La Dernière Initiative

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

C'est avec une immense tristesse que j'ai découvert dans les médias le lancement de la dernière initiative de l'UDC "pour la primauté du droit suisse" - la dernière du premier parti de Suisse, et peut-être la dernière tout court.

On le savait, le projet couvait depuis quelques temps déjà, alors que Christoph Blocher avait annoncé son retrait du Parlement pour s'adresser directement au peuple souverain, l'organe suprême de la démocratie helvétique. Mais tout semble s'accélérer, en particulier les circonstances qui rendent soudainement ce texte terriblement nécessaire.

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Beaucoup, à commencer par moi, auraient aimé que ce texte ne voie pas le jour, non pas à cause d'un désaccord avec son contenu mais au contraire parce qu'il égrène des évidences. Dans une situation normale, il est difficile de démontrer des évidences. Allez non pas expliquer mais démontrer au sens mathématique la commutativité de l'addition à un jeune enfant! Pas simple.

La Constitution helvétique est issue du peuple suisse. La chose est acquise dès son préambule. Tous les autres organes de l'Etat émanent de cette Constitution et sont donc subordonnés à la collectivité des citoyens qui lui a donné naissance. Viennent donc dans l'ordre de priorité des institutions fédérales le Peuple Suisse, puis le Parlement, puis le Conseil Fédéral - chacun étant aux ordres du précédent.

À Berne, la chose a été oubliée depuis longtemps. Le divorce entre le peuple et les partis politiques remonte sans doute à ce "jour noir" de 1992 où la Suisse refusa les fiançailles avec l'Union Européenne, infligeant un affront cinglant à ses élites. Convaincue de dominer un troupeau d'ânes incapables de comprendre le grand ordre des choses, la classe politique œuvre depuis à contourner, museler et finalement se passer de ces citoyens revêches.

Pendant très longtemps la transformation du régime se fit par petites touches, en toute discrétion: une adhésion par la bande à une organisation supranationale présentée comme de peu de conséquences ; la ratification d'un traité tellement flou qu'on le dote d'une cour de "justice" chargée de définir son contenu, lui garantissant une extension à peu près infinie, peu importe l'éloignement du texte initial ; l'abandon de la convertibilité-or du Franc Suisse, préalable à l'adhésion à l'euro ; des jugements de la Cour Européenne des Droits de l'Homme niant sans contestation les dispositions constitutionnelles fédérales ; la disparition des frontières pour que le territoire suisse ne fasse enfin plus qu'un avec celui de ses nouveaux maîtres.

Longtemps le peuple helvétique fit preuve d'une bienveillance coupable, berné et bercé dans l'idée que ses représentants - jamais mot ne fut plus mal choisi - œuvraient dans le sens de l'intérêt commun. Il y avait bien quelques cahots mineurs lors d'un référendum, mais dans l'ensemble rien de bien grave.

Les choses s'accélérèrent de façon notable au tournant des années 2000 puis ensuite lors de la crise de la dette publique de 2008. Désormais, les avancées se font carrément au grand jour, qu'il s'agisse de l'adhésion de la Suisse à la zone euro à travers les manipulations de la BNS ou de la soumission voulue et assumée de la législation du pays à Bruxelles à travers "l'accord institutionnel" concocté par M. Burkhalter, totalement incompatible avec la démocratie directe - et il le sait très bien!

Par ailleurs et en parallèle le gouvernement n'a jamais été aussi sourd aux cris du peuple qui s'incarnent dans un nombre inégalé d'initiatives acceptées: contre les pédophiles, pour le renvoi des criminels étrangers, contre l'immigration de masse... Mais ces initiatives sont ignorées, perverties, détournées autant que le permet la loi et même au-delà. Il ne s'agit pas d'une évolution progressive face à des opinions qui auraient pu changer depuis le précédent scrutin sur le sujet il y a quinze ou vingt ans. L'objectif avoué est d'ignorer les décisions populaires lorsqu'elles contreviennent à la doxa collectiviste et internationaliste des élites.

Parmi tous les pays du monde, il n'y a probablement qu'en Suisse où le respect du moindre traité international suscite une piété quasiment religieuse. Les autres n'hésitent pas à les dénoncer, à les renégocier, ou à rejeter leur ratification. Même dans les rares cas où l'adhésion à un traité supérieur est établie et attestée, comme dans le cas des États-Membres de l'Union Européenne, cette situation est source d'innombrables débats sur les manœuvres possibles au sein du collège. Chaque pays de l'UE n'hésitera pas et n'hésite d'ailleurs pas à tirer la couverture à lui autant que le permettent les textes ; les autres discutent carrément de leur retrait éventuel de l'Union... C'est, tout simplement, le monde réel.

Rien de tel en Suisse où un respect aveugle, soumis et unilatéral aux traités internationaux semble l'incarnation d'une curieuse naïveté alliée à une bêtise stupéfiante. En fait l'attitude obéit à un objectif intérieur assumé: la soumission à l'international est aussi le meilleur moyen de museler la démocratie directe en réduisant progressivement son champ d'application jusqu'à ce qu'il n'en reste rien.

Minée sans relâche depuis vingt ans, la démocratie directe est si vermoulue qu'elle est à deux doigts de l'effondrement. L'initiative pour la primauté du droit suisse vise à restaurer la charpente. La démarche est louable mais s'apparente aussi à un quitte ou double.

Si le texte est rejeté, alors, il en sera officiellement fini de la démocratie directe. C'est une possibilité bien triste mais tout à fait légale ; la démocratie est ainsi faite qu'elle a le droit de voter son suicide. On continuera à voter certes mais sur des choses triviales, la couleur des volets, les dates des vacances scolaires ; le reste sera décidé à Berne (et Bruxelles, et Strasbourg) sans que personne ne puisse y redire quoi que ce soit. La "démocratie directe" sera réduite à un simulacre plus ou moins folklorique.

Mais si le texte est accepté? Les élites, les médias, le Parlement et le Gouvernement accepteront-ils alors de résilier les traités en conflit avec la Constitution suite à diverses votations passées et futures? Vous avez le droit de le penser ; pour ma part je n'y crois pas une seconde. On expliquera que cela nous mettrait en porte-à-faux avec nos partenaires internationaux et puis que tout cela est bien compliqué, et ensuite on ne fera rien.

L'initiative de l'UDC "pour la primauté du droit suisse" est la dernière initiative pour laquelle voter ait encore un sens - à condition que son adoption soit suivie d'effets. Malheureusement, il est sans doute déjà trop tard. Son refus enterrera pour de bon la démocratie directe, mais son acceptation ne fera probablement rien d'autre que révéler à tous que le coup d’état institutionnel a déjà eu lieu.

Le combat pour la restauration de la démocratie directe ne fait que commencer. Il sera long, incertain et difficile, et demandera bien plus qu'une initiative.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, 18 mars 2015

9 commentaires

  1. Posté par Economico le

    @ Gaspard Vignon. Est ce que vous trouvez normal qu’avec le niveau de chômage, il a des gens dans la situation de Frieden? La réponse est non! Ni le PLR, ni les socialos n’ont pris la moindre mesure pour défendre l’intérêts des Suisses. Dans l’UE, il y a des master II qui ne trouvent pas de travail depuis des années alors ils préfèrent venir en Suisse car même si l’emploi ne correspond pas à leur qualification, le salaire sera largement supérieur à celui de leur pays d’origine! Est que l’on peut leur en vouloir de venir dans notre pays, évidemment non! Est que l’on peut laisser les portes grands ouvertes, non également! Alors quel parti prend position pour défendre cette distorsion: l’UDC. Tous les autres partis ne cherchent à optimiser que leurs propres intérêts sur les dos des autres. Une minorité au pouvoir qui veulent s’approprier l’ensemble du gâteau. Trop c’est trop! Vous parlez de populisme, je dis pragmatisme.

  2. Posté par Vautrin le

    « Au dernières nouvelles, la seule fois ou des étrangers ont voulus intervenir sur une décision des suisse, c’était suite à une des ces formidables initiative de l’UDC… »
    Et alors ? Est-ce aux étranger de mettre leur nez dans vos affaires ?
    Maistre chez soy : voilà la raison des peuples.

  3. Posté par Gaspard Vignon le

    Quel dommage que le droit d’initiative soit devenu un outil si populiste. Jusqu’à preuve du contraire, toutes ces formidables initiatives qui expriment avec merveille les grandeurs de notre démocratie directe sont le fait de partis politiques, de politiciens, ceux-là même qui siègent au parlement et qui d’après-vous tente à chaque instant de prendre un maximum de décision au nez et à la barbe du peuple qu’il jugerait être une bande d’âne incapable de comprendre quoi que ce soit… les membres de l’UDC qui siègent au parlement sont loin d’en être différents.
    Alors oui l’UDC sait tirer à la bonne corde, et croit naïvement donner un vrai sens démocratique à cet outil de contrepouvoir populaire qu’est « l’initiative ».
    Il suffit de constater l’échec (facilement prévisible) des 2 récentes initiatives « électoralistes ».
    Parce que quand les parti politiques conventionnels se tournent vers l’avenir, imaginent des optimisations applicables à notre société, l’UDC se contente de remettre en question des acquis des débats politiques passés.

    La recette est très simple :
    1. Faites miroiter une menace fictive qui plane sur chaque citoyen. Immigration massive, fondamentalisme religieux, ingérence internationale etc… Si vous arrivez en plus à la mettre en relation avec une actualité émotionnellement sensible. Bingo !

    2. Proposez au peuple une solution simple et immédiate pour résoudre ce problème. Pas une loi compliquée, juste un principe légal dont chacun saisit immédiatement l’implication.

    3. Enfin, faite table rase de tous les débats politiques antérieurs qui ont conduit aux acquis que vous remettez en question. C’est la partie magique où le résultat d’un long développement des idées politiques et sociale de notre société devient un « problème ». Vous venez ainsi d’effacer tout ce qui justifiait le bien fondée d’un concept politique, ou même d’une loi.

    Ainsi oubliant toute l’histoire politique des pouvoirs « supra-nationaux » qui ont conduit nos prédécesseurs à sentir la nécessité des instance légales internationales aux 19e et 20e siècle. Faisant fi des idéaux post guerres mondiales d’une cohésion plus grande entre nations.
    On propose bêtement au citoyen de décider si :
    a) Oui il veut que n’importe quel étranger puisse intervenir dans une décision Suisse.
    b) Non il veut rester souverain en son pays.

    Cela facilite tout même bien plus la décision du votant.

    Au dernières nouvelles, la seule fois ou des étrangers ont voulus intervenir sur une décision des suisse, c’était suite à une des ces formidables initiative de l’UDC…

  4. Posté par Vautrin le

    J’ai toujours espoir dans le peuple Suisse, le seul qui ait réussi à établir une vraie démocratie, où le citoyen peut directement exercer le pouvoir par la procédure référendaire, sans avoir à le déléguer à des assemblées irresponsables. C’est donc avec consternation et inquiétude que j’apprends l’existence en Suisse d’une caste politique n’ayant rien à envier à la nôtre : apatride, européâstre, totalitaire, en même temps naïve (ou complice) face aux menaces de la barbarie, et pressée de mettre la démocratie sous le boisseau. Comment cette caste a-t-elle pu se développer au point de mettre la Suisse en danger d’asservissement à la nef des fous européenne ? Je souhaite de tout cœur le succès de l’initiative de l’UDC : que la tendance s’inverse, que le peuple Suisse se réapproprie la maîtrise de son destin.
    Car il n’y a rien de pire que de subir l’Europe de Bruxelles et de Strasbourg, parée des oripeaux de la démocratie mais en réalité entité fasciste bousculant par la violence législative et la bien-pensance l’identité et l’autonomie des peuples. Croyez-moi : en 2005 nous avons repoussé l’hydre européenne, puis Sarkozy l’a réintroduite par des manœuvres parlementaires. Depuis, nous en subissons durement les conséquences. En tous aspects de notre vie. Ah ! Si les politiques étaient contraints par le référendum…

  5. Posté par S. Dumont le

    Quant à moi, j’ai de sérieux doutes au cas où cette initiative devait passer par votation. En effet, nous serons abreuvés, comme d’habitude, de mensonges, contre-vérités et chantages. Seul espoir, c’est de voir les suisses allemands – moins moutons que les romands – l’accepter.

  6. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Ce qui est dit de Burkhalter correspond à ce qu’il a dit: « les Russes… ah ouais ouais… ».
    Ce qui vaut pour tous et pour tout!
    Ce qui vaut pour la censure (voir l’article de Bruno Bertez) vaut aussi pour la dilution de la volonté populaire, et ce qui va avec. Il y aura, un jour ou l’autre, des effets.

  7. Posté par Nicolas le

    Le sang de nos courageux ancêtres coule encore dans nos veines et nous leur ferons entendre raison, par les armes s’il le faut.

  8. Posté par Frieden le

    les suisses gagneront, l’initiative car sera un échec cuisant pour ceux qui souhaitent se rallier à Bruxelles – cette gauche soumise – qui veut tout centraliser d’abord via Bern et ensuite via Bruxelles. L’UDC est le seul parti politique en Suisse qui ose défier cette gauche. Je suivais la politique de près de puis plusieurs années mais c’est devenu une telle évidence pour moi en regardant ce qui se passe autour de moi – nous sommes envahis par des personnes immigrants par chez nous – Tant que je vivrais mal dans mon pays en tant que suissesse, tant que je devrais compter mes sous chaque fin de moi pour nourrir mes enfants, tant que je devrais me battre pour trouver un travail, tant que je devrais dormir sur le canapé de mon salon et subir …… je refuserai tout ce qui vient de la gauche car – des personnes immigrées vivent mieux que moi et mes enfants ici en Suisse. on leur donne un bel appartement, on leur donne des sous pour vivre et on ne les oblige pas à travailler. J’habite une ville de gauche, Lausanne – un quartier avec 109 nationalités différentes – j’ai l’impression de vivre à l’étranger parfois .. ce ras-le-bol m’a fait prendre conscience que mon pays était en danger. Ne plus accepter tout cela c’est rendre à la Suisse ce qui lui appartient. Moi en tant que citoyenne, j’aimerais que ma volonté soit reconnue en disant STOP à tout cela. J’espère que ma vie, ma situation s’améliorera en étant du côté de la droite car là je ne le sais pas encore. si cela arrivera. J’aimerais que les milieux bourgeois, les entrepreneurs de ce pays, les entreprises se bougent aussi pour nous les suisses en difficulté et qu’on me donne du travail et non pas juste aux étrangers pour des salaires plus bas car cela les arrange. J’ai une page facebook Touche pas à ma Suisse » et je revendique le droit de dire tout ce qui ne va pas dans notre Suisse. Une maman suisse en colère !

  9. Posté par Pierre H. le

    L’ Empire Soviétique, sensé s’installer pour des siècles, s’est effondré… Le IIIème Reich, sensé dominer le Monde, s’est écroulé… Dans cet univers fini, tout a une fin… L’oligarchie mondialiste et la finance internationale s’effondreront. En Suisse, ceux dont le point de rupture est bas, péteront les plombs en premier. Ils seront les Winkelried modernes et y laisseront probablement leur peau. Mais la brèche qu’ils auront ouverte nous permettra de nous y engouffrer et de vaincre notre ennemi ! N’oubliez pas que les Waldstätten ont vaincu des armées très puissantes par la ruse à Morgarten et par le courage à Sempach.

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