L’immigration, un révélateur crucial

Thomas Mazzone
Enseignant, écrivain
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Entre malhonnêteté et paradoxe

Peu de gens, aujourd’hui, savent que Karl Marx serait considéré par la doxa comme un penseur d’extrême droite. Sa “Question juive”, son goût anthropologique pour les Germains et ses considérations sur les travailleurs étrangers - et sur les femmes! - témoignent paradoxalement d’un art qu’on a peu à peu oublié: celui de penser, non pas pour convaincre, mais pour chercher le Vrai dans notre représentation des choses. Ne nous détrompons pas, Marx avait des tendances au messianisme du fait qu’il se prenait lui-même pour un prophète. Comme les socialistes aujourd’hui, il était acteur de sa propre lutte des classes. Lui, le petit bourgeois, comptait sur les ouvriers et les travailleurs, dont il prophétisait l’avènement. C’était la seule façon de faire justice à la sensation qu’il nourrissait d’être plus éclairé que ses semblables. Mais, apparemment, d’autres moyens plus fantasques étaient également bons pour y parvenir: dans un poème, il en venait même à évoquer le “prince des ténèbres” [Le Ménestrel].

 

Pourtant, à l’avènement du subjectivisme, conséquence du passage des idéalistes et de l’individualisme engendré par la Révolution Industrielle, les philosophes n’ont pas pris de vacances ; travaillant avec leurs moyens et dans leur contexte propre! Marx ne s’en est pas privé. Constatant que, bientôt, pour ne pas devoir payer trop cher les travailleurs, on les mettrait en concurrence avec de la main d’oeuvre étrangère, il n’hésita pas à parler “d’armée de réserve du Capital”. Par extension, on pourrait même en faire la donnée fondamentale du travailleur qui chercherait à s’organiser avec ses pairs pour mieux défendre ses intérêts propres: surtout, éviter l’afflux de concurrence! Cent cinquante ans après la première sortie de “Das Kapital”, les gauchistes en ont gardé tous les excès, mais ils se sont bien affairés à en écarter toutes les réflexions pertinentes. Il y a trente ans, pourtant, à Montigny-lès-Cormeilles, le communiste Marchais parlait encore d’immigration.

 

Aujourd’hui, on a l’impression que c’est l’inverse: ce discours a, semble-t-il, été retourné en stratégie opposée par ce que certains socialistes appelleraient encore le “Capital”! Avant-hier, dans le journal télévisé de 19h30, on nous présentait la tournée du Conseiller Fédéral Schneider-Ammann pour convaincre les entrepreneurs de s’associer à la campagne du “non” à l’initiative Ecopop. Ainsi, les patrons bien mal intentionnés auront le culot de dire à leurs employés de refuser le coup de frein radical à l’immigration que constitue l’initiative, ne leur révélant sans doute pas qu’ils souffriront ensuite de la concurrence inévitable que leur apportera cette même immigration non régulée. Cela ne heurtera pas non plus les socialistes de savoir qu’economiesuisse défendra le “non”.

 

Outre cette raison de gauche de dire “oui” à la régulation de l’immigration, il y a une autre contradiction notoire que révèle Marx: on ne peut pas être à la fois patriotes et en faveur d'un libéralisme économique absolu. Si l’anti-immigrationnisme est une question de bon sens pour le patriote, l’Etat-stratège, lui, se doit de primer, si besoin est, sur les intérêts économique (dont certains seront nécessairement hors sol). Ainsi, si le libéralisme économique va de soi et qu’il a historiquement été la norme la plus fréquente dans les empires et les royaumes, le bon sens commun et stratégique a toujours eu raison de celui-là lorsqu’il tendait à l’excès. Si le commerce devenait nuisible, on ne se privait pas de lui mettre le holà! Ainsi, il y aura toujours une limite à imposer aux entreprises qui pourraient, bon gré mal gré, œuvrer à précariser et à décomposer la Suisse.

 

Si, ensuite, la donnée écologique essentielle (celle qui consiste à envisager l’écologie en fonction des besoins des hommes), elle aussi, met l’immigration massive, organisée ou favorisée, dans la catégories des stratégies peu durables ; ce n’est pas le cas de l’idéologie de la droite bourgeoise. Pour le comprendre, il est nécessaire de rappeler ce que signifie la “droite”. Bien plus qu’une opposition binaire au Communisme, elle représente la défense de l’identité morale et culturelle, celle des valeurs (ou de la valeur) et de la tradition. Dénomination issue de la vieille France, elle représente alors la branche conservatrice du parlement. Une “droite” qui défendrait “l’économie” sans autre projet, sans autres vues que la carrière personnelle de magistrats en concurrence sur le marché économico-politicien, cela ne serait plus une droite, mais une gauche d’un autre type, avec, sous une autre forme, une lutte d’individus pour le pouvoir. Une telle “droite” n’est que la conséquence d’une pensée, bien au-delà de Marx, inspirée par l’individualisme (lequel n’a précisément de raison d’être que lorsque la culture et les racines sont ravagées). Une telle “droite” n’a, finalement, que peu d’intérêts à s’engager sur des terrains philosophiques tels que la “théorie du genre” ou les problèmes liés au multi-culturalisme. Elle a beaucoup plus à gagner en jouant la montre en attendant de se faufiler du côté qui en sortira vainqueur ; temporisant au son de “ni trop chaud, ni trop froid”!

 

Pour la petite fable, Jésus, l’homme à l’origine de nos valeurs humaines et pacificatrices, disait “vomir les tièdes”. La baptême de Clovis étant l’acte fondateur de la France, le Christ est donc le premier homme de droite, puisqu’il est la première chose que l’on conservait en France. Il est la racine de la droite et nul doute qu’une telle usurpation de ce mot [la droite], il la vomirait!

Ainsi donc, l’immigration révèle les contradictions qui ont cours dans le clivage gauche-droite d’apparence. Combattre sa forme actuelle, celle qui consiste à acheminer des hommes comme du bétail, c’est défendre les intérêts de son prochain, mais aussi ne pas être complice de ce qui empêche l’étranger de vivre dignement et dans le respect de ses traditions propres. Combattre l’immigrationnisme, c’est bien sûr faire de l’écologie sensée et humaine. Et naturellement, c’est aussi faire preuve de patriotisme. Il n’y a que l’économie, lorsqu’elle devient une fin en soi, qui ne s’y retrouve pas. C’est pourquoi, il ne manquerait plus qu’on composât un requiem pour cette bizarrerie anthropologique [l’économie comme fin en soi] bien trop irréaliste et humainement bien macabre!

 

A la fin, tous les partis se sont prononcés contre Ecopop, mais le peuple ne s’en fait pas le reflet dans ses intentions de vote, quelles soient légèrement favorables ou plutôt défavorables. Dans les sondages (http://www.20min.ch/ro/news/dossier/votation/story/14959670 , http://www.24heures.ch/suisse/moitie-suisses-dirait-oui-ecopop/story/21624797), ce sont quand même plus de quarante pour-cents des Suisses qui souhaiteraient voir l’initiative acceptée. On accuse volontiers ceux-ci de nourrir une crainte et de stigmatiser l’étranger, mais c’est pourtant la campagne du “non” qui, elle, semble bel et bien alimenter peur et stigmatisation du peuple suisse. Schneider-Ammann a beau dire qu’il faut “influencer” et “soutenir” celui-là, il serait bon de rappeler à cette classe de gens au regard un peu trop tourné vers le lointain, qu’à un rythme si endiablé, ce seront leurs enfants, ensuite, qui seront en concurrence avec des aspirants de fraîche date! Là est toute la lumière que les flambeaux portés par ces vagues de gens démunis répandent sur la réalité du discours politicien.

 

Thomas Mazzone, le 30 octobre 2014

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