« Populisme social », de Jean-Claude Péclet

 

Qui est populiste? L’UDC qui dénonce les abus de l’aide sociale, ou le coprésident de la Conférence des institutions d’action sociale (CSIAS) Felix Wolffers qui persifle que la Suisse compte plus de millionnaires que d’assistés? «Le nombre de riches progresse comme celui des pauvres, là est le problème», ajoute-t-il.

Non, là n’est pas le problème. L’inégalité n’a pas augmenté en Suisse entre 1998 et 2011, relevait fin août une étude de la Confédération (et d’autres avant elle). Au fait, qui sont ces millionnaires qui semblent déranger M.   Wolffers? En majorité des salariés qui ont accumulé leur 2e pilier obligatoire, quelques économies ou les fonds propres d’un appartement. Ce qui ne fait pas d’eux des nababs, mais sans doute des contribuables très sollicités pour financer des budgets sociaux en forte hausse.

Là est le problème, n’en déplaise à l’industrie du social qui, chaque fois qu’elle est prise en défaut, se défausse en clamant que «la solidarité recule en Suisse». Ce qui est archifaux. Jamais cantons et communes n’ont autant dépensé pour les plus démunis. Près de quatre milliards de francs consacrés à la lutte contre l’exclusion sociale, en augmentation d’un quart sur dix ans. En réalité, le montant total est beaucoup plus élevé si on intègre tous les transferts sociaux inscrits sous d’autres postes. L’ancien président de la CSIAS Walter Schmid les estimait à 10-15   milliards de francs.

«La durée moyenne de l’aide sociale a fortement augmenté ces dernières années. Le nombre de cas durant plus de cinq ans se situe entre 20 et 30% dans la plupart des grandes villes. » Qui relève cette dérive, l’UDC? Non: l’Initiative des villes pour la politique sociale, qui réclamait le mois dernier «une reconsidération globale de la sécurité sociale».

«Le travail social s’est développé en un modèle d’affaires lucratif. De plus en plus de travailleurs du secteur fondent leur société et n’ont aucun intérêt à liquider les dossiers. » Qui dit cela, un politicien UDC? Non: le Vert libéral Alain Pichard, membre du parlement biennois, la ville qui explose les records d’aide sociale. «Les autorités ont perdu la vision d’ensemble, poursuit-il dans leTages-Anzeiger, pendant des mois personne ne pouvait nous dire combien coûtait une nouvelle institution» censée coordonner et contrôler le travail des autres.

Quand des abus sont débusqués – en dépit des pressions du secteur pour imposer le silence – la réponse standard est qu’on ne peut s’en prévaloir pour critiquer un système qui fonctionne bien. Vraiment? Il vaut la peine de plonger dans les 177 (!) pages des«Concepts et normes de calcul de l’aide sociale» de la CSIAS. On y voit qu’entre le forfait d’entretien (1834 francs pour une famille avec deux enfants), le loyer et charges, les frais médicaux de base (y compris les soins dentaires et parfois des assurances complémentaires), les «suppléments d’intégration» allant de 100 à 300 francs par personne, les «prestations circonstancielles» et les «franchises de revenu», une telle famille peut recevoir bien plus que les 4000 francs de salaire minimum que les Suisses ont refusé en votation populaire.

«L’aide est remboursable», répond l’industrie du social. Il serait intéressant d’en connaître le taux effectif. «Les abus sont sanctionnés», dit-elle. Les sanctions prévues par la CSIAS sont très peu dissuasives.

Des communes ont décidé de quitter cet organisme plus que centenaire. D’autres se rebellent parce que leur budget est mis en péril par un ou deux cas extrêmes de familles à problèmes dont l’accompagnement coûte des centaines de milliers de francs par an (voir l’exemple récent de Hagenbuch qui a fait couler pas mal d’encre). Quelle est la réponse de l’industrie sociale à ces situations très tendues? Centralisons ces cas dans un pot cantonal. Autrement dit: dissolvons le problème pour qu’il n’apparaisse plus.

Non, encore une fois non! Ce n’est pas en cachant la merde au chat qu’on calmera l’irritation croissante de la population, au contraire. L’UDC prépare des propositions musclées qu’on jugera quand on en connaîtra les détails.

Felix Wolffers voulait «un débat public et critique»? Le voilà servi. La CSIAS promet de l’alimenter avec ses propres propositions avant la fin de l’année. On les attend avec impatience.

(Paru dans Le Matin Dimanche du 21 septembre 2014).

P.S.: Le même dimanche, Schweiz am Sonntag a chiffré la taille actuelle de l’industrie sociale: environ 400 sociétés réalisant un chiffre d’affaires de 630 millions de francs par an. A noter qu’on ne trouve que deux représentantes romandes parmi les 13 membres du comité directeur de la CSIAS. La privatisation de l’aide sociale semble être un phénomène plus étendu Outre-Sarine, en revanche Bienne et Lausanne sont parmi les villes suisses qui connaissent le plus fort taux d’aide sociale selon les indicateurs 2013 de l’aide sociale. Relevons aussi ce paradoxe. A Bienne, record suisse de l’aide sociale, c’est désormais un élu UDC qui est chargé de corriger la tendance, alors qu’à Uster, la commune qui connaît le taux le plus bas, c’est une socialiste qui est aux commandes. Comment fait-elle? En poussant vers d’autres communes les gens qui ne trouvent pas des appartements à loyers abordables dans la sienne, l’accusent ses détracteurs. Peut-être n’est-ce pas une si mauvaise pression. Sur l’aide sociale en Suisse, voir le bon dossier du Tages Anzeiger (en allemand). On cherche en vain des approches critiques dans la très bien pensante presse romande.

Source et auteur : Jean-Claude Péclet, Béquilles, 22 septembre 2014

2 commentaires

  1. Posté par Leb le

    Monsieur Péclet, merci et bravo pour cet article !
    Petite précision : l’aide sociale n’est plus remboursable en Suisse Romande depuis des années. Il faut également relever que les personnes percevant le RI sont « inatteignables » par l’Office des Poursuites et font souvent des dettes monstrueuses. Il y a également bien d’autres gratuités et prestations qui vont de pair avec le RI (du logement aux lunettes, la liste est longue…). Les villes regorgent d’assistés, et cette politique de « saupoudrage d’aides » permet effectivement de cacher l’ampleur de ce gouffre.
    Lausanne vient d’agrandir son « Palais de l’Assistance » à la place Chauderon.
    A Lausanne, le nombre des personnes au RI a TRIPLÉ ces huit dernières années ! Pour enfumer le peuple avec des statistiques « bidouillées », on a divisé l’aide sociale en différentes appellations et ainsi, la rubrique ne s’appelant plus « aide sociale », les personnes sont sorties des statistiques ! Les familles peuvent bénéficier des PC famille et les préretraités des « rentes-pont »! Le dispositif a coûté environ 16,6 millions en 2012 et 33,3 millions en 2013 et les PREVISIONS pour 2014 sont de 46,9 millions !!!
    Le nombre des bénéficiaires ne cesse d’augmenter depuis l’entrée en vigueur de ces aides et Maillard espère que d’ici 2015 ou 2016 les demandes vont se stabiliser! (Sinon, pas de souci, il va diviser ces rentiers en sous-groupes pour nous enfumer un peu de plus et affirmer que l’aide sociale diminue ou stagne.)
    Quand on sort tous ces bénéficiaires des statistiques de l’aide sociale, il ne reste « que » 10-11% d’assistés.
    En 2013, Lausanne a accueilli 1800 habitants en plus (avec 0,2% de logements disponibles). Combiens sont les nouveaux assistés dans cette ville où 42% sont des étrangers répartis en 159 nationalités? (les naturalisés sortent de ces statistiques, bien sûr…)
    Pas étonnant que Lausanne détienne des records : criminalité (record national), dettes, montant des taxes, frais administratifs perçus pour les macarons de parcage, etc…
    Quand vous additionnez le nombre des assistés au nombre des fonctionnaires, vous comprenez immédiatement pourquoi les villes votent à gauche !

  2. Posté par Aude le

    Autrement dit, le dernier scandale en date de la famille africaine est l’arbre qui cache la forêt.
    Dans l’industrie du social, il y a des gens de gauche qui doivent être plus que millionnaires sur le dos de la princesse. Quelle niche de revenus et surtout quels faux culs.
    Même procédé, d’ailleurs à l’étranger, où certaines ONG assurent de confortables revenus à leurs membres, sur le dos de généreux donateurs, afin de maintenir des populations en survie…voire le film, « Il pleut en Amérique »….
    On est loin de l’idéalisme du bon Dr.Schweitzer..en Afrique et du Dr. Béat…? .(le violoncelliste) au Cambodge. Kienge, en Italie ferait bien d’en prendre de la graine pour l’Afrique, en lieu et place d’accuser l italiens et européens d’être des racistes et les obliger, sans restriction à accueillir ses frères africains.
    Que nenni! Madame préfère, en privée, être accompagnée de son chauffeur personnel, se la jouer grande dame et faire ses emplettes dans les meilleurs boutiques de mode de Milan, de Rome et d’ailleurs.
    Ces moralisateurs publics qui, pour certains, ne dédaignent pas un grand train de vie en privé (et vlà BHL), m’horripile au plus haut point..
    Décidément le business du Social a encore de beaux jours devant lui.
    Encore heureux, s’il était distribué à part égale et à qui de droit.
    Comme disait un certain politicien suisse « Je veux bien donner à qui de droit quand je sais où ça va ».
    Hélas, les contribuables, dans ce cas, ignorent où vont leur argent et il est bon de contrôler les dépenses sociales afin d’éviter des abus en tout genre.

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