R. Koeppel, éditorial de la Weltwoche sur la décision de la BNS

Trop tard, trop brutale, trop à l’aveuglette: essayons, néanmoins, de qualifier de positive la décision de la Banque nationale.

Les réactions ont été impressionnantes. Sur les forums en ligne allemands, la décision de la Banque nationale suisse (BNS) d'abandonner le rattachement à l'euro a été accueillie avec jubilation. Le fait que la BNS reprenne la situation en main inspire respect et admiration. Beaucoup d'Allemands trouvent fantastique la manière dont un petit État dresse un rempart contre un euro en baisse. La grande majorité est ravie de voir que la Suisse revient à l'indépendance en matière de politique monétaire. Dans de nombreuses prises de parole, on sent la douleur fantôme des Allemands suite au remplacement du mark par l'euro. Dans un baromètre d'opinion de l'édition en ligne du quotidien Die Welt, une large majorité estime que la Suisse enregistrera encore bien plus de succès après la décision de la BNS qu'auparavant.

Les Allemands ont un ressenti parfois plus suisse que de nombreux Suisses.

J'ai fait la même expérience en Allemagne en défendant, il y a un an dans un débat télévisé, la décision populaire contre «l'immigration de masse». Au cours de l'émission, les représentants de l'establishment allemand avaient taxé les Suisses de ploucs xénophobes. Or, dans les lettres et les courriels qui ont suivi l'émission, une énorme vague de sympathie s'est manifestée en faveur de la «république alpine». Encore des semaines après la diffusion de l'émission, la rédaction de  la Weltwoche recevait des commentaires venant d'Allemagne. De l'avis général, à quelques très rares exceptions, la Suisse a un excellent système politique. Elle doit impérativement conserver son indépendance, son autodétermination et sa démocratie directe.

Nous ne voulons pas surestimer de telles interventions, mais leur accumulation les rend représentatives d'un ressenti plus large. Qui plus est, elles tranchent agréablement sur les apparitions si pusillanimes des représentants des intérêts suisses à l'étranger qui semblent souvent exposer leurs préoccupations sur la défensive, exprimant ainsi une permanente mauvaise conscience. Le fait est que la Suisse a beaucoup d'amis en Europe. Force est de prendre en compte la critique politiquement motivée qui vient des instances gouvernementales, elle ne doit, cependant, pas devenir la mesure de toutes choses. Nous les Suisses, nous ne sommes peut-être pas toujours conscients dans quelle mesure notre culture de la souveraineté du peuple et de l'autodétermination, pour nous si évidente, touche et impressionne au-delà de nos frontières.

La situation frise parfois l'absurde: tandis que l'on aspire ailleurs à la démocratie directe, des politiciens et des juges suisses s'acharnent à la restreindre. Par manque de problèmes, on s'en crée soi-même en détruisant ce qui nous distingue des autres et ce pourquoi ils nous envient. Peut-être que cet empressement masochiste avec lequel dans ce pays on porte des coups à des institutions qui n'ont cessé de faire leurs preuves est le symptôme d'une prospérité qui ne se supporte plus elle-même.

Le signal décisif envoyé par cette décision surprenante, peut-être hâtive et certainement aussi causée par une pointe de panique de la Banque nationale, sous la présidence de Thomas Jordan, de libérer le franc de l'euro peut se résumer de la manière suivante: ils ont du courage. Beaucoup de courage. Il faut réellement du courage, après le maintien bien trop long du taux plancher avec l'euro, pour larguer brusquement les amarres sans bruit. Le fait que personne ne l'ait prévu ni vu venir atteste la qualité de l'indépendance du directoire. L'introduction du taux plancher il y a trois ans et demi avait, en comparaison, fait l'objet d'un véritable théâtre avec des séances, des réunions et même un «Grütli du franc». On pouvait en lire clairement les détails dans la presse dominicale. Maintenant, les choses se sont passées tout autrement. Le président de la BNS, Thomas Jordan, a opéré son abandon sans états d’âme bien plus discrètement que son prédécesseur, Philipp Hildebrand, son adoption. Solitaire, sans crier gare, il a pris tout le monde à contre-pied. Si l’on considère les choses sobrement, est-ce que les banques centrales ne devraient pas agir pareillement dans les moments difficiles?

La décision est d'autant plus remarquable que la politique en Suisse vise à éviter et à empêcher la prise de décisions. Ce n'est pas par accident, c'est intentionnel. Les Suisses souffrent certes d'une direction faible au Palais fédéral, mais ils souffriraient plus encore d'une direction forte. Le prix de l'autodétermination est le choix du compromis fait par le personnel politique qui préfère le prudent au courageux, le bien sage à l’original et l'hésitant au décideur. Un peuple qui veut se gouverner lui-même ne peut pas tolérer de gouvernements forts. Que la Suisse parvienne néanmoins à laisser émerger des personnalités qui agissent, le cas échéant, avec détermination est inhabituel et, donc, particulièrement réjouissant.

Il est plus facile pour une économie nationale d'administrer des analgésiques que de devoir arrêter plus tard les médicaments. Quoi que l'on puisse penser objectivement de la décision de Jordan, qu'il se soit positionné et ait pris sur lui la responsabilité l'expose aux attaques et c'est justement tout à son honneur.

In fine, le président de la BNS avait le choix entre deux options à peu près aussi mauvaises l'une que l'autre: la poursuite du taux plancher et l'arrimage à la politique de l'euro faible de la BCE ou l'abandon de ce rattachement avec les risques imprévisibles d'appréciation d'un franc libéré. Curieusement, le patriote Jordan a opté dans le doute pour l'autonomie.

La Suisse est renvoyée à la Suisse parce qu'instinctivement elle ne se fie qu'à elle-même dans des situations vraiment critiques.

Roger Koeppel, Editorial, Weltwoche, version française Le patriote, 22 janvier 2015

 

 

4 commentaires

  1. Posté par Michel de Rougemont le

    La BNS savait qu’elle devait un jour abandonner le taux plancher.
    Elle a dû le faire maintenant à cause de ce que la BCE se préparait à faire: de la cavalerie !
    Cela ne rend pas plus libre mais donne un degré de liberté, une variable d’ajustement, de plus.
    Maintenant il faut faire face à la situation sans se faire des illusions, ou plutôt en abandonnant celles qu’on croyait avoir.
    Voir à ce sujet une « Lettre ouverte aux citoyens suisses et à leurs représentants parlementaires et exécutifs », ici. http://bit.ly/1gpTA1U

  2. Posté par Marie-France Oberson le

    Pour ceux qui comme moi ne sont pas très au fait des questions monétaires ,mais ne sont pas pour autant des idiots , voici un excellent exposé -que l’on pourrait titrer « L’euro pour les nuls »- qui vient confirmer ce que leur laisse deviner leur sixième sens.
    A mon avis ,la BNS SAVAIT que la BCE allait faire marcher la planche à billets et que de ce fait,elle- la BNS-n’allait plus pouvoir continuer à acheter tous ces euros qui allaient être mis en circulation , , anticipant certainement le fait que cette monnaie artificielle va se casser la figure ..
    Les europhiles sont tellement accrochés à leur dogme d’union que les moyens les plus artificiels sont bons pour soutenir un édifice construit sur du sable.
    « Les européistes peuvent imaginer avec effroi ce qu’il adviendrait si la Grèce, par exemple, sortait à la fois de l’euro et de l’UE et si, deux ou trois ans après, sa situation était redevenue florissante. L’effet d’exemplarité serait dévastateur pour la survie de l’UE » Déjà que devoir admettre la bonne santé de la Suisse malgré qu’elle soit hors UE, ça leur donne des boutons!!
    https://www.facebook.com/notes/fran%C3%A7ois-asselineau-union-populaire-r%C3%A9publicaine/-%C3%A0-quoi-joue-mme-merkel-/10152497019252038
    « Pour consentir à une perte financière aussi vertigineuse, il a fallu que la BNS ait de sérieuses raisons. Ces raisons sont à rechercher dans ce qui s’est passé la veille. »
    « il est probable que le projet que caressent les dirigeants allemands est de provoquer l’arrêt de l’euro, mais d’une façon telle que cela n’apparaisse pas clairement comme étant de leur fait. Ce qu’ils recherchent sans doute, c’est un sabotage en catimini. »
    « comme on ne peut pas arrêter l’océan avec un barrage, la pression des faits qui poussent à l’éclatement de l’euro est telle que les pays concernés n’auront bientôt plus d’autre choix que d’en sortir, ce qui, en droit, leur impose de sortir aussi de l’UE. »
    Quand je pense que suite à ce « tsunami » on a des gaucho suisses qui essaient de nous persuader que la seule solution pour s’en sortir est d’entrer dans ce cirque alors que ceux qui y sont se demandent comment en sortir, on se dit qu’il y en a tout de même , chez nous, qui « résonnent  » comme des casseroles .

  3. Posté par KANDEL le

    Enfin, le CHF est libre …. et Mr Thomas Jordan aussi, bien qu’il ait détroussé les Suisses de dizaines et de dizaines de milliards de CHF.

    1. l’arrimage du CHF à l’euro était voué à l’échec et tout esprit MOYENNEMENT INTELLIGENT le savait.
    les exemples historiques sont là pour le montrer, sans exception.
    il n’aurait jamais, jamais fallu fixer un taux plancher au CHF.

    2. les experts en communication de la BNS inventeront toujours des « histoires » pour justifier l’injustifiable (par exemple : on a donné aux industriels le temps pour s’habituer à un CHF fort, etc…)

    3. la leçon, toujours la même, est la suivante : ON NE TRICHE PAS AVEC LE MARCHÉ.
    On ne triche pas davantage avec la réalité de la nature humaine, l’échec du communisme est là pour le montrer.

    4. maintenant, comment faire pour que les grands détrousseurs du peuple suisse (Mr Thomas Jordan et tous ces « génies » de la BNS) soient punis et restituent au peuple suisse les milliards qu’ils lui ont dérobés par « stupidité économique politiquement correcte »

    5. pour plus d’éclairage sur ces questions, lisez LUDWIG VON MISES, le plus grand économiste du 20ème siècle selon certains économistes (c’est un esprit libre, c’est pourquoi tous les moutons du troupeau politiquement correct de la pensée économique le détestent ou l’ignorent)

  4. Posté par Economico le

    Franchement, ils ne vont pas se plaindre car ils ont tout à gagner de cette situation. Augmentation des exportation vers la Suisse et amélioration des conditions salariales pour les frontaliers.

    C’est les Suisses qui vont souffrir, pression sur les salaires et baisse des actifs pour les propriétaires. En résumé, vous êtes moins compétitif sur le marché du travail, le bien immobilier pour lequel vous avez une hypothèque va voir sa valeur baisser.

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