On ne construit pas le christianisme avec des briques

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

 

Nous ne pouvons pas dire ce qu'est le christianisme. Ce qui signifie, philosophiquement parlant, qu'il n'a pas d'essence. C'est ce qu'a noté Emmanuel Carrère, récemment interviewé sur France Culture. Dans son dernier livre, Le Royaume, il souligne ce qu'avait déjà observé Paul de Tarse il y a 2000 ans. Il y a, dans les Évangiles, quelque chose de délirant qui nous empêche de les réduire à un message. La sagesse de ce monde est folie aux yeux des chrétiens. Experts, chercheurs et autres sages du jour, n'ont pratiquement rien à dire à un chrétien. Paul le dit d'ailleurs explicitement : " la science disparaîtra ". Il s'est trompé, mais il l'a dit.

 

Les paroles du Christ ne peuvent donc pas être ramenées à un discours rationnel. Il n'y a pas, dans le Nouveau Testament, un message que notre intellect pourrait mettre à jour pour améliorer les choses. C'est bien irritant dans une époque qui, comme la nôtre, a fait de la rationalité l'instrument du progrès. N'est légitime à nos yeux de pauvres modernes, qu'une belle logique rapprochant notre monde du Jardin d'Eden avec sécurité sociale et croissance. Il n'en va pas du tout ainsi pour un chrétien. Son royaume ne coïncidera jamais avec le monde.

 

Par conséquent, le christianisme n'est pas une doctrine qu'on pourrait appliquer comme on applique un programme politique ou scientifique pour améliorer le sort de l'humanité. Heureusement d'ailleurs ! Avec les grains de folie qu'il contient, sa mise en pratique conduirait à des désastres. Si nous sommes tous frères, à quoi bon des États, des polices, des armées? Quant à nos systèmes éducatifs, il n'en resterait rien si nous prenions au sérieux cette célèbre proposition du Sermon sur la Montagne, selon laquelle les premiers seront les derniers. Imaginons un instant un directeur de collège faisant de cette proposition le cœur de son programme. Pas difficile d'imaginer le brouhaha qui s'ensuivrait.

 

Le christianisme est donc inapplicable. Lorsqu'on voit en lui une doctrine ou un programme, il devient délétère, source d'un violent radicalisme. En mai 68 Che Guevara, icône révolutionnaire de notre temps,  était représenté sous les traits du Christ et c'était assez convaincant. Cela renforçait la position des ennemis du christianisme qui voyaient en lui le destructeur de tout ordre politique, voire de toute civilisation. Pour un Charles Maurras, avant qu'il ne bascule dans l'antisémitisme,  un chrétien était presque un djihadiste. Mais déjà dans l'Angleterre du 17ème siècle, étaient apparues des sectes chrétiennes si radicales qu'elles menaçaient toutes les institutions du royaume.

 

Alors, à quoi sert le christianisme s'il est inapplicable ? Essentiellement, il nous empêche de basculer dans une vie où il ne s'agirait plus que de fonctionner, une vie pharaonique, pourrait-on dire, avec pour tout horizon des empilements de briques à l'infini. C'est ainsi qu'on a cru pouvoir construire l'Europe en empilant des nations les unes sur les autres. Aujourd’hui nous voyons se fissurer la pyramide bruxelloise. A croire que les êtres et les choses sont des briques à partir desquelles on peut construire du solide, on s'égare. Tel passe aujourd'hui pour un champion qui demain, mendiera dans les rues. Tel autre a la réputation d'être un génie qui, demain, devra être interné. Je m'estime bien vivant,  solidement planté dans la vie et demain je serai mort ou handicapé. Bref, nous ne sommes pas des briques.

 

Alors, sinistrose ? Pas du tout. En fait, c'est même le contraire. Car si un champion peut devenir un mendiant, l'inverse est vrai aussi. Quant aux élèves qui ont passé pour des nuls, puis sont devenus des grands écrivains ou scientifiques,  ils abondent. A vraiment écouter le Sermon sur la Montagne, on devine, pour reprendre le terme d'Emmanuel Carrère,  qu'il y a un royaume qui, comme en filigrane, remet le monde en question pour le meilleur ou pour le pire. Ce royaume n'est pas en contradiction avec notre monde ou hostile à lui. Simplement,  il rend notre quotidien infiniment plus mystérieux qu'il n'en a l'air. Avec lui, la vie cesse d'être une routine pharaonique pour devenir une aventure.

 Jan Marejko, 23 septembre 2014

3 commentaires

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Pour Djamar, à propos de « joue »! Marie Balmary, dans je ne sais plus lequel de ses livres (n’étant pas chez moi je ne puis le chercher) décortique le verset en question, en partant de sa formulation en hébreu. En hébreu il est question de «faces », pas de « joues ». En hébreu « faces » et toujours au pluriel! Nous avons tous plusieurs faces. Donc, si ton ennemi te frappe sur une de tes faces, offre-lui en une autre en retour. Faute de quoi tu t’engages dans une relation symétrique sans fin. Ce n’est pas un exercice facile, loin de là! On y perd quelque faces avant de constater une petite réussite. Il y même des faces que, avec le recul, on peut se plaire de les avoir perdues.

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Monsieur Marejko sort décidément du lot. Pas un de ses édifiants billets qui n’inspire réflexion et méditations. Si je n’ai commenté les deux derniers c’est parc qu’ils me font rencontrer mes limites, face à la vastitude du sujet. Mais de celui-ci, que j’approuve, je puis dire quelque chose. Rectifier un peu. Si les chrétiens disent que la sagesse du monde est folie, il ne font que répéter les écritures, sans en avoir vraiment l’intelligence. Paul dit en fait que « la sagesse du monde est folie aux yeux de Dieu » 1 Co 1:21 et 2:7
    Pour le reste, rien à ajouter, sinon que Monsieur Marejko est à bout touchant du péché originel! Même s’il l’ignore!
    Voici un exemple de la « sagesse » des hommes: est-ce dans le grec des évangiles qu’ils sont allés chercher « si vous AVIEZ la foi comme un grain de sénevé »? Il n’y a pas de verbe AVOIR en hébreu! En hébreu on lit: « s’il y avait en vous foi… ».
    Et encore: « si vous ne devenez COMME ces petits enfants… » Entendez vous la consonance avec « tu seras COMME dieu, connaissant… ». Ici est une chose étrange. Me remémorant ce passage j’entendais « si vous ne redevenez »! Curieux j’ai vérifié dans le texte hébreu et, surprise, il y est écrit « si vous ne retournez enfant… » Le verbe utilisé renvoie à la « téchouva » juive. Le retour, la repentance. Alors que les systèmes éducatifs visent le contraire!
    Un dernier pour la route? Savez-vous qu’il y a un rapport entre « assujettir » et « brebis », en Genèse 1.28? Je ne parlerai pas de « dominer sur » de Genèse 1:26, car ici, il y a un abîme! Que même les rabbins de Jérusalem n’ont pas franchi! Ce sera tout, pour ce jour.

  3. Posté par Djamar le

    Désolé, je n’ai pas lu Carrère. Mais moi, quand je lis les évangiles, je trouve que le christianisme est vraiment très simple à comprendre et très concret, particulièrement le sermon sur la montagne qui n’a rien de mystérieux : « si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tend la gauche », par exemple… Il n’est simplement pas appliqué par les chrétiens qui trouvent des tas d’excuses philosophico-théologiques !

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