La démocratie directe? Elle se porte à merveille.

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant

 

C’est le vieux principe du messager qu’on fait tuer, la nouvelle dont il est porteur n’ayant pas l’heur de plaire. Parce qu’aujourd’hui, les initiatives populaires, ce vieux droit de plus d’un siècle, vont dans un sens qui n’est pas le leur, les adversaires de ces textes mettent en cause la démocratie directe elle-même. Elle serait, nous dit-on «malade ». Synonyme « d’irrationnel, d’instabilité, de populisme ». Oui, c’est le langage méprisant de la pathologie dont n’hésite pas à user ce matin l’éditorialiste du Temps pour dénigrer un système de recours au suffrage universel qui, tout au contraire, ne s’est jamais porté aussi bien.

 

Dans les colonnes de ce journal, ce matin, on prétend non seulement que le système est malade, mais en parlant « d’irrationnel », on désigne d’un peu plus près le type d’affection dont il souffrirait : il aurait, au sens propre, perdu la raison. Cette Raison, Vernunft, si chère au Freisinn, ces valeurs des Lumières qui ont porté depuis deux siècles la démocratie suisse. Et n’appartiennent en propre ni au Temps, ni à votre serviteur, ni à aucun d’entre nous, pris isolément. On se demande juste de quel droit ce journal viendrait, tout seul, distribuer les bons points de la raison face à la folie, toiser l’aune du rationnel, qui serait acceptable, face à « l’irrationnel », qu’il s’agirait d’ostraciser.

 

Depuis 1891, l’initiative populaire constitue, parmi d’autres, l’un des organes de notre vie démocratique. Organe, au sens grec, « outil ». Elle n’est pas là pour se substituer aux travaux parlementaires, mais pour permettre au corps des citoyens de se mobiliser, puis d’appeler le suffrage universel à se prononcer sur des sujets que nos bons parlementaires auraient pu oublier, omettre, sous-estimer, mépriser. Fabuleux contre-pouvoir, que tant de voisins nous envient. Comme je l’ai récemment rappelé, les succès à répétition des initiatives sont dans notre Histoire un phénomène très récent : quand j’étais jeune journaliste, au Journal de Genève, elles n’aboutissaient jamais, jusqu’à ce dimanche de 1987 où celle de Rothenthurm, dite « pour la protection des marais », créait la surprise.

 

Aujourd’hui, les initiatives créent l’événement. Tous les trois mois, le peuple et les cantons doivent se prononcer sur au moins l’une d’entre elles, souvent plusieurs. Cela nous vaut de vastes débats nationaux, où tout le monde peut s’exprimer, et un jour le souverain décide. C’est exactement ce qui se produira dimanche : nous avons trois initiatives, on a largement pris le temps d’en parler, le suffrage décidera, et nous verrons bien. Franchement, où est le problème ? De quel droit un éditorialiste du Temps vient-il décréter, face à un rouage qui n’a jamais aussi bien fonctionné, que notre système serait « malade, irrationnel » ? J’ai beau chercher, désolé, je ne décèle ni mal, ni déraison.

 

A la vérité, ce qui déplaît à l’éditorialiste du Temps, c’est le CONTENU de ces trois initiatives. Eh bien, il est citoyen, il n’a qu’à voter non. Il votera trois fois non, je voterai trois fois oui, des millions de nos compatriotes combineront tout cela dans le sens qu’ils voudront, et le produit cartésien, mathématique, de tous ces votes constituera le verdict de dimanche. Il n’y a là ni «maladie », ni « irrationnel ». Il y a juste la mise en œuvre, parfaitement légale, constitutionnelle, de l’un des organes de notre démocratie.

 

Que mon estimé confrère combatte les trois objets du 30 novembre, c’est son droit le plus strict. Nous sommes en démocratie : chaque citoyenne, chaque citoyen a toute latitude pour exprimer son opinion. Mais qu’il dénigre, en utilisant des termes médicaux, un système qui ne s’est jamais aussi bien porté, a de quoi nous étonner. Car notre démocratie directe est en pleine forme. Il existe un droit d’initiative. Le corps des citoyens en fait usage , de plus en plus. Il n’y a là rien de sale, rien d’anormal, rien de « malsain », rien « d’irrationnel ». La démocratie directe, comme la pile Leclanché, comme la liberté d’expression, ne commencera à s’user que lorsqu’on ne s’en servira pas. Ne bradons pas un droit qui donne une vitalité à de si salutaires contre-pouvoirs, surgis d’en bas.

 

Pascal Décaillet, Sur le Vif,  25 novembre 2014

 

5 commentaires

  1. Posté par KANDEL le

    Monsieur Décaillet,
    Quatre ans après son acceptation, l’initiative pour le renvoi des criminels étrangers n’est toujours pas appliquée!

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Je pense dans le sens de Monsieur Montabert, Il me suffit pour cela de me souvenir de Didier Burkhalter répondant à Darius Rochebin. Ayant déjà cité ce fait je vous prie de me patronner la répétition. Rochebin demande à Burkhalter si les Russes ne sont pas humiliés par les mesures prises à leur encontre. Il répond: « ouais ouais… » Et il fallait voir sa figure en entendre le ton! Cela sonnait comme « les Russes ouais ouais bof je m’en tape. » Alors pensez, le peuple Suisse, hein, une broutille.

  3. Posté par Aude le

    C’est bien parce que le peuple constate que le résultat des votations n’est pas vraiment appliqué par notre gouvernement que le peuple n’hésite plus à souscrire aux initiatives.
    L’irrationnel est bien le fossé qui sépare le peuple de son gouvernement. Et pourquoi?
    Parce que notre gouvernement promeut la mondialisation économique et migratoire au détriment du peuple et de son environnement.
    Qui veut gouverner un peuple doit aussi être à son écoute. Le gouvernement suisse n’est pas là pour imposer à lui seul ses 4 volontés et oublier la réalité quotidienne des citoyens. Si l’Etat à ses raisons que la raison du peuple ne connaît pas..il y a conflit d’intérêts.
    Le meilleur moyen de solutionner ces conflits est bel et bien la démocratie directe. Si celle-ci gêne à ce point les politiques et notre gouvernement, personne ne les oblige à rester à leur poste.
    O bien sûr…on dit .ceci ou cela..et alors ? Un peuple qui vote émotionnel!!!comme si l’émotion n’était pas partie inhérente à l’être humain …quelle trouvaille!
    Il serait inutile de prétendre que l’on puisse utiliser les pressions, le dénigrement, les mensonges voire les insultes gratuites afin d’obtenir des citoyens qu’ils se soumettent au bon vouloir de groupe de pressions, de lobbys ou d’idéologie journalistique.
    La souveraineté populaire en dérange plus d’un. Si ceux-ci n’en veulent plus….ils ne leur restent qu’une solution….consulter le peuple…et la boucle est bouclée.

  4. Posté par Bose Birgitt le

    Si la démocratie se limite à s’exprimer, ok, elle existe, mais comme elle est systématiquement détournée dans la pratique ces derniers temps, force est de constater que le Palais crache sur la populace, SA moralité en bannière, c’est le pompon… me rend folle de rage. Mais oui, j’aime votre façon de nous encourager à foncer sur les urnes!

  5. Posté par Stephane Montabert le

    Non, M. Décaillet, notre démocratie directe ne se porte pas « à merveille ». Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, comme dans cette image d’une Landsgemeinde promise au simple folklore.

    A qui la faute? A tous ceux qui la méprisent, évidemment. Lesquels se retrouvent souvent être élus eux-mêmes, et ensuite réclament le silence de ce peuple bruyant parce que eux « savent mieux ». Mais ils ont leurs échos dans les médias et la caste bien-pensante, et la complicité passive d’une masse de citoyens qui continuent envers et contre tout à les réélire législature après législature, et ignorent ensuite royalement les décisions prises par cette fameuse démocratie directe.

    Alors non, je ne vois pas cette situation inconfortable et source d’une schizophrénie de plus en plus prononcée comme la marque d’un système « qui se porte à merveille », ne vous en déplaise.

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