"Le traité transatlantique doit être abordé comme un choix de civilisation"

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Le traité transatlantique, actuellement en cours de négociation entre la Commission européenne et les Etats-Unis, est-il une menace pour la condition animale et notre système d'agriculture ? C'est ce que pense en tout cas Pascal Durand, eurodéputé et ancien secrétaire national d'Europe écologie - Les Verts, qui animera une conférence ce jeudi à Paris intitulé : "L'animal aussi va souffrir du Tafta".

Marianne : Pourquoi avoir choisi d’aborder le traité transatlantique à travers le prisme de la condition animale lors de cette conférence ?
Pascal Durand : Parce que, d'un côté, la condition animale est un sujet qui n’est pas suffisamment traité en France, marginalisé, même s’il commence, peu à peu, à faire débat. Trop timidement à mon goût. Fréquemment, nous oublions cette dimension du vivant. C’était vrai pour une partie des écologistes politiques qui considéraient ce sujet comme accessoire par rapport aux grands sujets de société. Moi, je ne fais pas cette différence. Au contraire, pour un écologiste, la question du vivant doit être générale et générique. Elle doit être déclinée sur tous les sujets.
De l’autre côté, nous avons le traité transatlantique qui s’avère être extrêmement dangereux pour l’équilibre que l’Union européenne essaye de trouver, même si parfois elle échoue, entre l’économique qui prend de plus en plus de place, l’environnementale et le social au sens large. Le Tafta remet clairement en cause cet équilibre. Pour la raison simple qu’il a, d’abord et avant tout, vocation à s’attaquer aux normes et aux règles qui régissent l’UE. C’est un traité de normalisation vers le bas sur un certain nombre de sujets. Et celui de l’élevage, notamment industriel, est majeur. J’ai donc souhaité faire naître le débat aux côtés d’ONG et d’associations pour ne pas se limiter — ce que les écologistes ont eu tendance à faire — à discuter entre responsables politiques. Par ailleurs, il s'agit aussi de mettre côte à côte des associations et ONG qui s’occupent au jour le jour de la question animale et la Confédération paysanne, syndicat d’éleveurs, car trop souvent on oppose éleveurs et défenseurs de la cause animale.

Concrètement, quelles conséquences pensez-vous que le Tafta aura sur l’agriculture et l’élevage en France et en Europe ?
Nous avons vu récemment apparaître en France une mobilisation contre la ferme des « mille vaches ». Nous voyons bien que ce qui fait débat, c’est le modèle productiviste même, et donc les conditions d’élevage employées dans ces structures. Or, elles sont inacceptables et scandaleuses. Ce sont des élevages hors-sol, avec des vaches qui ne verront jamais un pré, ne mangeront jamais d’herbe ou ne sauront pas ce que c’est que du fourrage. Des animaux qui seront dans des conditions de stress impensables, qui seront shootés pour pouvoir compenser à base d‘antibiotiques et gavés d’hormones évidemment pour leur faire prendre rapidement du muscle et pouvoir vendre la viande plus vite. Un procédé qui se décline pour les lapins, les poulets ou bien les porcs. Nous arrivons donc à un système, déjà en vigueur aux Etats-Unis, qui deviendrait la règle en Europe. De la même manière que les petits agriculteurs du Sud ne peuvent pas lutter contre nos exportations et les coûts auxquels nous arrivons à produire, ce sera la même chose pour nous. Nous ne serons pas, subventions ou pas, dans des conditions normales de concurrence puisque ne seront pris en compte que le coût et non la qualité des conditions qui auront abouti à la production de viande ou la question du bien-être animal.

Sauf que cette fameuse ferme des « mille vaches » est en fait l’arbre qui cache la forêt puisqu’en France, il existe déjà des structures bien plus impressionnantes encore. Comme cette ferme à Espelette, dans les Pyrénées-Atlantiques, qui élève 3 000 brebis laitières et quelques centaines de chèvres… Finalement, le Tafta n’acte-t-il pas simplement un mouvement qui est déjà bien enclenché ?
Tout à fait. Vous avez parfaitement raison de le pointer. La question de ce traité transatlantique — et je le répète depuis le départ à un certain nombre de mes amis — doit être abordée comme un choix de civilisation. C’est-à-dire, quel modèle de société voulons-nous ? Ce qui inclut la manière dont nous traitons les animaux, ce que nous avons dans nos assiettes et nous mangeons. Souhaitons-nous entrer dans une société où demain, lorsqu’on se baladera en France, nous aurons comme aux Etats-Unis de la monoculture à tour de bras, sans voir un seul animal en liberté dans les champs ? Le modèle européen s’est construit contre l’exploitation de l’homme par l’homme pour une grande part, avec à l’époque des luttes sociales et des salariés qui se sont syndiqués et révoltés contre ces conditions d’exploitation. Il faut, puisque les animaux n’ont pas la capacité de se révolter par eux-mêmes, au même titre que la nature, que nous portions ce refus de ce modèle de civilisation. Ce n’est pas un confit entre les Etats-Unis et l’Europe, ne nous trompons pas de combat. C’est un conflit entre le productivisme délirant, les grandes firmes agroalimentaires d’un côté et une agriculture et un élevage paysan de l’autre. Et, c'est juste de le souligner, le modèle européen est déjà en train de perdre petit à petit ses valeurs et de basculer dans un schéma dans lequel le profit, la rentabilité et la productivité passent devant la qualité et le respect de la vie animale.

Faites-vous confiance au gouvernement de François Hollande pour défendre ce modèle de société justement ? Stéphane Le Foll, notre ministre de l’Agriculture, ne semble pas si hostile que ça à ces superstructures, style ferme des « mille vaches », calquées sur le modèle américain…
Je ne fais pas confiance, d’une manière générale, à la classe politique et la classe dirigeante pour essayer de réorienter vers des modes de production et de consommation durables. Sans faire de procès d’intention à Stéphane Le Foll, je ne sais pas ce qu’il pense au fond de lui. Je remarque simplement qu’il aime beaucoup parler d’agroécologie. En revanche, je dis très clairement que la politique agricole et d’élevage en France est codirigée, et c’est un euphémisme, par la FNSEA à qui je ne fais pour le coup aucune confiance pour changer le modèle parce qu’ils en sont tout simplement les théoriciens et les tenants. D’autant que leur logique va au-delà du simple productivisme puisqu’ils sont, eux, dans une logique financière. La FNSEA, et notamment son président Xavier Beulin à travers sa société Avril, anciennement Sofiprotéol, veut un monde qui soit uniquement celui des grandes exploitations et de l’agro-industrie. Ils ne sont là que pour représenter les gros industriels et les gros exploitants. Le reste n’est que de la fumée, comme lorsqu’ils défendaient prétendument les éleveurs en Bretagne alors qu’en réalité, ils faisaient partie de ceux qui, au nom de la compétitivité, font fermer les abattoirs pour délocaliser l’activité à moindre coût en Allemagne ou dans les pays de l’Est.
Maintenant, j’ai un optimisme naturel qui est lié au fait que la société agit. Les consommateurs bougent et les associations et ONG se mettent en mouvement. Les prises de conscience se font dans la société et les dirigeants, qui ne sont pas fous et ont envie d’être réélus, sont obligés de prendre en compte ces oppositions. Nous l’avons vu pour les OGM ou le gaz de schiste. C’est pour ça qu’il faut que la société prenne ce combat en main, qu’elle dise haut et fort qu’elle ne veut pas que les bêtes soient traitées comme ça, qu’elle refuse de manger des animaux nourris avec des granulés génétiquement modifiés et bourrés d’antibiotiques, etc.

Pourtant, pour l'instant, force est de constater que la « société » ne prend pas pleinement « ce combat en main ». Y aurait-il une forme de désintérêt de la société civile, des associations, des politiques et médias pour les questions européennes ?
Ce qu’il se passe en Europe n’est en effet pas suffisamment pris en compte. Je le constate sur la question du secret des affaires. Je me suis battu et je continue à me battre sur ce sujet qui est actuellement en débat en directive au niveau européen. Alors que la société française — notamment les journalistes — s'est mobilisée contre le volet de la loi Macron qui portait sur le droit des affaires, la même chose est en train de se passer au niveau de l’Europe. Je tire la sonnette d’alarme depuis longtemps, mais personne ne s’offusque ! Alors qu’en réalité, nous allons récupérer par l’Europe, par un défaut de mobilisation de la société française, ce que l’on a écarté dans la loi Macron.

 

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Un commentaire

  1. Posté par BLUM Dominique le

    Monsieur,
    ce que j’en pense est admirablement dit par GANDHI, dans « Mahatma Gandhi », par Romain Rolland, Ed. Stock, 1924. Pages 38-39:
    « La protection de la vache est la caractéristique de l’Hindouisme. »
    Gandhi y voit même une des affirmations les plus hautes de l’évolution humaine. Pourquoi? Parce qu’elle est un symbole de « tout le monde subhumain », avec lequel l’homme conclut un pacte d’alliance. Elle signifie « la fraternité entre l’homme et la bête ». Et, selon sa belle expression, « elle emporte l’être humain au-delà des limites de son espèce. Elle réalise l’identité de l’homme avec tout ce qui vit ».
    Gandhi voit en « ce doux animal un poème de pitié ».
    Moi aussi.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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