Sibony et les disculpateurs professionnels

post_thumb_default

 

Dans son dernier essai, le philosophe se penche sur la "culpabilité perverse" de l'Occidental face à la tentation intégriste. Salutaire.

>>> Article paru dans Marianne daté du 15 mai

Daniel Sibony se sent moins seul depuis que nombre d'intellectuels de culture musulmane, tels Ghaleb Bencheikh ou Abdennour Bidar, dans le sillage du regretté Abdelwahab Meddeb, ont eu le courage de lancer le débat sur les contenus problématiques du Coran qui servent de justifications aux diverses formes de djihadisme responsables de la guerre civile interne au monde musulman. Dans ce nouveau petit livre inspiré de l'actualité, il se penche sur un paradoxe : ces musulmans qui proposent de réformer un Coran contenant « des appels agressifs auxquels il est normal que certains fidèles veuillent répondre, tant que ces appels ne sont pas déclarés obsolètes, ou propres à une époque révolue » ne semblent guère entendus par les responsables politiques européens. Selon lui, ces derniers sont « islamophobes au sens simple du terme ; ils ont peur de l'islam » : « Tout simplement, comme un homme poli en cravate qui a éludé dans sa vie tout conflit, voire toute forte expérience, transpire de peur devant un homme passionné ou violent, qui joue son identité sur un seul geste, qui est prêt à frapper si on le contrarie un peu. » Une peur faite d'ignorance ou d'oubli de ce que produit l'emprise religieuse : « Les Occidentaux qui ne ressassent pas la Bible au quotidien n'ont pas idée de la ferveur agressive et sacrée que cela produit. » Les jeunes djihadistes, les jeunes antisémites, convertis ou pas, exaltent de bonne foi leur « idéologie » : « non sans raison puisqu'elle les porte, elle les soutient, elle leur donne un idéal qui permet d'écraser les petits idéaux ambiants », avec le réconfort d'une « identité qu'on croit supérieure à toute autre ».

Mais, au lieu de voir le programme commun à l'Etat islamique là-bas et à Mohamed Merah ici (« les nœuds cruciaux du Texte touchant les "autres", ceux qui résistent au vrai islam, ces "autres" étant les juifs, les chrétiens »), le réflexe dominant de l'Occidental est la « culpabilité perverse », inversion de la certitude coloniale : il se croit toujours tellement supérieur que celui qui l'attaque ne peut être que sa victime ! Il cherche alors des raisons de s'en vouloir. Cette culpabilité « porte sur trois grands thèmes : le colonialisme, la traite des Noirs, les croisades. Or, sur chacun de ces thèmes, le monde arabe a été à la pointe ». Le colonialisme islamique a duré des siècles, sa traite des Noirs fut plus importante en durée et en victimes que celle de l'Occident et les croisades étaient des répliques moyenâgeuses aux conquêtes, au nom du Croissant, des lieux saints de la chrétienté.

« Morale de luxe »

Daniel Sibony, qui voit dans cette « morale de luxe » une forme de mépris, diagnostique un effet de la « charité chrétienne » - « comprendre ''l'autre" quoi qu'il fasse » - pour un résultat désastreux. Là-bas, « l'Europe laisse s'éteindre les chrétiens d'Orient par esprit de charité ». Ici, « l'Europe a peur, les musulmans modérés ont peur, et les islamistes de tout bord ne cherchent qu'à faire peur ». Lui aussi pense que la majorité des musulmans sont victimes : « En adoptant cette politique inspirée par la peur, l'Europe trahit l'attente de nombreux musulmans, ceux qui sont aussi dans la peur, la même, et qui attendent que des lois démocratiques fermement appliquées les protègent de l'islamisme. » Il parle même du « drame de l'immigration musulmane en Europe », laquelle pensait échapper aux lois de la oumma, mais est livrée, « d'un côté, à des activistes militants, voire violents, et, de l'autre, à des militants du déni, qui cultivent soigneusement l'idée qu'il n'y a pas de problème ».

Pour Sibony, l'intégrisme et le déni « produisent à la longue une vraie méfiance envers l'islam » dans un « cercle vicieux que seule peut arrêter une décision de franchise polie, de fermeté respectueuse et non une compréhension inclusive, qui croit pouvoir tout inclure tant elle se sent supérieure ». A défaut, et c'est ce qui se passe, « d'infimes minorités peuvent faire peur au plus grand nombre ». Il se montre malgré tout optimiste. Moins du côté européen, qui n'a, selon lui, guère de leçons à donner en matière de protection des juifs, que du côté musulman. « Des versets du Coran demandent aux fidèles de ne pas prendre leurs amis parmi les juifs et les chrétiens ; or, des musulmans ont des amis juifs ou chrétiens, ils peuvent donc transgresser des appels du Coran, tout comme beaucoup boivent de l'alcool, ce qui est interdit. » Il espère donc l'avènement de « dirigeants arabes lucides » qui se dégageraient de l'emprise intégriste et salue comme « positive » « la récente déclaration, en 2014, du prince d'Arabie, invitant à envisager de reconnaître Israël ».

Le Grand Malentendu. Islam, Israël, Occident, de Daniel Sibony, Odile Jacob, 190 p., 19,90 €.

 

Extrait de: Source et auteur

Suisse shared items on The Old Reader (RSS)

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.