En France comme en Suisse agriculteurs en péril

Francis Gruzelle
Francis Gruzelle
Journaliste 
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En 1888, le sociologue Émile Durkheim écrivait «La profession où l’on se suicide le moins est l’agriculture. ». Quelque 120 ans plus tard, les agriculteurs se retrouvent parmi les occupations ayant un très haut taux de suicide, selon l’Organisation mondiale de la santé. En France, loin des clichés, confrontés aux difficultés, broyés par les géants de l'alimentation, des centaines d'agriculteurs se pendent, tandis que des dizaines de gendarmes se tirent une balle de pistolet dans la tête (http://suite101.fr/article/agriculture-et-gendarmerie-metiers-ou-il-y-a-le-plus-de-suicide-a35389).

Alors que les suicides à France Télécom font la « une » des journaux Français, ceux des agriculteurs, bien plus fréquents, restent le plus souvent dans l’anonymat. À tel point que les statistiques varient du simple au triple, avec une estimation de 400 à 1200  suicides d'agriculteurs par an en France. La crise se ressent ici plus qu’ailleurs et l’hécatombe s’accélère de mois en mois, avec le plus souvent une cause bien identifiée : des dettes devenues impossibles à rembourser et la pression des banques.

Des paysans "pris à la gorge" par les industries laitières et par les banques

Côté Français, les banques ont une "responsabilité lourde" dans les centaines de suicides recensés dans le monde paysan d'après les syndicalistes. Mais, les grands groupes, comme Lactalis dirigé par l'Empereur du lait Emmanuel Besnier,  qui tirent le prix du lait vers le bas, l'Etat Français aussi ! Car les paysans se sentent abandonnés par l'Etat et par les collectivités départementales ou régionales, qui préfèrent financer les familles musulmanes ou des constructions de mosquées, en expulsant des agriculteurs en Haute-Savoie, aux portes de Genève (lire Annemasse : Grâce au combat du dernier maraîcher, la mosquée a du plomb dans l’aile ! ) ou en Ardèche (lire Ardèche : ce qui se cache derrière le centre d’éducation islamique de Saint-Alban-d’Ay ).

Les mêmes pouvoirs publics Français préfèrent financer des études coûteuses sur "l'intégration des étrangers", ou distribuer des aides aux pays Arabes ou Africains, plutôt que d'aider les dizaines de milliers d'agriculteurs en difficultés.

Autre responsable : l'Europe, qui a réduit l'indemnité compensatrice annuelle de handicap à 110 euros par hectare en France, contre 400 euros versés par hectare à d'autres pays récemment entrés dans l'Union (Roumanie par exemple où de nombreux Suisses achètent des milliers d'hectares pour bénéficier de ces retombées financières durant les prochaines années). Ces manœuvres européennes et financières ont aussi une énorme part de responsabilité ! (lire http://suite101.fr/article/du-boeuf-a-linternet-ou-linexorable-chute-des-prix-agricoles-a24631).

 

Dans les campagnes suisses, comme dans les campagnes Françaises, les agriculteurs luttent, chaque jour, pour sauver leurs exploitations et pour nourrir leur famille.  

Le suicide des paysans suisses est un phénomène bien réel

Loin des cartes postales et de "la vache milka", les agriculteurs Suisses meurent en silence. "Le suicide des paysans est tabou" titre le magazine Helvétique "Terre et Nature" (www.terrenature.ch/agriculture/dossier-paysans-suisses-emigres). Et les rédacteurs de ce site en ligne enfoncent le clou : "En Suisse romande, comme Stéphane, ils sont plus nombreux qu’on pense à avoir succombé au désespoir. Le suicide des paysans est un phénomène bien réel et il inquiète de plus en plus les différentes instances agricoles. Il y a moins d’un mois, l’Union suisse des paysans en a parlé lors de sa séance de comité. Mais les statistiques manquent....".

Selon le site "Terre et Nature", dans une information diffusée le 24 avril 2014, "Une simple décision de justice vient de multiplier le poids de la fiscalité immobilière par sept, dans certains cantons comme celui de Vaud. D'où une augmentation d’impôts qui peut, pour certains exploitants, se chiffrer à plusieurs centaines de milliers de francs.....". Et provoquer la faillite de nombreux agriculteurs Suisses.

"En résumé, écrit Terre et Nature, tout est parti d’un arrêt du Tribunal fédéral (TF) qui remonte au mois de décembre 2011. Il stipule qu’en cas de vente ou de transfert, tout terrain et bâtiment situé en dehors des zones agricoles n’est plus soumis à l’impôt sur les gains immobiliers, comme c’était le cas auparavant, mais à l’impôt sur le revenu, beaucoup plus élevé.

Concrètement, les terrains en zone à bâtir et les bâtiments des petites exploitations situés dans les villages ne sont plus agricoles au sens fiscal. Les conséquences de cette jurisprudence ne sont pas les mêmes d’un canton à l’autre, en fonction de son système et du barème fiscal appliqué. Mais dans l’ensemble, les milieux agricoles estiment qu’il leur en coûtera environ 500 millions de francs par an....". Visiblement, les dirigeants Suisse n'ont rien à envier aux politiques Français dans la course à l'extermination des paysans !

D'ailleurs, le site Terre et Nature a su dénoncer le côté pervers en ces termes : "Curieusement, cette affaire ne fait que peu de bruit à Berne. Alors même que ce changement de régime fiscal est intervenu sans consultation démocratique préalable, rares sont les voix pour en souligner les aspects pervers. Pourtant, comme l’explique bien Pierre-André Curchod, qui dirige une fiduciaire à Mauraz (VD), «cet arrêt ne respecte pas la volonté du législateur»...".

Malgré le formidable passage du bœuf à l'internet, en quelques décennies, l'évolution des conjonctures est défavorable aux exploitants agricoles en Suisse comme en France. Non seulement, les principaux prix agricoles, versés aux producteurs, continuent de baisser, à l'image des cours du blé, du lait, des céréales, du porc, etc. Mais en plus les prix du pain, des pâtes, des côtes du porc ou du jambon continuent de grimper pour le panier des ménagères...

Où passe la différence? Dans la poche des intermédiaires? Dans celle des grands groupes? A l'évidence, rien ne va plus, comme au casino, même si les pouvoirs publics Français et Suisses ont de plus en plus «les jetons» face au mécontentement grandissant des producteurs et des consommateurs.

 

Les agriculteurs souffrent en permanence et meurent en silence

Mais, ce modèle agricole du XXI ème siècle, qu'on nous présente, est-il aussi idyllique ? A la fin des années 1960, la France comptait quatre millions de paysans. Ils sont moins de quatre cent mille aujourd'hui, et les statistiques officielles du monde du travail présentent cette profession comme celle ayant le taux le plus élevé de suicides.... Bien avant France-Telecom!

Difficultés financières, surendettement, journées interminables, pertes de revenus, cette réalité du monde agricole est toujours occultée pour la mise en scène du salon international de l'Agriculture à Paris, où tout est rangé au carré, où les animaux sont lavés, brossés, coiffés...., où les Chefs d'Etat Français aiment poser avec le plus beau bœuf ! Et où les difficultés des agriculteurs figurent parmi les sujets tabous(http://suite101.fr/article/du-boeuf-a-linternet-ou-linexorable-chute-des-prix-agricoles-a24631).

Quelle responsabilité pour Lactalis et les gros de l'agroalimentaire ?

N'étant pas côtée en bourse, Lactalis, entreprise internationale Française spécialisée dans la collecte du lait, n'a jamais publié de rapports financiers détaillés, et l'organisation de la société restait donc jusqu'à l'été 2011 pour le moins vague. Et ce fut une grande première pour les concurrents de Lactalis, les agriculteurs clients et les marchés financiers d'avoir accès aux chiffres. En effet, durant l'été 2011, le groupe laitier a été contraint de dévoiler son organisation interne et le détail de ses comptes. Après 50 ans de "clandestinité", l'entreprise familiale de Laval a dû sortir de son silence dans le cadre de son OPA sur l'Italien Parmalat.

Après que le groupe laitier italien Parmalat se soit opposé à l’offre publique d’achat (OPA) formulée par Lactalis car il estimait cette proposition insuffisante, l'Italien dénonçait un manque d'informations financières sur le groupe. Du coup, pour rassurer le conseil d’administration de l’italien Parmalat, "dans le cadre d'une prise de contrôle", Lactalis, premier groupe laitier mondial, a du révèler la structure du capital de l'entreprise familiale, dans un document fourni en Italien.

Mais, depuis 2011, l'appétit de l'Empereur du lait Emmanuel Besnier est insatiable,  le groupe international s'intéressant même au Fleuron du poulet français, Doux, qui a été désossé à la rentrée 2012.

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La terre rapporte plus que l'acier en France

Depuis deux années, tous les médias Français insistent et se focalisent, à travers des enquêtes très documentées, sur les dégâts économiques et politiques des aciéries de l'Est de la France, notamment Arcelor-Mittal, qui a fermé ses portes et sur la détresse des anciens salariés de Florange. Les sinistres industriels à répétition ont tendance à faire oublier la détresse de centaines de milliers d'agriculteurs, profession où il y a le plus de suicides en France. Pourtant, avec 11,4 milliards d'euros d'excédent agricole commercial, la terre rapporte plus au final que l'acier et la sidérurgie en France. Sauf pour les "esclaves ruraux" qui cultivent la terre et produisent cette richesse économique. Beaucoup vivent avec moins de 800 euros par mois. On est loin des 15 400 euros de revenu annuel moyen avancé par les pouvoirs publics Français et qui ne concernent qu'une infime minorité de paysans,  les seuls éleveurs bovins.

Francis GRUZELLE, le 26 octobre 2014

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Les affiches de la profession rappellent aux politiques que chaque habitant a besoin d'un agriculteur trois fois par jour.

 

Interview de Jean-Luc Simon, responsable des marchés français de l'agriculture au Crédit Agricole

Le banquier estime que les centaines de suicides d'agriculteurs ne sont pas liés aux difficultés financières

Alors que les suicides à France Télécom font la « une » des journaux Français, ceux des agriculteurs, bien plus fréquents, restent le plus souvent dans l’anonymat. À tel point que les estimations varient du simple au triple (de 300 à 800 pour l'année 2011, près de 500 depuis le début de l'année 2012, 400 à 1200 pour l'année 2013). La crise se ressent ici plus qu’ailleurs et l’hécatombe s’accélère de mois en mois, avec le plus souvent une cause bien identifiée : des dettes devenues impossibles à rembourser.

Pour le responsable des marchés de l'agriculture au Crédit Agricole Centre France, les suicides en série chez les agriculteurs sont à rattacher à la solitude, à l'isolement territorial, aux divorces de plus en plus fréquents, à un autre mode de vie dans les campagnes.

Q. : "Les syndicats agricoles estiment que 400 à 1200 agriculteurs se sont suicidés en un an. Certains responsables dénoncent la responsabilité des banques, en raison du surendettement des paysans. Qu'en pensez-vous ?

- Jean-Luc Simon : "Il faudrait approfondir les statistiques de la MSA (Mutualité Sociale Agricole, la caisse d'assurance maladie et de retraite des agriculteurs), avec notamment le nombre de personnes ayant du mal à régler leurs cotisations sociales et le nombre d'agriculteurs qui bénéficient du RSA (Revenu de solidarité active). Je pense, pour ma part, que la plus grosse évolution en agriculture est sociale, et non financière. Les suicides peuvent s'expliquer par la démographie, l'isolement territorial, les divorces de plus en plus fréquents. La plus grosse évolution de ces dernières années est celle-ci : les exploitants agricoles se sont mariés avec des conjointes qui travaillent à l'extérieur, qui ne sont plus présentes sur la ferme, qui font des rencontres à l'extérieur. Dès lors, il y a davantage de divorces, de dépressions, etc....".

Q. : "Pourtant, les agriculteurs voient leurs revenus baisser. Il y a quand même de nombreuses exploitations agricoles fragilisées par la crise ?"

-Jean-Luc Simon : "En période de crise, les agriculteurs ont une capacité de résistance supérieure à celle d'un boulanger. Même les gens médiocres tiennent le coup dans l'agriculture. Si 10 % des exploitations vont mal, neuf fois sur dix c'est un problème d'exploitant.... Certes, dans le monde agricole, la fracture sociale ou de revenu est peut être plus forte que dans les autres activités. Avec la PAC 2013, on a aussi changé les discours. Beaucoup de jeunes ne viennent pas à l'agriculture non par rapport aux revenus, mais en raison des contraintes journalières et horaires, en raison d'un choix de vie !".

Suicides paysans : entre indifférence et loi du silence

Q. "Le Crédit Agricole a-t-il toujours la confiance des agriculteurs ?"

-Jean-Luc Simon : "Cela va fait 20 ans en 2013 que le marché bancaire est ouvert à la concurrence. Or, nous sommes restés le banquier de confiance des agriculteurs, avec 85 % de parts de marché confirmées."

Q. : "Les syndicalistes, qui soient à la FNSEA, à la Cordination Rurale, à la Confédération paysanne, dénoncent pourtant la baisse des revenus et la responsabilité des banques dans le surendettement des paysans ?"

- Jean-Luc Simon : "Dans les fermes, le niveau de vie et la situation sont liés à l'exploitant. Prenez l'élevage bovin, 25 % du revenu est lié aux versements compensatoires.. J'ai participé au dernier sommet de l'élevage. Beaucoup d'agriculteurs présents m'ont dit "il y a quatre ans qu'on n'avait pas fait un aussi bon sommet, et le président de la FNB a dit à ses éléments contestataires "arrêtez vos conneries, on va tout perdre si vous poussez le bouchon trop loin"... Si on regarde le niveau de vie, il y a quand même pas mal d'agriculteurs qui partent en vacances. L'exploitant a droit à 900 euros d'abattement au niveau des impôts pour es congés, et des services de remplacement existent dans chaque département. Pour les agriculteurs, il y a un gain de pouvoir d'achat sur 20 ans".

Q. : "Le métier d'agriculteur est pénible, ne serait-ce qu'en terme de contraintes horaires ?"

- Jean-Luc Simon : "Le travail agricole est moins pénible qu'autrefois. La plupart des exploitations se sont modernisées.... Dans nombre de dossiers difficiles, le crédit agricole a allongé les durées de prêts. L'agriculture est une des rares professions où des gens médiocres tiennent le coup, notamment dans l'élevage. On est certes témoin d'une véritable fracture sociale entre ceux du bas, qui ont décroché de plus en plus et ceux du haut, qui ont automatisé et mécanisé leurs exploitations, et qui ont des revenus peut être plus importants que dans d'autres exploitations !"

Interview réalisée par Francis GRUZELLE

En France, les politiques aiment poser au salon international de l'Agriculture à Paris, où tout est rangé au carré, où les animaux sont lavés, brossés, coiffés.... Et les Chefs d'Etat Français aiment poser avec le plus beau bœuf, à l'image de Nicolas Sarkozy en février 2012 ! Et tous ignorent les difficultés des agriculteurs, sujets tabous. Photo Francis GRUZELLE

Un commentaire

  1. Posté par colibri le

    on va finir par croire que pour être sociologue il faut être soi-même sociopathe
    Ou comment mieux miner le moral des agriculteurs en pratiquant la sociologie animale au détriment du paysan.Il serait bon que ces sociologues de salon se remettent en cause eux et leurs théories sorties des livres de prières et pratiques Hindoues voire Bouddhistes

Et vous, qu'en pensez vous ?

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