Affaire Jean-Charles Legrix, suite. Qui a mobbé qui à La Chaux-de-Fonds ?

Situation à la suite du Rapport Claude Rouiller.
À cause de prétendus mobbing et harcèlement sexuel, le conseil communal de La Chaux-de-Fonds a écarté de ses fonctions le président de la ville Jean-Charles Legrix. Une étude réduit maintenant à peu de choses tous les reproches contre Legrix. Toutefois cela ne lui sert pas à grand-chose – les procédures l’ont financièrement ruiné.

 

Source . Reportage d' Alex Baur, Die Weltwoche, No 38. 14, septembre 2014

Maître Claude Rouiller de Martigny – ancien président du tribunal fédéral à Lausanne, professeur de droit civil à Neuchâtel, vice-président du conseil international des prud'hommes à Genève, socialiste, est un homme estimé en Suisse romande. Son jugement a du poids et était attendu impatiemment à La Chaux-de-Fonds. Car, depuis que le président de la Ville Jean-Charles Legrix (UDC) a été, il y a une année, relevé de ses fonctions par ses collègues à cause de prétendus abus sur les employés de son service, et été ainsi à proprement parler renversé, il règne une période politique glaciaire dans la ville horlogère du Jura Neuchâtelois.

La destitution de Legrix par ses collègues, a été jugée illégale et donc nulle par le tribunal cantonal Neuchâtelois en novembre dernier. Entre-temps, le tribunal fédéral a également confirmé ce verdict (pour autant qu'il soit effectivement entré en matière sur le sujet). Au début de l'année un nouveau dicastère a été bricolé provisoirement pour Legrix, dans lequel il n’y a toutefois que quelques collaborateurs. La situation est restée en procédure, raison pour laquelle le conseil communal a appelé Maître Rouiller à l'aide. Il devait réexaminer le cas précisément et apporter des clarifications.

Des victimes deviennent auteurs

Maître Rouiller a livré ses conclusions cette semaine, sous forme d’un rapport de recherche minutieux, épais de cent pages. Son résultat est d’une rare clarté : Legrix ne s'est pas rendu coupable d’atteintes à la personnalité, ni du point du vue du droit du travail ni de celui du droit civil. Tous les reproches contre lui se sont évaporés au cours de l'étude, comme des « rumeurs qui se sont toutes avérées dénuées de fondement », des « assertions gratuites, parfois empreintes de méchanceté haineuse », et dans tous les cas comme des malentendus. Le prétendu mobbeur Legrix deviendra ainsi lui-même la victime de mobbing, les prétendues victimes en devenant les auteurs. Et en se frottant les yeux on se demande : Comment était-ce possible ? Comment en est-on arrivé à cette battue collective contre un représentant élu du peuple ?

Pour une meilleure compréhension, une courte rétrospective. Jean-Charles Legrix est entré en 2010 au conseil communal de La Chaux-de-Fonds, après le retrait de son prédécesseur ; il a été confirmé deux ans plus tard dans cette fonction par le peuple. Bien qu'il ait été prédestiné pour les finances sur la base de sa carrière, il a obtenu l’attribution des travaux publics de la part du conseil à majorité de gauche, dicastère au sein duquel la présence des syndicats est particulièrement marquée. De cette façon, le conflit était déjà programmé. Car La Chaux-de-Fonds se trouve depuis un siècle en main de  la gauche, l’UDC n’étant ici implantée que depuis quelques années.

Legrix avait fait carrière en tant que manager financier dans l'économie privée, il est considéré comme « Blochérien » – dont il passe, aux yeux de la gauche orthodoxe, comme l'incarnation en chair et en os. Quand en 2013 il a été désigné selon le tournus comme président de la ville, la chose a été difficile à avaler pour beaucoup. Fidèle à sa promesse électorale, Legrix a essayé d’améliorer l'efficience des travaux publics. Il s'est heurté à la résistance acharnée du voyer-chef Joseph Mucaria, lequel avait établi son propre « Imperium » (rapport Rouiller) depuis un quart de siècle. Mucaria n'envisageait pas de devoir se soumettre aux injonctions de son supérieur politique, et il l’a dit à qui voulait l'entendre.

Le conflit entre Legrix et Mucaria a dégénéré en fin 2012, après que ce dernier ait noirci en secret son chef politique face à un journaliste TV. Selon le rapport de Maître Rouiller il y avait à la voirie de La Chaux-de-Fonds deux camps ennemis : d'une part des « modernisateurs » autour de l'ingénieur en chef Pierre Schneider, engagé par Legrix, qui saluaient l’arrivée de vent frais ; « la vieille garde » autour du voyer-chef  Mucaria, qui s’est efforcée de saboter chaque innovation, les unes après les autres. C'est le terrain sur lequel les bruits sur de prétendus mobbings et abus du représentant UDC à l’égard du personnel ont pris racine.

Au début 2013, le conseil communal a chargé à l'unanimité l'experte indépendante en sexisme Cécile Pache de Lausanne d'étudier ces bruits. En été 2013, Pache a livré un rapport de 97 pages avec le titre « Audit juridique ». En treize points, elle incrimine Legrix d’une gerbe de faits, qui sont résumés sous le titre de mobbing : « harcèlement moral », « harcèlement psychologique », « maltraitance managériale » – et « harcèlement sexuel. » Par-dessus tout, le dernier point est mortel pour n’importe quel chef, même si le manquement dans le cas Legrix n'était pas aggravé selon Pache.

Il s’en est suivi que Legrix a été privé du pouvoir par ses quatre « collègues » du conseil communal – de la même manière qu’actuellement le municipal vert Geri Müller à Baden – et contraint à se retirer (ceci toutefois sans succès). Ce qui était perfide dans le rapport « juridique » de Cécile Pache c’était que Jean-Charles Legrix ne pouvait émettre d’opposition, parce que l'étude aussi bien que le rapport étaient strictement secrets. Tout ce travail bâclé promettait un cauchemar kafkaïen : l'accusé ne peut pas savoir qui a dit quoi contre lui, il ne peut même pas connaître dans le détail les reproches qui lui sont faits, sinon il pourrait tirer des conclusions sur les prétendues victimes qui doivent être maintenant protégées de lui. Il n'est même pas clair s'il s'agit d'accusations sur la base de ouï-dire ou de descriptions de première main (Weltwoche No 35/13 – « Protocole d'un coup d'État »).

La procédure secrète de Mme Pache a été un objet de dérision auprès de toutes les instances juridiques étatiques et a été déclassée au rang de torchon après les jugements du tribunal fédéral et du tribunal cantonal. Suite aux recherches de la Weltwoche, qui ont été confirmées par le rapport Rouiller, tous les reproches contre Legrix peuvent aussi bien être utilisés en sa faveur. Ainsi, Pache lui a reproché d'avoir par exemple encouragé la dénonciation et de constamment avoir surveillé ses collaborateurs sous couvert de la voie hiérarchique. Mais des mêmes déclarations on pourrait aussi conclure l'opposé : Legrix était un chef exemplaire, parce qu'il était présent et avait une oreille attentive envers les collaborateurs de la base. Et le reproche le plus sérieux, le harcèlement sexuel, n'a lui-même été maintenu qu’à contrecœur par Mme Pache: la prétendue victime n’a, selon ses propres indications, rien à faire remarquer à ce sujet.

Maître Rouiller a pris la peine d’interroger encore une fois les 25 témoins qui avaient déjà été auditionnés par Mme Pache. L'experte en sexisme s'était vraiment facilitée la chose : elle a laissé bavarder les témoins et a distillé en conclusion toutes les charges contre Legrix, sans examiner la plausibilité des déclarations. Maître Rouiller en revanche a approfondi et examiné les déclarations sur leur plausibilité ; il a confronté les témoins avec des contradictions et des déclarations contraires, et s’est efforcé de distinguer précisément ce qui s’était vraiment déroulé de ce qui n’était que des ouï-dire, ce qui est de l’ordre des opinions de ce qui s’avère être des faits. Les bruits rassemblés par Pache se sont évaporés les uns après les autres.

Si on récolte trois faux bruits, cela ne signifie pas qu'ils deviennent plus vrais ainsi, comme l’écrit M. Rouiller : « Trois fois zéro ça fait zéro. » Dans la « situation de clan », les ennemis de Legrix se seraient laissé emporter dans une « inquisition mesquine ou sournoise ». Rouiller explique que même les rapports de la télévision suisse romande RTS sur d'anciennes prétendues victimes de mobbing de Legrix dans l'économie privée ne sont qu'une construction délibérée.

Dans une analyse tranchante, Maître Rouiller soutient le scénario effrayant des bruits qui se renforcent dans « un effet boule de neige » jusqu’à une réalité virtuelle. On remarque que beaucoup de ceux qui parlent mal de Legrix ont à peine eu affaire avec lui, tandis que ses collaborateurs les plus proches se sont prononcés plutôt positivement. Rouiller accorde malgré tout une protection à Mme Pache : elle a seulement livré ses conclusions et n'est pas responsable des conséquences que le conseil communal en a tirées. D'autre part aucun complot précis ne peut être attribué aux collègues de gouvernement de Legrix, comme l’a suggéré la Weltwoche.

La sensibilité sociale de Legrix

En passant, Legrix lui-même reçoit son petit bout de gras : son style de conduite n'est pas « maltraitant », mais toutefois parfois « peu approprié » ;  il n’a pas suffisamment pris en considération les sensibilités dans une administration publique (ce qu’il n'a lui-même jamais contesté). Toutefois, le rapport reconnaît à ce tenant d’une ligne dure une sensibilité sociale à l’égard de marginaux qu'il engageait en toute connaissance de cause, bien que ceux-ci manifestent souvent des difficultés à remplir les exigences.

Avec toute son acuité dans l'analyse, Maître Rouiller en vient évidemment à considérer dans ses conclusions qu’il faut laisser l'église au milieu du village. Chacun peut sauver la face : Legrix est réhabilité, mais aucun ne porte la responsabilité de la débâcle, tous sont un peu coupables. Le conseil communal veut ainsi « fermer le chapitre et regarder de nouveau en avant ».

Mais la justice se trouve rarement au milieu, et elle a son prix. Le conseil communal de La Chaux-de-Fonds a dépensé près de 200’000 francs, pour procéder par la voie juridique contre le président de la ville tombé en disgrâce (Cécile Pache 40’000 francs, Maître Rouiller 30’000 francs, consultations juridiques 12’000 francs, avocats externes 100’000 francs, plus les frais de procédure). Jean-Charles Legrix a dû débourser pas loin de 100’000 francs pour sa défense. Mais contrairement à ses adversaires, qui ont intenté un procès aux frais des contribuables, il a dû se mettre dans les dettes. Pour Jean-Charles Legrix, c'est une victoire amère : remis en état politiquement, mais financièrement ruiné. Le seul gagnant dans cette lutte est et reste le fonctionnaire Joseph Mucaria – il règne comme auparavant sur son « empire » à la voirie de La Chaux-de-Fonds.

Source, Die Weltwoche, No 38.14, septembre 2014, traduction bénévole d’un lecteur

Version originale en allemand, WeltwocheLegrixSuitesept.2014

2 commentaires

  1. Posté par Antonio Giovanni le

    « …l’étude aussi aussi bien que le rapport étaient strictement secrets. Tout ce travail bâclé promettait un cauchemar kafkaïen : l’accusé ne peut pas savoir qui a dit quoi contre lui.. »
    Non pas »cauchemar kafkaïen », mais vrai procès stalinien: les blouses blanches, c’était ça; les fractionnistes anti-parti, c’était ça; les saboteurs du socialisme, c’était ça; les espions à la solde du grand capital, ça encore, au temps du petit-père-des-peuples…
    Quand un fonctionnaire haut placé peut faire ce qu’il veut là où il est contre son chef hiérarchique, la corruption n’est pas bien loin: les intérêts qu’il faut sauvegarder, les avantages collatéraux, ça coûte bonbon, et l’on apprend qu’à la Chaux-de-Fonds ça peut même coûter la tête d’un municipal trop rigoureux sur la gestion du bien public; mais alors que se passe-t-il dans les autres dicastères: silence, omertà, tous complice-tous pourris ?
    J’ai des doutes sur le niveau démocratique de cette municipalité de gauche qui n’admet pas que l’Histoire prenne un sens différent que celui de ces municipaux, trop imbus d’une idéologie qui n’a jamais souffert la diversité d’opinion.
    Je n’ai pas pour habitude de donner des leçons « urbi et orbi », à la façon des socialistes, mais à la place des municipaux je m’interrogerais sur la pureté d’intention de leurs subalternes, avant que n’éclate un autre affaire Legrix…qui, celle-là, sera encore plus destructrice, si possible.

  2. Posté par Nicolas le

    Une perle sortie de la fange où croupit la gauche, comme quoi, même dans les pires bas-fonds on peut garder espoir en l’homme.

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