Ukraine-Crimée. « Tout le Pouvoir au peuple ? », Prof. Paul Tienfenbach. La Suisse en modèle.

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Article paru dans « Mehr Demokratie Magazin », Journal pour la démocratie directe (Allemagne), Juillet 2014, par Paul Tiefenbach docteur ès sciences politiques, auteur du livre « Tout le Pouvoir au peuple? » Pourquoi les arguments contre les référendums sont généralement faux » (traduit de l’allemand par Ivan Blot).

 

La Crimée et le Donbass : les référendums sur les modifications de frontières devraient être légaux !

 

C’est rare de trouver pareille harmonie : tous les partis sauf « die Linken » (la gauche) sont d’accord avec les médias et beaucoup d’universitaires pour dire que les référendums qui ont eu lieu en Ukraine n’étaient pas sérieux. Il est vrai que juridiquement ils étaient illégaux. Moscou est plutôt favorable aux séparatistes alors que l’Occident soutient le « mouvement de Maidan ». Pourtant, si l’on se borne à voir le conflit sous son seul aspect juridique ou comme rapport de force entre les grandes puissances, on oublie totalement l’aspect le plus essentiel : la volonté politique de la population.

 

La révolte est venue du peuple lui-même

 

Depuis le milieu du 18ème siècle, la Crimée appartient à la Russie, d’abord comme partie de l’Empire des Tsars, puis après la révolution d’Octobre comme république autonome de la république soviétique de Russie. En 1954, le successeur de Staline Nikita Krouchtchev donna en cadeau la Crimée à sa patrie l’Ukraine, sans consulter la population. Au départ, cela ne changeait pas grand-chose, car la Russie et l’Ukraine appartenaient au même Etat, l’URSS. Dès que l’Ukraine s’est séparée de l’URSS en 1990, des citoyens rassemblèrent des signatures pour faire un référendum d’indépendance qui eut lieu en janvier 1991. Plus de 90%  de la population votèrent pour une république autonome de Crimée au sein de l’URSS, donc la séparation d’avec l’Ukraine. L’URSS disparut alors mais la Crimée continua à faire partie de l’Ukraine. La majorité de la population le prit très mal. Lors des élections présidentielles de 1994, une ligue électorale nationaliste russe obtint en Crimée 73%  des voix. Son point principal au programme était l’introduction du rouble en Crimée.

 

L’indépendantisme en Crimée n’est donc pas nouveau. Il n’a réussi que parce que les troupes russes étaient présentes. Que ce soit dans l’intérêt de la Russie ne change rien à ce fait : sans l’intervention russe, l’armée ukrainienne aurait empêché par la force tout référendum comme elle a essayé plus tard de le faire en Ukraine de l’est. Pourtant, c’est le parlement légalement élu de Crimée qui a décidé de l’indépendance, décision qui fut confirmée par la population dans un référendum.

 

Le manque de référendums

 

Les citoyens de Crimée ont eu le choix entre l’intégration de la Crimée dans la fédération de Russie ou la restauration de la constitution de 1992  avec la Crimée comme partie de l’Ukraine. On ne pouvait pas voter contre les deux formules ou voter pour une Crimée indépendante. Le temps de préparation de 14 jours fut trop court et le résultat laisse sceptique sur son exactitude : 97% auraient voté pour le rattachement à la Russie. Ce serait possible si les opposants avaient boycotté le vote. Dans ce cas, la participation affichée de 83%  des votants semble irréaliste. Mais pour être juste, il est parfaitement certain que la majorité des habitats de Crimée était pour le rattachement à la Russie. Le conseil russe des droits de l’homme a évalué la participation entre 30 et 50% et l’approbation du rattachement à la Russie de l’ordre de 60%. Le centre de recherche américain Pew donne aussi ces chiffres.

 

Les référendums à Donestk et Lugansk furent plus désordonnés. Les autorités électorales de Kiev ont refusé de donner les listes électorales donc on a utilisé des données anciennes. Certains électeurs n’ont pu voter à cause de cela. Parfois, il n’y avait pas de cabines pour voter et les enveloppes manquaient ce qui gênait le caractère secret du vote. Le comptage n’a pas été parfaitement transparent.

 

La situation juridique

 

Il faut toutefois reconnaitre honnêtement qu’il est difficile d’organiser un référendum quand le gouvernement envoie des tanks et des hélicoptères de combat pour l’empêcher. Le gouvernement de Kiev avait pourtant le droit pour lui car la constitution de l’Ukraine ne prévoit pas la possibilité de sécession d’une province.

 

Les soldats russes en Crimée ont par contre violé le droit international. Ils avaient le droit de stationner également en Crimée mais ne pouvaient pas se mêler de la vie politique pour autoriser un référendum illégal. Cela conduit à un paradoxe : ceux qui veulent prendre en compte le droit démocratique à l’autodétermination sont qualifiés de terroristes et ceux qui veulent garantir ce droit sont qualifiés d’occupants. Le gouvernement qui veut interdire la décision populaire par la force est formellement le défenseur du droit et de l’ordre ! Pourtant, les séparatistes de Crimée à l’inverse de ceux d’Irlande du Nord ou du pays basque, ne se sont pas lancés dans le terrorisme mais ont voulu arriver à leurs fins par un vote démocratique.

 

Le référendum est l’instrument de la paix

 

Quand quelque chose est légitime bien qu’illégal, il devrait devenir légal ! Ce n’est pas la revendication d’un référendum qui est scandaleuse mais c’est le comportement d’un gouvernement qui est scandaleux lorsqu’il refuse ce droit aux habitants. L’Ukraine a besoin de réviser sa constitution pour permettre la sécession de régions lorsqu’une pétition populaire importante exige un référendum sur ce sujet. On pourrait alors décider d’être indépendant dans des conditions justes. Le gouvernement pourrait proposer comme en Suisse un contre-projet avec par exemple, l’autonomie, la reconnaissance officielle de la langue russe, l’attribution de subventions pour tenter de gagner le référendum. Certes, dans ce genre de conflits, les émotions sont fortes. Une partie de l’Ukraine vit aujourd’hui en guerre civile. Un référendum calmerait la situation. Il permet de choisir et permettre une sécession légale ou en cas de réponse négative, de terminer le conflit sur ce sujet.

 

Le conflit sur l’indépendance de l’Ecosse est bien plus calme car les gouvernements écossais et britanniques ont signé un traité en 2012 qui permet un référendum sur l’indépendance écossaise. Il aura lieu en septembre. Malheureusement, tous les gouvernements ne sont pas si sages ! Le droit de sécession est rarement reconnu dans les constitutions. Pourtant, ce droit devrait être reconnu au niveau international. Dans beaucoup de pays, les séparatistes finissent par recourir à la force. Le droit de sécession par référendum rendrait notre monde plus pacifique.

Auteur: Paul Tiefenbach, (traduit de l’Allemand par Ivan Blot)

Commentaires : [email protected]

Commentaire de Yvan Blot :

Voici un article du  professeur de droit constitutionnel allemand indépendant Paul Tiefenbach qui est paru dans la revue allemande consacrée à la démocratie directe : MD Magazine en juillet 2014.Il montre bien que le gouvernement ukrainien viole le droit à l’autodétermination pourtant reconnu dans la charte de l’ONU et cela avec le soutien de l’Occident !

La seule vraie question en Ukraine est celle-ci : peut-on faire des référendums lorsque la population le souhaite ou est-il légitime de faire la guerre au peuple avec l’armée (normalement constituée pour combattre l’étranger et non le peuple du pays) ? Il y a d’après l’ONU 500 000  réfugiés ukrainiens en Russie à cause de la guerre lancée par Kiev mais cela n’émeut guère les milieux officiels ! (Y.Blot).

 

 

 

 

 

 

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