L’Islam et l’Occident face à la révélation

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

 

Le moins qu’on puisse dire de l’Occident est que, pour lui, la notion de révélation n’a plus de sens. C’est le contraire pour l’Islam qui voit dans le Coran le signe d’une révélation divine. C’était la même chose pour l’Occident jusqu’au siècle des Lumières, mais aujourd’hui, l’esprit laïque et une raison qui s’estime capable de tout conquérir, sont dominants chez nous. Nous n'avons pas là une différence entre Orient et Occident, mais une opposition frontale, un clash dirait Samuel Huntington.

 

Ce qui est en jeu ici porte sur ce que nous avons de plus précieux, la vie de l'esprit. Sans cette vie, nous nous affaissons dans des corps qui, soit se traînent sur nos trottoirs, soit se trémoussent dans l'hystérie de quelque "parade".

 

La vie de l'esprit ne consiste pas seulement à raisonner, mais aussi à accueillir l'inattendu,  accueil qui n'a rien à voir avec le travail habituel de la raison, tout occupée à faire rentrer ce qui arrive dans les catégories du bien connu, dans des théories, des modèles qu'elle s'efforce de vérifier. Notre raison est incapable de recevoir du nouveau ou, si elle le fait, c'est pour le réduire immédiatement à l'ancien. Il y a bien parfois des changements de paradigme, mais ils sont rares. Pour elle, le temps n'existe pas. Elle travaille pour elle-même et par elle-même. D'où son incapacité à accueillir ce qui lui est extérieur. Les médias nous donnent un parfait exemple de cette incapacité, alors même qu'ils sont quotidiennement en contact avec l'imprévisible. Tout événement est immédiatement inscrit dans un modèle à partir duquel la communauté internationale propose une désescalade. A croire que l'histoire n'est qu'une succession de tensions et d'appels à se calmer, au point qu'on a presque la nostalgie de ce sens de l'histoire que les marxistes prétendaient connaître. Si nous n'assistons plus, sur la scène internationale qu'à une succession de belliqueuses systoles suivies par d'apaisantes diastoles diplomatiques, nous n'allons plus nulle part, l'histoire est absurde, nous sommes, comme disait Shakespeare, dans un "tale told by an idiot". Comment, dans une telle situation, prendre parti, juger, s'engager ? Impossible ! Les seuls engagements qui restent sont humanitaires d'un côté, fanatiques de l'autre. Voilà à quoi mène une perception étroitement rationnelle de notre situation géopolitique.

 

Chercher quelque chose de nouveau et d'inattendu dans un événement n'intéresse plus personne ou presque. Avec Gaza, l'Ukraine, la Syrie, on ne cherche plus à connaître la signification de ce qui se passe. Il ne s'agit plus que de verser des larmes de crocodile pour encourager le CICR et, parfois, exaspérer des jeunes qui partiront pour le djihad. Qu'est-ce donc que notre raison pourrait accueillir qui nous permettrait de dépasser l'émotionnel et donc l'humanitaire ou le fanatisme, ces frères jumeaux et ennemis.

 

Pas difficile de répondre. D'abord le bon sens, aujourd'hui de moins en moins partagé.  Ensuite, la beauté, si absente dans l'art moderne. Et puis la souffrance d'autrui, des visions nouvelles du cosmos, de la nature, parfois même des paroles qui viennent on ne sait d'où. Nietzsche a été l'un des derniers philosophes qui sentait encore ces choses. Il disait qu'un vrai penseur est frappé par ses pensées comme si elles lui venaient du dehors. Rappelons aussi Max Weber qui, pour faire comprendre que la vie de l'esprit ne se limite pas au travail intellectuel, évoquait un chercheur en quête d'une réponse. Sur le point de désespérer après des années de travail, il se lève pour se faire une tasse de café et, soudain, voit ou entend cette réponse en un éclair. Bel exemple d'un moment où "quelque chose" se révèle à l'esprit. Enfin Heidegger, dans son langage cryptique, parlait de la vérité comme " aletheia", dévoilement,  laissant entendre qu'elle ne se trouve pas ou pas seulement au terme d'un raisonnement.

 

Au contraire de ces philosophes, la philosophie moderne a glissé dans un labyrinthe de ratiocinations où l'on voit la raison courir dans tous les sens, sans trouver une porte de sortie. Et ce n'est pas qu'en philosophie que la raison s'est égarée dans un labyrinthe. Dans les débats en économie, en politique, elle se mord la queue dans de tristes danses en spirales descendantes autour de la croissance ou du chômage

 

Devant le spectacle d'une raison qui s'est enfermée en elle-même, on comprend la réaction de l'islam. " Ce n'est pas votre pauvre raison humaine qui peut vous guider, nous dit-il. Vous devez aussi prêter attention à des paroles qui ne viennent pas d'elle, mais du Prophète." Propos intolérable pour l'occidental moyen qui voit, dans la lecture du Coran, pure servilité. Selon lui, individu émancipé comme il se doit, la liberté consiste à user de sa raison et seulement d'elle pour vivre en toute liberté démocratique.

 

Alors, la solution est-elle du côté d'une lecture servile d'un texte sacré ? Le malheur est que ce n'est pas par servilité que l'esprit s'ouvre à l'au-delà de sa petite cuisine rationnelle. La vie de l'esprit étouffe autant devant des textes intouchables que dans cette cuisine. C'est ainsi qu'obscurantisme islamiste et étroit rationalisme concourent à tuer cette vie. Par révélation, il faut donc entendre une attention portée à ce qui nous dépasse, nous parle et nous émeut. Lorsque cette attention est absente, ni un texte sacré, ni une activité de la raison pure, pour parler comme Kant, ne peuvent nous aider. Lorsque cette attention est présente l'esprit vit en nous, soit pour animer nos corps, soit pour nous ouvrir à ce que nous ne comprenons pas au premier abord.

 

Rabbi Akiva (1er et 2ème siècles de notre ère), l'un des fondateurs du judaïsme rabbinique, fut ignorant, dédaigneux des études, jusqu'à l'âge de 40 ans. Puis sous l'influence d'une femme, Rachel, il apprit à lire et à écrire, ce qui le conduisit à s'étonner de tout et à poser sans cesse des questions, comme un enfant. Comme quoi, pour paraphraser un propos du Christ, il faut retrouver l'enfant en nous pour vivre par l'esprit et s'interroger naïvement sur la vie et la mort, le cosmos et ses étoiles, le destin et la fortune.

 

Jan Marejko, 22 juillet 2014

Un commentaire

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Merci Monsieur qui êtes plus que philosophe! Merci pour ce que vous offrez en partage. Qui change du brouet quotidien. Un bol d’air. Vos propos ont plusieurs effets, contradictoire. Vous mettez l’accent sur le triste état de la société, ce qui est accablant. D’un autre côté vous lignes sont encourageants, et aussi une consolation. Car ils ont ravivé une masse de souvenirs remontant jusqu’à mon enfance. Ce qui me laisse pour l’instant submergé. Donc, incapable de modérer et canaliser le torrent impétueux, je me contente de vous dire merci, du fond du coeur.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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