Ecopop:  un OUI lucide pour ébranler deux paradigmes séculaires

Ceux qui se sont donnés la peine de lire le texte de l'initiative Ecopop n'y auront trouvé ni références aux "étrangers" (où donc est la xénophobie?) ni propositions pour surmonter, d'une manière ou d'une autre, les soit-disant défis économico-écologiques de notre société malade de la surconsommation de tout. Seule la question de principe de lutte contre la surpopulation humaine (mondiale et pas seulement suisse) aux fins de protection de la planète et de préservation des ressources naturelles [1] est abordée. Et c'est bien ainsi, car qui trop embrasse mal étreint, comme nous allons le voir.

 

Une très grande partie de la population mondiale [2] est imprégnée, consciemment ou non, par deux injonctions bibliques: "Croissez et multipliez ..." [3] et "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front..." [4].

A l'époque ou ces paroles furent supposément transcrites, il y a quelque 3000 ans, quelque part entre Egypte et Canaan, la population totale de la Terre était d'environ 100 millions de personnes (soit près de 60 fois moins que l'actuelle) et celle de l'Egypte estimée entre 2 et 5 millions (soit 15 à 40 fois moins qu'aujourd'hui). Et pourtant, la pullulation excessive des humains [5] constituait déjà un problème, dès que les ressources (essentiellement alimentaires) diminuaient ou devenaient insuffisantes. En l'abscence d'un concept de contrôle volontaire des naissances, ce problème était "traité" de manières diverses: émigrations, expulsions de masse, invasions suivies de génocides, élimination d'enfants en bas âge. Rien de joli, donc.

Il faut bien voir que lorsque plusieurs groupes humains (distincts et étrangers les uns aux autres) "croissent et se multiplient" chacun de son côté, il ne peut en résulter, à ressources constantes ou insuffisemment croissantes, que des chocs meurtriers consécutifs à des guerres territoriales, ce que l'Histoire, jusqu'à nos jours compris, a abondament illustré.

Mais, grâce aux progrès techniques, la sueur de nos fronts et cerveaux musclés a, au fil des siècles, produit de plus en plus de pain, puis de meilleurs moyens de communication physique puis virtuelle et de meilleures connaissances médicales, et récemment un début de compréhension de l'impact de notre espèce - et son mode de vie - sur le reste de la biosphère, NOTRE biosphère.

Sans la première injonction, l'Humanité, devenue presqu'adulte, aurait profité de ces progrès pour améliorer son niveau de vie et pacifier ses inter-relations, une fois atteinte une densité de population suffisante, mais respectueuse des autres espèces végétales et animales et du paysage: les "erreurs" des architectes, contrairement à celles des chirurgiens, ont tendances à leur survivre très longtemps [6]; d'autre part, comme observés chez les chimpanzés [7], une forte densité de population est corrélée avec un plus grand nombre de meurtres... car l'espace vital de chacun est aussi une ressource nécessaire à notre bonheur et notre équilibre.

Sans la deuxième injonction (qui se traduit de nos jours par l'horreur économique [8] du capitalisme de marché), nous ne serions pas crédules au point d'accepter, malgré tous ces progrès, malgré l'insolente abondance de biens qui nous entoure (pour la plupart superflus) et à la suite de nos édiles (de droite, de gauche ou verdâtres), que le dogme d'une croissance "économique" continue - physiquement impossible dans un monde clos - soit la condition pour tous d'obtenir un "emploi", accompagné de plus en plus souvent d'un labeur privé de sens, mais obligatoire dans ce système absurde.

Il faut donc contester ces injonctions pour réussir (un jour) à les déconsidérer et les déraciner de notre inconscient collectif.

Ecopop, courageusement, timidement, maladroitement peut-être, s'en prend ouvertement à la première, et, indirectement, à la seconde: si vraiment la baisse du solde migratoire provoquait un ralentissement de l'économie suisse, on serait sur la bonne voie! Car renoncer à une bonne partie de ces bras extérieurs (européens pour la plupart) rendrait inutile la funeste extension et "densification" de nos espaces construits, que l'on entend prôner par beaucoup.

La Suisse est trop petite pour influencer sur la distribution inégale de la population mondiale actuelle, même en accueillant 20 millions de migrants de plus (alors que sa densité est déjà pratiquement double de celle de la France, par exemple.) D'autre part, les exemples français, justement (avec ses millions de migrants issus d'anciennes colonies), et étatsuniens (avec ses millions de migrants mexicains illégaux mais tellement utiles), démontrent que des transferts de populations pourtant massifs n'ont en rien contribué à résoudre les problèmes de fonds de leurs patries d'origine.

Mais la Suisse n'est pas trop petite pour donner l'exemple avec des concepts précurseurs: on l'a vu avec l'Initiative des Alpes et la RPLP qui en a résulté pour les poids lourds en transit, RPLP d'abord décriée par l'Union Européenne, puis prise comme modèle par cette même EU et plusieurs de ses membres importants...

Alors, malgré les tombereaux d'arguments fallacieux ou à courte vue de la triple Alliance (Gauche-Droite-Verts), un oui lucide à Ecopop fera peut-être qu'à l'avenir, un nombre acceptable d'humains partage confortablement les montagnes, plaines, déserts, forêts et océans, avec plantes et animaux, sauvages et domestiques. Plutôt que "réussir" à obtenir un entassement maximum d'humains, survivants a minima dans un environnement enlaidi, une planète massacrée et gérée, comme toutes ces industries "rentables", à flux tendus.

 

Eddy Forte, Ing.-Dr. EPFL, le 26 novembre 2014

 

Notes:

[1] Ce qui est interprété comme une opposition du "droit de la Nature contre droit humain [sic]" par C. Amarele, comme si l'homme ne faisait pas partie de la nature.

[2] Au moins celle dont la culture est issue de l'une des trois religions dites du Livre.

[3] Genèse 1, 28. La citation complète est ...pire: "Croissez, et multipliez, et remplissez la terre; et l'assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bête qui se meut sur la terre."

[4] Genèse 3, 19.

[5] en temps de paix et en l'abscence de catastrophes naturelles ou d'épidémies, l'homme ayant déjà acquis le privilège d'être son propre et principal prédateur, lions et crocodiles n'ayant, même à cette époque, déjà plus qu'un impact anecdotique.

[6] Cette tour inachevée défigure la baie de Naples depuis des années (voir photo annexée): au moins Lausanne aura réussi à échapper à sa Taoua.

[7] M.L. Winston et al, Nature, 513,414,2014, cité dans La Recherche, 493,p.18,nov.2014.

[8] L'Horreur économique, Viviane Forrester, Fayard, 1996.

 

4 commentaires

  1. Posté par colibri le

    une chose est plus que certaine les Alcopop ont pris l’ascenseur tandis que les écopoints à certains endroits sont remplis de faux sacs poubelles
    A trop parler d’écologie le peuple fait part de son dégout

  2. Posté par li pixels le

    J’ai voté OUI avec les deux mains !

  3. Posté par Economico le

    Le gouvernement perd le contrôle face au digital. Est-ce qu’il faut parler de populisme, je dirais plutôt que la population se fait son propre avis en échangeant leurs idées. Une perpective intéressante car elle fera économiser aux partis des compagnes publicitaires coûteuses et le plus souvent hideuses. Les entreprises arrêteront de financer les partis pour nous laver le cerveau.

    « Voir populisme digital »
    http://www.rts.ch/info/dossiers/2014/votations-federales-du-30-novembre/

  4. Posté par Derek Doppler le

    De plus, la « densité » est criminogène. Ah, on me dit qu’en fait lorsqu’il s’agit d’homicides ou de crimes de masse on peut y voir un heureux effet -inattendu- d’autorégulation. Alors allons-y, densifions encore et toujours.

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