Les censeurs produisent les déviants.

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

Le règne du politiquement correct nous pose un problème .  Ce problème  devient fondamental et il nous obsède, nous qui faisons métier d'écrire. A savoir, comment, dans nos sociétés, exprimer notre  opposition aux évolutions qui nous inquiètent, à l'acculturation dominante, au révisionnisme généralisé? Sous des dehors ouverts, notre société se ferme, elle clôture, elle censure.

 

La société civile manipulée, la médiacratie et le politique se sont alliés, ils ont conjugué leur force pour placer la barre de ce que l'on peut dire ou ne pas dire de plus en plus bas. Ce qui était  éthique, convenable hier, est devenu non seulement incorrect, mais punissable. La peur et la lâcheté font le reste et  le reste c'est l’autocensure.

 

Dans un raccourci que nous  trouvons génial -pour un homme politique s'entend- Jean Marie Le Pen a dit un jour: « je dis tout haut ce que les gens pensent tout bas ». Il avait tout compris. Et ce n'est pas un hasard si, dans une récente enquête, le Front National vient en tête des formations politiques qui comprennent  le mieux -ou le moins mal- les Français.

 

Mais que l'on y réfléchisse, cela c'était avant; car maintenant, l'arsenal répressif « soft » et « hard »  s'est considérablement renforcé et la plupart des choses que les gens pensent tout bas, il est maintenant interdit de les dire à haute voix, et encore moins publiquement.

 

Même en petit comité, en  privé, car les maîtres du discours se sont arrogés le droit d'intervenir, grâce à la délation et au piratage illégal, dans les échanges privés. La bêtise des fans de Twitter, il est vrai,  joue beaucoup, ils parlent à la cantonade et s'étonnent que cela ne soit plus privé.

 

Donc la fonction Le Peniste tribunitienne est muselée. Ce que les Français osent encore penser tout bas n'a plus d'expression politique. Marine est une Le Pen... émasculée, si on peut dire, bâillonnée.

 

Il va s'ensuivre un processus de refoulement, de non-dit, extrêmement venimeux, car ce qui n'est pas dit ne disparait pas; ce qui n'est pas dit est intériorisé, se met hors de portée de la conscience, hors de portée de la logique, de la raison, et donc hors de la portée de la volonté. Ce qui est refoulé empoisonne le tissu personnel et, bien sûr, le tissu social. Le fait, chez un individu ou dans un groupe, de « dire » est positif, c'est, dirions-nous, « politique » au sens où cela contribue à la vie de la Cité. En effet, cela cesse d'être honteux et donc tabou et cela vient au jour, avec la possibilité de débat, de confrontation et donc de dépassement.

 

Museler, faire taire est un processus régressif. C’est jouer avec le feu. C'est aussi idiot, car cela équivaut à penser que ce qui n'est pas vu, pas dit, n'existe pas. C'est une des composantes de ce comportement d'autruche dont nos sociétés maintenant raffolent. Cela fait partie du « on n'en veut rien savoir »! C’est ce que l'on appelle le rejet. La dénégation. Tout ce que l'on rejette revient en boomerang.

 

Les dégâts au plan social sont considérables et on le voit avec les poussées d'irrationnel et de violence qui, de temps en temps, nous submergent. On le voit avec la perversion de nos ex-démocraties, devenues des systèmes « contre » et jamais « pour ». On le voit avec la production artistique, imaginaire, hantée de tout ce qui ne peut s'exprimer.

 

« Chassez le naturel, il revient au galop », voilà comment il faut comprendre Aristote. Et Pascal qui, de son côté, énonçait le fameux « qui veut faire l'ange fait la bête ». Ce qui est nié ne meurt pas, au contraire, ce qui est nié revient nous hanter.

 

Faute d'expression, faute de débouchés, ce qui est primaire, reptilien, non élaboré en nous, inhumain, redevient sauvage. Ainsi se reconstruit la « bête sauvage » dont Hegel parlait. Cette bête sauvage d'avant l'action civilisatrice. Paradoxalement, alors que la fonction de l'Etat est précisément de modeler la société civile dans le sens du progrès des Idées et de l'Idée, notre Etat re-produit de la bête sauvage.

 

La dérive de nos sociétés engendre un mal-être dont les Pouvoirs au fond profitent. Plus la société dysfonctionne, plus l'individu se déséquilibre, plus cela donne l'occasion d'intervenir et de légiférer. Vive les déviants,  pourrait s'écrier un Valls, la bouche tordue, agité de tremblements haineux « irrépressifs », mais submergé de ses tristes désirs, désirs de répression.

 

Et des déviants, ils en produisent à la pelle, en tripatouillant la hauteur de la barre du politiquement correct.

 

La parole est essentielle dans une vraie démocratie. Ce n'est pas un hasard, si le vote s'exprime par une « voix ». C’est elle qui permet de dépasser l'état de violence, de force et de brutalité.

 

C'est être singulièrement névrosé, voire bête,  que de croire qu'interdire la parole change une réalité qui dérange.

 

C'est être singulièrement borné que de croire que ce qui n'est pas dit cesse de produire effet.

 

La contestation des paroles que l'on considère comme contestables doit se faire à l'intérieur du champ de la parole, dans le débat, dans l'argumentation, l'élévation de l'esprit. Bref, par le dépassement.

 

Valls produit le racisme et l'antisémitisme contre lesquels il prétend lutter, mais qu'en même temps il utilise comme tremplin de sa médiocre volonté de puissance.

Bruno Bertez, 17 mars 2015

4 commentaires

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Les lignes de Bruno Bertez éveillent bien des souvenirs. Mais je reste incapable d’expliquer comment j’en suis venu à penser comme lui et donc, l’approuver.
    J’aimerai ajouter que c’est le traitement que l’on inflige aux enfants. On leur fourgue de la mélasse bien-pensante et on est satisfait de les entendre répéter comme des perroquets.
    Et voici que la dernière édition du GHI titre: « les bagarres entre gamines explosent ». Malgré la prévention. Tout cela engendre une colère sans objet et sans nom. Je le vois depuis plus de vingt-cinq ans, car je suis père.
    Les Observateurs, que je remercie vivement au passage, ont offert un résumé du livre de Chantal Delsol, « les pierres d’Angle ». Ce que j’y ai lu, j’en suis à la moitié, résonne avec les propos de Monsieur Bertez.

  2. Posté par Jan Marejko le

    C’est vrai, l’ouverture provoque la fermeture.

  3. Posté par Pierre H. le

    Et il a pas l’air en forme, le Valls ! Je suppose que vous avez tous vu les gros plans sur sa main gauche qui tremblait terriblement pendant qu’il encensait Marion Maréchal Le Pen. On pourrait se demander s’ il n’est pas parkinsonien.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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