R. Koeppel : La folie au pouvoir

Quiconque viole le droit des États-Unis sera sanctionné. Quiconque le respecte sera aussi sanctionné. L’UBS à bord du train fantôme.

 

La finance internationale vit à l’heure du spectre des errements de la justice. Les Américains donnent le ton. L'arbitraire règne en maître. La présomption d'innocence n'a plus cours. Une fois dans le collimateur, il ne reste plus qu'à plaider coupable et à payer. Personne ne peut courir le risque d'une mise en accusation. Une banque ou toute autre société traînée devant le juge court à sa perte, même en cas d'acquittement ultérieur. Aux États-Unis, il vaut mieux plaider coupable d'avance que d'être liquidé par une accusation. La justice politisée d'Obama est devenue la plus grande machine à collecter de l'argent des temps présents.

Depuis des années, l'UBS est broyée par le système judiciaire américain. À elle la faute, mais pas seulement. Certes, des collaborateurs d'UBS ont commis des infractions aux États-Unis, mais l'artillerie lourde de la justice américaine a fait chou blanc. L'ancien dirigeant Raoul Weil, accusé au nom de la grande banque, a été acquitté de façon spectaculaire, en moins d'une heure, par un tribunal des États-Unis – après plus de six ans de calvaire. Cet échec retentissant des États-Unis a été annoncé en Suisse avec gêne, car il y a aussi chez nous bon nombre de bourreaux qui aimeraient bien voir pendus le plus de «banksters» possible.

L'affaire Weil a montré qu'une fois disparu l’écran de fumée des menaces américaines, il reste bien peu de choses. Il y a donc de quoi être plus que sceptique lorsque le Département de la Justice (DoJ), spécialisé dans l'intimidation et la collecte d'argent, s'en prend à une entreprise suisse.

Le dernier drame, en fait grotesque, concerne de nouveau l'UBS. C'est une affaire qui, par son absurdité, pourrait presque constituer à elle seule un programme de théâtre. Cette fois-ci, l'UBS est sanctionnée, non pour violation de la loi américaine, mais pour l'avoir strictement respectée.

L'accusation porte sur de présumées manœuvres douteuses dans le domaine du Libor et des devises. Le Libor est le taux interbancaire auquel les banques se prêtent de l'argent. Il était autrefois calculé sur consultation des banques. Les autorités de surveillance les appelaient et leur demandaient quels étaient les taux d'intérêt pour leurs prêts interbancaires. Des irrégularités se sont apparemment produites durant la crise financière dans le cadre de cette procédure problématique par nature. Certaines banques, dont l'UBS, se sont entendues sur les taux. On ne sait toujours pas s'il y a eu dommage et qui en a été victime. La forte implication des autorités, surtout des banques centrales, dans ces manipulations a été étouffée. Les juges d'aujourd'hui sont les complices d'hier.

L'UBS s'est dénoncée, il y a trois ans, auprès des autorités américaines pour avoir manipulé le Libor. Elle a conclu avec les autorités judiciaires un accord de non-poursuite, Non-Prosecution Agreement (NPA). Dans ce cadre, elle plaidait coupable pour certains délits. Elle a payé une lourde amende qui lui a permis d'échapper à une mise en accusation. Elle s'est surtout engagée, à la demande des Américains, à collaborer sur toute la ligne – décision qui risque maintenant de lui être fatale.

Un exportateur suisse bien connu a même été inculpé aux États-Unis par deux autorités en même temps. Les autorités douanières l'ont accusé d'avoir pratiqué des prix soi-disant trop élevés pour ses produits, tandis que les autorités fiscales du même État l'accusaient d'appliquer des prix soi-disant trop bas sur les mêmes produits. Cette entreprise assaillie de tous les côtés a fini par se reconnaître coupable des deux infractions et s'est acquittée d'une amende auprès des deux autorités américaines.

L'UBS fait aujourd'hui une expérience similaire. Par excès de prudence et par fidélité à ses contrats, elle s'est de nouveau dénoncée spontanément aux Américains dans l'affaire du Libor. Cette fois-ci, il s'agissait de transactions de change prétendument douteuses, dont se vantaient dans des courriels stupides certains collaborateurs de la banque. L'emploi de la forme hypothétique est ici volontaire car, non seulement la Finma, l'Autorité de surveillance des marchés financiers, n'a pas été en mesure de prouver que l'UBS, en dépit d'une condamnation publique hâtive, ait provoqué un réel dommage, mais même les autorités judiciaires américaines les plus pointilleuses disculpent, et ce doublement, maintenant l'UBS après examen de l'affaire des devises.

La division antitrust du DoJ a accordé l'immunité totale à UBS en raison de sa dénonciation spontanée. Le département d'enquête criminelle n'a, quant à lui, rien découvert de notable. Cette affaire de devises s'est traduite par une amende de zéro dollar.

Mais le clou de l'histoire, c'est que le DoJ disculpe l'UBS tout en la sanctionnant. Il fait tout simplement sortir un nouveau délit de son chapeau. Aux termes de l'accord, l'UBS devait dans l'affaire des devises coopérer avec les autorités américaines et s'autodénoncer. Au titre de sa dénonciation spontanée dans le cadre de l'affaire, qui n'avait rien de criminelle sur le plan matériel, l'UBS est désormais sanctionnée une seconde fois comme «récidiviste» pour manipulation du Libor. Les Américains déclarent l'UBS «banque criminelle» pour avoir répondu à leurs souhaits et respecté son contrat NPA.

Dans les dédales de la justice américaine, tous sont égaux, hormis les Américains qui le sont un peu plus que les autres. Citigroup a été plus sévèrement condamné au Japon que l'UBS pour fraude au Libor. J.P. Morgan fait l'objet d'une procédure en cours dans l'UE pour tricherie sur le Libor. Néanmoins, les banques américaines sont épargnées par les autorités américaines dans l'affaire du Libor. En contrepartie, elles tapent d'autant plus fort sur l'UBS, la Deutsche Bank, Barclays ou la Royal Bank of Scotland.

Le pouvoir fait la loi. Et la folie est au pouvoir. En se conformant à ses obligations contractuelles, l'UBS a violé le contrat aux yeux des Américains. Quiconque viole le droit des États-Unis sera sanctionné. Quiconque le respecte sera aussi sanctionné. Giacobbo/Müller, c'est à vous.

Roger Koeppel, Die Weltwoche, 22 mai 2015

3 commentaires

  1. Posté par Tonio le

    @Michel de Rougemont
    « Mais ça, ce serait vraiment la guerre… » elle est déjà commencée;
    1) la distribution de gaz à l’Europe: Gazprom ou Nabucco ?
    2) les BRICS d’Asie ne veulent plus régler leurs paiements réciproques ou pétroliers en dollars, mais en monnaies nationales: exit le dollar;
    3) Poutine prend une option sur l’Irak en proposant de l’aider à se débarrasser de l’E.I.; et voilà une source d’approvisionnement en gaz et pétrole qui passera sous contrôle russe (pour remercier Poutine), échappant à la mainmise US, qui était le vrai objectif des guerres dans ce pays.
    4) L’UE tente de ne pas sombrer sous l’enclume FATCA ou le marteau AGCS (armes de guerre US): comment sinon en répondant à son tour par une guerre ?
    Qui vivra, verra…

  2. Posté par Tonio le

    Si les USA sont si méchants avec la Suisse, pourquoi alors le bilan de la BNS comporte-t-il autant de valeurs américaines (à commencer par APPLE, EXXON, MICROSOFT,GOOGLE), une seule allemande (Merk) et aucune suisse ?
    Qui pilote la BNS la Suisse ou les financiers cosmopolites de New-York ?
    Il y a des années que je me suis convaincu que ce n’était plus le C.F. qui dirigeait la Suisse, mais bien les USA par financiers cosmopolites de New-York interposés; est-ce normal de se faire dicter sa loi non par des juges étrangers, mais par leurs financiers ?
    Merci qui ? Merci aux conseillers fédéraux!

  3. Posté par Michel de Rougemont le

    À Chicago dans les années trente on payait la Mafia pour que les voyous aillent commettre leurs crimes ailleurs. Ou alors il fallait déménager.
    En Espagne du nord, dans les années 70-80-90 les industriels payaient l’impôt révolutionnaire pour ne pas se faire prendre en otage. Ou alors ils déménageaient.
    Dans le système non-judiciaire américain on paie pour se simplifier la vie et par peur de perdre un procès coûteux. Il n’y a pas d’alternative pour les banques, car même depuis la Suisse elles dépendent des USA pour les opérations de clearing en dollars.
    Cela s’appelle RACKET.
    Une des possibilité d’échapper à ce chantage serait que la Banque Nationale Suisse offre un service de clearing en dollars, comme le fait la Fed.
    Mais ça, ce serait vraiment la guerre.

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