Qui veut tuer Fessenheim ?

 

Par Michel Gay

Fessenheim CC nagadoudi

Fessenheim est un joli petit village alsacien à deux kilomètres d’une centrale nucléaire au sein de laquelle fonctionnent deux réacteurs d’une puissance de 900 mégawatt (MW) chacun.

Ils produisent annuellement environ 12000 GWh1 pour une valeur d’environ 600 millions d’euros2 (M€). Même avec quelques dizaines de millions d’euros de « cure de jouvence », encore appelée « grand carénage », ils rapportent chaque année beaucoup d’argent à EDF, entreprise française dont l’État est l’actionnaire majoritaire, et donc à la collectivité.

Il faut rappeler que seul le minerai d’uranium est acheté à l’étranger pour assurer cette production, et il ne représente que 24 M€3 (soit 4% des revenus). Tout le reste de la richesse (enrichissement, fabrication du combustible, production… soit 96% de la valeur ajoutée) est créée sur le sol national.

Ces réacteurs ont moins de 40 ans (mise en service en 1978). Contrairement à ce qui est parfois affirmé, ces réacteurs, ainsi que tous les réacteurs construits en France, n’ont pas une durée de vie déterminée dés le départ. Simplement, tous les dix ans l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) doit autoriser la poursuite de leur fonctionnement pour dix ans supplémentaires, ou non. En revanche, EDF avait planifié l’amortissement initial de l’investissement financier sur trente ans, puis sur quarante ans. Et c’est peut-être ce chiffre qui est confondu, volontairement ou non, avec celui d’une durée de vie. Aucune centrale en France n’est « vieille » puisque les composants sont changés quand cela s’avère nécessaire. Les turbines de vapeur sont remplacées après trente ans par exemple et la nouvelle « repart »… pour trente ans.

Aux États-Unis, plus des deux tiers des réacteurs (70 sur 102) du même type4 que ceux de Fessenheim ont dès à présent été autorisés par l’Autorité de sûreté (NRC) à fonctionner jusqu’à soixante ans. La plupart de leurs réacteurs ont été construits avant les nôtres et l’autorisation est renouvelée directement pour une période de trente ans.

Pourtant, une décision arbitraire, qui en un autre temps aurait été qualifiée de « fait du Prince », a sacrifié la centrale électrique de Fessenheim sur l’autel d’un accord électoral pour gagner une élection nationale. Sa fermeture annoncée par le Président de la République, puis sa destruction, est prévue pour décembre 2016.

Sur le site de la centrale nucléaire de Fessenheim, des ingénieurs, des techniciens et des personnels qualifiés de haut niveau contribuent à la production électrique compétitive dont la France a besoin. Vouloir sabrer ce magnifique outil de travail pour satisfaire une frange minoritaire d’activistes politiques apparait à de nombreux Français comme une faute lourde contraire à l’intérêt général du pays.

En effet, fermer la centrale de Fessenheim seule n’aurait aucun sens. Elle est sûre, selon l’Autorité de sureté nucléaire, elle fonctionne parfaitement et elle participe de manière importante à la richesse de la région et à l’économie de la France. Donc, soit la production d’électricité par le nucléaire est économique et sûre, alors il faut soutenir et développer cette filière, soit elle ne l’est pas et il faut tout arrêter avec les conséquences dramatiques qui s’ensuivront.

L’objectif des antinucléaires est bien sûr « la sortie du nucléaire ».

Derrière cet arrêt, et au-delà de « Fessenheim », c’est bien 24 réacteurs nucléaires sur 58 que le parti politique Europe Écologie Les Verts (EELV) demande d’arrêter… dans un premier temps. C’est écrit dans leur accord électoral avec le Parti Socialiste, adopté par le Bureau National du Parti Socialiste le mardi 15 novembre 2011 :

Nous réduirons la part du nucléaire dans la production électrique de 75% aujourd’hui à 50% en 2025 et engagerons :

- Un plan d’évolution du parc nucléaire existant prévoyant la réduction d’un tiers de la puissance nucléaire installée par la fermeture progressive de 24 réacteurs, en commençant par l’arrêt immédiat de Fessenheim et ensuite des installations les plus vulnérables, par leur situation en zone sismique ou d’inondation, leur ancienneté et le coût des travaux nécessaires pour assurer la sécurité maximale. Cette évolution intégrera les évaluations de l’ASN et de l’IRSN ainsi que le nécessaire équilibre offre-demande.

Nul doute que dans l’esprit des rédacteurs de ce texte, les 34 réacteurs restants sont… vulnérables.

Ainsi, au-delà de cet accord, ce parti antinucléaire a la volonté de liquider totalement un des derniers fleurons de l’industrie française, avec l’absolution apparente du Parti socialiste. Ce pan entier de notre économie contribue positivement pour 30 milliards d’euros à la balance commerciale de la France. Il faut y ajouter les 20 à 30 milliards d’euros d’économie d’achat de gaz ou de charbon qu’il faudrait importer pour remplacer la production d’électricité nucléaire5.

Aucun moyen de remplacement de nos centrales nucléaires ne pourra apporter autant à l’économie nationale. Ce sera même le contraire avec les coûteuses énergies éoliennes et solaires étroitement associées au gaz et au charbon qu’il faudra acheter de nouveau massivement à l’étranger.

C’est le cas de l’Allemagne qui importe en grande quantité du charbon des États-Unis pour produire plus de la moitié de leur électricité (55%) et du gaz de Russie, après l’arrêt de la moitié de ses réacteurs nucléaires (8 sur 17). Malgré des sommes gigantesques englouties dans son « virage énergétique » (Energiewende) pour favoriser les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) assurent toujours 80% de l’énergie primaire consommée dans ce pays, alors que 16% de sa production d’électricité est toujours assurée par le nucléaire.

Faire croire que le démantèlement des deux réacteurs de Fessenheim permettrait à la France d’acquérir un savoir faire qu’elle exporterait ensuite dans le monde entier n’est pas sérieux. La France possède déjà une solide expérience dans ce domaine depuis plus de dix ans. En 2001, EDF a fait le choix de déconstruire intégralement ses neuf réacteurs définitivement mis à l’arrêt : Brennilis, Bugey 1, Chinon A1, A2 et A3, Chooz A, Creys-Malville et Saint-Laurent A1 et A2. Cet engagement a été inscrit le 21 octobre 2005 dans le contrat de service public signé avec l’État. Bien qu’ils soient d’une technologie différente, sauf Chooz A qui est de la même technologie6 que Fessenheim, il ne faut pas faire croire aux Français que l’apprentissage sur les deux réacteurs de Fessenheim apportera un surplus exceptionnel de savoir-faire qui justifierait sa destruction « en plein vol ».

Aujourd’hui, 800 salariés, la plupart hautement qualifiés, et 250 prestataires travaillent pour faire fonctionner la centrale de Fessenheim. Une centaine d’ouvriers sera suffisante pour la démanteler. EDF cite 5000 personnes par an, essentiellement de la main d’œuvre, pour la déconstruction de l’ensemble des 58 réacteurs du parc nucléaire. Ce chiffre apparaît donc modeste à l’aune des plus de 400.000 emplois directs et induits, le plus souvent de haut niveau, liés à la construction de réacteurs, à la production électrique, et aux services du cycle du combustible.

Comme le souligne Jacques Percebois, coauteur du rapport « Énergies 2050″ : « L’installateur de panneau solaire n’est pas l’ingénieur nucléaire. La compétence industrielle joue aussi. De plus, le nucléaire représente un avantage s’agissant des emplois induits car le prix de l’électricité reste bas ce qui, pour l’industrie ou pour les services en France, est un avantage dans la compétition. Une augmentation du prix de l’électricité entraînerait sûrement des délocalisations ou des suppressions d’emplois : suivant les scénarios, nous étions à 100.000, voire 200.000 emplois. »

L’administrateur général du CEA, Bernard Bigot, a déclaré au Sénat le 20 mars 2012[7. Rapport du sénat n° 667 du 12 juillet 2012 sur "les coûts de l’électricité et la transition énergétique", page169.] : « Je recommande de prolonger la durée d’utilisation des centrales aussi loin que possible, car je ne vois pas pourquoi nous démantèlerions sans nécessité un réacteur, avec tous les coûts induits par le démantèlement et la multiplication du volume des déchets que cela suppose. »

Si la disparition programmée de ces centrales devait être mise en œuvre, ce serait une catastrophe économique pour les Français qui ne possèdent ni charbon, ni gaz dans leur sous-sol. Cette manœuvre politique consternante, dont la seule justification serait de vouloir entamer un arrêt total du programme nucléaire, nuit déjà à l’économie car elle crée une incertitude sur le futur du nucléaire en France, ce qui est néfaste à la préparation de l’avenir. Mesdames, Messieurs les élus, il ne faut pas désespérer Fessenheim !

  1. Un GWh = un gigawatt heure = un milliard de kWh.
  2. En prenant une valeur moyenne de vente de 50 € / MWh.
  3. L’achat annuel d’uranium pour produire 410 TWh d’électricité est d’environ 800 M€.
  4. La France a acheté la licence de construction aux États-Unis pour ses réacteurs à eau pressurisée.
  5. La facture énergétique est d’environ 60 Mds€ / an et le déficit commercial de la France de 70 Mds€ / an.
  6. Réacteur à eau pressurisé (REP).

 

Extrait de: Source et auteur

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Un commentaire

  1. Posté par Jean-François Dupont le

    Excellente analyse. Qui devrait d’autant plus nous faire réfléchir en Suisse que Fessenheim est une des principales centrales à alimenter nos contrats d’importation de courant français. Et n’oublions pas que la transition énergétique allemande est en train de tourner à l’échec: supprimer le nucléaire relance la consommation de fossile (charbon et gaz). Les énergies renouvelables seules ne permettent pas (encore pour longtemps) de réduire notre dépendance du fossile, qui est la principale priorité d’une saine politique énergétique.

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