorité, aient exprimé la volonté d’une autre Europe, peu lui chaut. Il faut choisir : c’est l’Europe ou la nation, mais pas les deux, car « le rêve national porté par les populistes » est « illusoire dans un monde globalisé ». Arnaud Leparmentier disait la même chose il y a dix ans, et il n’a rien appris depuis. 

Le tout-marché et le dogme de la "concurrence libre et non faussée" sont devenus les piliers de l'EuropeDu coup, la grande inquiétude du jour se résume par ce constat d’Alain Duhamel : « Lorsque l’on observe les résultats électoraux en Europe, on constate la montée impressionnante d’une Europe protestataire ». Bis repetita chez Leparmentier, qui note : « La défiance s’est propagée à toute l’Europe ». Eh oui, très cher.  Mais si la « défiance » (le mot est faible) s’est propagée sous des formes diverses, parfois encourageante (comme en Grèce ou en Espagne) parfois inquiétante (quand elle débouche sur des réactions de repli ou de xénophobie), c’est parce que rien n’a changé, ou plutôt que tout s’est aggravé.

De fait, au fil des ans, les rêves d’une Europe des nations, défendus par le général de Gaulle et d’autres, ont été balayés au profit d’une intégration à marche forcée permettant de faire place nette aux géants du business tout en réduisant les peuples au rôle de spectateurs passifs. Le tout-marché et le dogme de la « concurrence libre et non faussée » (qui n’est souvent ni l’un ni l’autre) sont devenus les piliers d’une Europe dotée d’institutions non démocratiques.

Les grands principes édictés par la Nomenklatura européenne ont été coulés dans le marbre des traités. Aucun pays ne peut s’en dispenser, sauf à courir le risque de voir les hommes de la Troïka (Bruxelles, BCE, FMI) débarquer avec leurs calculettes, prendre les choses en mains, et dicter leurs préceptes, comme ils l’ont fait en Grèce, en Espagne ou au Portugal, au nez et à la barbe des citoyens, avec les résultats que l’on sait.

Ils sont même venus en France le 12 janvier dernier, sans tambour ni trompettes, mais avec des exigences acceptées séance tenante par un président de la République qui se faisait fort, du temps où il était candidat, de renégocier le traité Merkozy. François Hollande n’a rien négocié du tout et il est rentré au Panthéon de la soumission. En réaction aux exigences de David Cameron, Elisabeth Guigou, présidente PS de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, est même allé jusqu’à déclarer dans La Croix qu’il n’était « pas question de nous contraindre à détricoter les traités »

En fait, l’Europe applique à la lettre la doctrine de la « souveraineté limitée » naguère prônée par Leonid Brejnev pour les pays membres de la zone d’influence soviétique, à ceci près que ceux qui dénonçaient naguère l’impérialisme soviétique jouent désormais les muets du sérail. Certes, à la différence de feu l’Union soviétique, l’UE n’impose rien par la force des armes. Cependant, elle exerce un magistère qui vide de sa substance l’exercice de la démocratie et confère un pouvoir exorbitant, dénué de tout fondement, à des technocrates ne représentant qu’eux-mêmes.

Pourtant, les eurobéats persistent et signent. Comme si rien ne s’était passé, ils recyclent en 2015 les préceptes de 2005,  incapables qu’ils sont de sortir d’une gangue idéologique qui faisait dire à Pierre Bourdieu : « L’Europe ne dit pas ce qu’elle fait ; elle ne fait pas ce qu’elle dit. Elle dit ce qu’elle ne fait pas ; elle fait ce qu’elle ne dit pas. Cette Europe qu’on nous construit, c’est une Europe en trompe l’œil ».

 

Extrait de: Source et auteur

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Un commentaire

  1. Posté par patrick lévy le

    …, et la France est devenue une dictature dont le Monarque, en son Palais de l’Elysée, s’entoure de 70 cuisiniers, et se dit, socialiste. Patrick Lévy.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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