Grèce : Victoire historique pour Syriza et troubles à venir en Europe

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Par Raoul Ruparel
Un article d’Open Europe

Les premiers résultats des élections grecques sont tombés. C’est une victoire écrasante pour le Syriza, le parti « anti-austérité » mené par Alexis Tsipras, qui a quasiment remporté une majorité absolue. Le parti a promis une renégociation de la dette de la Grèce et la fin de l’austérité. Le point sur la situation et les conséquences pour l’Europe.

Les premiers résultats officiels des élections grecques

résultats élections Grèce

Avec une victoire beaucoup plus importante que prévu, Syriza a quasiment obtenu la majorité absolue au sein du nouveau parlement grec. La dernière projection crédite le parti anti-austérité mené par Alexis Tsipras de 149 sièges : il ne lui manquerait que deux sièges pour atteindre la majorité absolue. Syriza détient près de deux fois plus de sièges que Nouvelle Démocratie, le parti de centre-droit du Premier ministre sortant Antonis Samaras.

Comment le nouveau gouvernement grecque sera-t-il formé ?

  • Dès aujourd’hui, le président grec Karolos Papoulias chargera le leader du plus grand parti – Alexis Tsipras de Syriza – de former un gouvernement. Tsipras aura trois jours pour le faire, ou bien il devra restituer son mandat.
  • Lorsque le nouveau gouvernement sera formé, il devra obtenir un vote de confiance du parlement dans les quinze jours suivant la date à laquelle le nouveau cabinet est assermenté.
  • Si Tsipras échoue à composer un gouvernement, le mandat passera alors dans les mains du deuxième parti (Nouvelle démocratie), puis du troisième, chacun des partis ayant trois jours pour former un gouvernement.
  • Si les trois tentatives échouent, Papoulias devra tenter de former un gouvernement d’unité – comme en 2012. Si aucun accord ne peut être trouvé, un gouvernement intérimaire sera nommé, le parlement sera dissous et de nouvelles élections auront lieu.

Quels sont les scénarios de coalition possibles ?

Il y a deux scénarios probables de coalition. Syriza peut encore espérer une majorité absolue, même si ses chances sont désormais très minces. Avec en vue les âpres négociations au sein de la zone euro, Syriza doit s’évertuer à développer une solide coalition pour espérer avoir une belle carte à jouer.

  • Syriza et les Grecs indépendants (ANEL) ?

À première vue, cela semble être une alliance peu probable étant donné que l’ANEL est un parti de droite dure. Mais ils ont travaillé de concert dans l’opposition, notamment pour bloquer l’élection d’un président et déclencher ainsi ces élections. Fondamentalement, ils s’accordent également sur la nécessité de rejeter les engagements de sauvetage du gouvernement précédent, de restructurer la dette et de mettre un terme à la politique d’austérité en Grèce.

Ils tiendraient 163 sièges au parlement grec, ce qui leur donnerait une majorité assez forte. Cependant, ils ne s’entendraient pas sur un certain nombre d’autres questions importantes (par exemple la politique d’immigration). Par conséquent, des doutes subsistent sur la stabilité et la longévité d’une telle coalition. Une option serait une alliance plus souple, avec l’ANEL promettant un soutien sur certaines questions clés telles que les négociations avec les partenaires de la zone euro concernant la dette de la Grèce.

  • Syriza et To Potami

Tout au long de la campagne électorale, les centristes de To Potami (littéralement La Rivière) ont été présentés comme de potentiels « faiseurs de rois » et des partenaires de coalition pour Syriza. Toutefois, dans tous ses discours, le parti a lui-même fait preuve de prudence. Même s’il partage les points de vue de Syriza quant à la nécessité d’un certain soulagement de la dette, l’assouplissement de l’austérité et l’augmentation du salaire minimum, To Potami reste en faveur d’un respect strict des engagements européens du pays.

Pourtant, un accord pourrait être possible et donnerait au nouveau gouvernement une majorité avec 166 sièges. Du point de vue européen, cette coalition pourrait être considérée comme plus modérée.

  • Les autres scénarios de coalition semblent peu probables

Il serait politiquement suicidaire pour Syriza de conclure un accord avec l’un des partis de gouvernement actuels, le Pasok et Nouvelle Démocratie, que Tsipras a vertement critiqué pendant des années. Enfin des coalitions entre Syriza et le parti communiste grec (KKE) ou le parti néo-nazi Aube dorée sont peu probables.

Que pourrait faire un gouvernement dirigé par Syriza ?

Syriza a précisé ses orientations économiques dans son « programme de Thessalonique ». Les principales propositions sont les suivants :

  • Effacer « une grande part de la valeur nominale de la dette publique », idéalement via un « Conférence européenne de la dette ». Le remboursement de la partie restante de la dette grecque serait subordonné à la croissance économique. Syriza souhaiterait aussi une suspension du paiement des intérêts sur la dette grecque.
  • Stimuler les investissements publics d’au moins 4 milliards d’euros, « inverser progressivement les injustices » du programme de sauvetage UE-FMI et augmenter progressivement les salaires et retraites pour stimuler la demande intérieure et la consommation, notamment en augmentant le salaire minimum de 751€ par mois (683€ actuellement).
  • S’attaquer à la « crise humanitaire » de la Grèce via un plan de 2 milliards d’euros, comprenant l’électricité gratuite pour les 300 000 ménages actuellement sous le seuil de pauvreté, des aides alimentaires pour 300 000 familles sans revenu, et des soins gratuits pour les chômeurs non assurés.
  • Supprimer l’impôt foncier actuel et le remplacer par un impôt sur les grandes fortunes. Cela coûterait environ 2 milliards €. Le seuil de l’impôt serait porté à 12 000 € par an, pour un coût estimé de 1,5 Md €.
  • Restaurer les protections des salariés au niveau de celles de la période pré-sauvetage et supprimer les lois permettant les « licenciements massifs et injustifiables » des travailleurs.
  • Syriza estime le coût total à près de 11,4 milliards €, mais avec des gains de revenus de 12 milliards € – grâce à la création d’emplois, de nouvelles mesures sur le paiement des arriérés d’impôts, et la lutte contre l’évasion fiscale. En d’autres termes, Syriza affirme que sa politique économique finirait par être neutre pour le budget. Toutefois, le ministère grec des Finances a dit que de tels plans coûteraient au moins € 17,2 milliards.

Syriza manquera de temps et d’argent

Syriza devra agir rapidement pour engager des négociations avec ses partenaires européens. L’extension du plan de sauvetage actuel arrive à échéance à la fin de février. Si aucune politique n’est mise en place, les banques grecques pourraient perdre l’accès au financement de la BCE alors que les obligations grecques ne seront plus éligibles comme garanties. Avec l’incertitude sur le programme de sauvetage qui grandit, la BCE pourrait également choisir de faire pression en menaçant de couper l’accès à l’assistance de liquidité d’urgence (ELA), comme elle l’a fait avec Chypre en 2013.

La Grèce a également un remboursement obligataire significatif en juillet et en août, totalisant plus de 7 Md €. Avec des retards de trésorerie déjà à un niveau record de 2 Mds € et de nombreux impôts et taxes impayés, le nouveau gouvernement sera à court d’argent. La réponse de Syriza pourra consister à émettre davantage de bons du Trésor (de la dette publique à court terme) mais cela nécessitera l’approbation de la troïka UE/FMI /BCE. S’il s’engage dans cette voie, les seuls acheteurs seront les banques grecques, mais celles-ci auront besoin des liquidités de la BCE pour effectuer de telles acquisitions.

Quelles sont les marges de manœuvre pour renégocier la dette ?

dette grecque

Une forte dépréciation de la dette sera difficile à obtenir. Tout d’abord, il y a peu de chance que le FMI et la BCE soient d’accord pour renégocier les 52 milliards € de dette qu’ils détiennent. La restructuration de la dette du secteur privé totalisant 82 milliards € sera également difficile à obtenir pour plusieurs raisons, notamment parce que la nouvelle dette a été émise en vertu du droit anglais et sera difficile à restructurer d’un point de vue légal, et parce qu’une part importante est détenue par les banques grecques dont elles ont besoin pour survivre. Cela laisse seulement quelques marges de négociation sur les prêts de la zone euro, mais cela nécessiterait l’approbation et l’acceptation unanime d’un certain nombre de parlements nationaux. La Finlande, l’Allemagne et les Pays-Bas ont d’ores et déjà exclu une telle option – notamment parce qu’une telle démarche reviendrait à créer de facto une union budgétaire dans la zone euro et pourrait causer un précédent pour tous les autres pays qui ont bénéficié de plans de sauvetage.

La négociation pourrait également porter sur le rééchelonnement de la dette. Il s’agirait d’assouplir le calendrier de remboursement des prêts de l’UE et de réduire les taux – mais il sera difficile de faire plus bas car ces derniers sont déjà très proches des taux du marché. Une voie plus prometteuse serait un moratoire sur les paiements d’intérêts et de capital jusqu’à ce que la Grèce ait atteint un certain niveau de croissance. Cela pourrait être combiné avec une surveillance réduite et un assouplissement du programme de réforme.

De toute évidence, la situation est très incertaine. Une dépréciation complète de la dette semble impossible politiquement et juridiquement pour la zone euro, tandis qu’un simple rééchelonnement de la dette risque de décevoir les électeurs de Syriza.

Vers une sortie de la Grèce de l’eurozone ?

Les rapports de force ont évolué sur ce sujet. La zone euro est à juste titre moins préoccupée par la contagion financière d’une sortie de la Grèce de l’euro. De même, la situation économique de la Grèce s’est améliorée de telle sorte qu’elle pourrait être en mesure de gérer les retombées économiques et financières de sortie de l’euro. Cela dit, les conséquences seraient sans doute plus douloureuses pour la Grèce que pour la zone euro. En outre, la plupart des Grecs veulent rester dans l’euro à tout prix (76% dans les sondages de début du mois). Par conséquent, il est peu probable que la Grèce choisisse unilatéralement de quitter l’euro. Les négociations seront particulièrement délicates et une sortie de la Grèce, même si peu probable, n’est sans doute plus à exclure à ce stade.

Le reste de l’Europe dans l’expectative

Quoi qu’il arrive, la Grèce est redevenue le terrain d’expérimentation de la zone euro. Les partis anti-establishment comme le Podemos en Espagne et le Front national en France vont surveiller de près les négociations. Si la Grèce obtient un accord, cela pourrait bien les renforcer dans leur volonté d’exiger un énorme changement de la gestion de la crise par l’Union. À l’inverse, refuser tout compromis pourrait saper leurs prétentions de changement. Cela dit, cela pourrait également alimenter davantage de réactions populistes contre les « politiques d’austérité ».

Quel que soit le résultat des négociations, il y a le sentiment que cette fois-ci tout est différent. Une divergence marquée entre deux positions tranchées apparaît. Les conséquences se feront sentir à travers l’Europe. Même si un compromis est toujours possible, il sera très douloureux à obtenir et nécessitera que certains reviennent sur leurs positions.


Sur le web. Traduction : Raphaël Marfaux pour Contrepoints.

 

Extrait de: Source et auteur

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Un commentaire

  1. Posté par Vautrin le

    Bon : la Grèce va nous donner une leçon sur les dangers qu’il y a à se réfugier dans le gauchisme en espérant résoudre les problèmes d’un pays. Dommage pour le peuple, mais, d’après les résultats du scrutin, il l’aura bien cherché. Il y avait d’autres moyen de se libérer de la dictature de Bruxelles, par exemple en se mettant au travail et en renonçant à l’hédonisme étatique. Les Grecs ont choisi la démagogie : ils vont le payer cher.

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