Qui est le bouc-émissaire de nos sociétés ?

« Intégriste », « extrémiste », « populiste »... Ces mots doux sont couramment utilisés pour discréditer son adversaire, le renvoyant à des préjugés sur sa personne plutôt que sur son discours, afin d’éviter de se confronter à ses arguments. De nos jours, l’« anti-racisme » et l’ « anti-fascisme » croient différer des préjugés antérieurs, alors qu’ils ne sont que des rouages des mêmes mécanismes ancestraux qu’ils dénoncent : celui de la violence collective sacrificielle, véritable fabrique historique, religieuse et symbolique des bouc-émissaires. Mais le bouc-émissaire est-il bien celui qu’on croit ?

Rejeter son adversaire politique est de bonne guerre, me direz-vous, car le débat politique est fondé sur le langage instrumental et calculateur, celui qui cherche à écarter son adversaire ; car tous les coups sont permis dans ce monde politique. Cependant, il y a des mauvais coups qui sont plus « permis » que d’autres, voir encouragés. L’expression de certaines idées dans le débat public peut faire de vous un bouc-émissaire désigné. C’est le « certain » qui est intéressant : seules certaines idées peuvent faire de vous un pestiféré. D'autres sont dignes de louanges par une nomenclature morale. L’indignation est sélective et encouragée, et on apprend à ne s'indigner que d'une seule catégorie d’idées, celles qui sont désignées à l'avance. C'est la logique ancestrale du bouc émissaire, dévoilé ces dernières décennies par René Girard.

Rene_girardRené Girard montre qu’il y a une différence entre la violence sacrificielle (la violence du meurtre institutionnalisé) et la violence non sacrificielle (la violence réciproque interne à la communauté). Le sacrifice est une violence collective qui sert à maintenir l’ordre social. Aussi faut-il nécessairement qu’il y ait un bouc émissaire.

« Les hommes réussissent tous à se convaincre qu’un seul d’entre eux est responsable de toute la mimesis violente, s’ils réussissent à voir en lui la souillure qui les contamine tous »
René Girard, (La violence et le sacré, 1972)

Nous ne fixons pas notre choix politique de manière tout à fait autonome, tel un « spectateur désintéressé » de la vie politique qui tranche le moment voulu en toute connaissance de cause. C’est un mythe. Le choix politique que l’on pense subjectif est en fait pris dans cette intersubjectivité publique qui réalise quotidiennement cette logique de la violence sacrificielle. Nos journaux s’efforcent de ritualiser cette logique et de discerner en toute position quelque chose de l’ordre du « dénonçable » ou du « discriminatoire ».

Aujourd’hui qui est victime de cette violence collective ? Il ne s’agit pas de rentrer dans ce processus de victimisation qui tend à devenir omniprésent dans notre société. Les femmes, les minorités, les musulmans et les indignés aujourd’hui rivalisent d’ingéniosité et d’hypocrisie pour se présenter comme des victimes (aujourd’hui, même le délinquant est une victime !). Mais être la victime de quoi ? Du marché libéral pour l’indigné ? Du racisme des français de souche pour l’immigré ? Des idées « nauséabondes » qui se répandent à l'encontre du musulman et du gay ? De la.... justice pour le délinquant ? Tous veulent être reconnus comme victime. D’où notamment les courses à la reconnaissance et à la condamnation des génocides. René Girard appelle cela la « crise mimétique », parce que tout le monde désire la même chose, ce qui entraîne une guerre de tous contre tous, et, in fine, la destruction du politique.

 Ce qu’il faut bien repérer, c’est que certains sont les boucs-émissaires de ce processsus même de victimisation qui ronge notre société. C’est bien de là que s’enclenche le mécanisme victimaire, qui consiste à trouver la victime de toutes les victimes de ce processus mimétique.

Et qu’évidemment, le bouc-émissaire désigné est le catholique – ne se revendique-t-il d’ailleurs pas d’un Dieu sacrifié ? Il incarne tout à la fois l’esprit moyenâgeux, réactionnaire, traditionnel, fermé sur l’avenir et sur les reconfigurations mondiales (théorie du genre, multiculturalisme, libération des moeurs, etc.), représente tout à fait le vieux européen qui va à la messe dans son village dont personne ne veut plus. Bref, il représente l’antithèse parfaite des « victimes modernes ». Donc la victime idéale.

Vivien Hoch, 2 mars 2015

2 commentaires

  1. Posté par Olmedo le

    la société est en grande souffrance depuis très longtemps,elle a besoin de bouc-émissaire pour compulser sa violence.La foule et le grand nombre cède a la facilité car c’est cela qui l’identifie dans le théâtre politique cathartique contemporain qui n’appelle pas à réflechir en générale,mais propose sa démagogie première,à savoir trouver des solutions à tout les problèmes dans une compétion de clivage qui n’ont pas lieu d’être,puisque,quelque soit le « gagnant »,c’est l’économie qui est servit pour tout le monde dans l’assiète de sa disette personnelle…enfin,un délinquant est délinquant car il a pas trouver d’autres façon de vivre sinon il n’aurait pas pris le risque de faire ce qu’il fait…il est donc une victime,ou quelqu’un qui aime la prison,mais j’ai du mal à le voir comme un exécrable personnage à punir comme un pestiférés,un méchant foncièrement méchant, sans trouver des clés qui puissent le sortir de la délincance…le respect de l’autre intrinsèquement,dans ses convictions(religieuse etc…)et dans le bien qu’il est pour lui dans la mesure qu’il prends en compte l’autre égal,et qui est différent pour son bien dans ses convictions et (valeurs fondamentaux) des fois,est la meilleur façon de vivre ensemble,chose qui de toute façon(nécessite)un bouc émissaire du mal que nous avons en nous-même,tous!sans distinction d’âge,d’origine de pratique,de culture,de vie,de sexe,de choix sexuel etc…de profession,d’étude ou non,car je pense toujours que tout le monde(sain de corps et d’esprit),aimons naturellement le bien pour lui même et dans l’absolu!

  2. Posté par Pierre Galand le

    La conclusion de cet article m’apparaît plus que douteuse. Et, surtout, n’engage que son auteur qui semble faire dire à René Girard ce que ses écrits ne permettent pas de conclure. C’est de la part de Vivien Hoch une conclusion personnelle qui n’avait pas besoin de s’appuyer sur les excellents écrits de René Girard, ce qui risque de jeter le discrédit sur eux ! Vivien Hoch oublie une chose importante: à savoir que les analyses et donc les conclusions auxquelles René Girard est parvenu relate les comportements des hommes à une époque très lointaine: celle de la naissance de l’humain où tout était à découvrir, tout était « superstitions » … autrement dit, aux antipodes des conditions actuelles. Il occulte manifestement les actions délibérées de certains hommes actuels à tromper et à abuser leurs semblables en vue d’obtenir ce qu’ils veulent: il n’est pas, à ce jour, une semaine qui s’écoule sans que s’étalent dans tous les médias de tels agissements. Aujourd’hui on trompe le peuple en toute conscience ,qui n’est pas la situation décrite par René Girard où tout le monde, de bonne foi, se trompait. Le catholique comme l’Eglise catholique font l’objet aujourd’hui d’une lutte acharnée d’une minorité contre elle et ce d’une manière strictement programmée et orchestrée. Il suffit de se rendre compte que la quasi totalité des évènements « sociétaux » qui se produisent depuis peu sur notre Terre n’eurent pas, dans le passé, d’équivalents. Il y a là une orchestration parfaite, totalement arbitraire qui n’a rien à voir avec un aspect « bouc émissaire inversé ». Ceci dit, je conseille vivement la lecture des ouvrages de René Girard: c’est un génie, et son « opérateur anthropologique » mis à nu par son travail est particulièrement performant et percutant: il dévoile ainsi beaucoup de choses majeures … mais aussi fort dérangeantes … ce qui explique le silence quasi total (médiatique) dont il est l’objet.

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