Euthanasie, la mort douce…

Anne Lauwaert
Ecrivain belge

NDR. La rédaction ne partage pas nécessairement toutes les prises de position de nos contributeurs. A propos de l’euthanasie, sujet hautement sensible et disputé nous aimerions voir se développer une confrontation des différentes positions en présence de manière solidement argumentée sur un sujet qui touche aux valeurs les plus essentielles.
Invitation au débat…

 

Pendant mes études en physiothérapie (début années 70) les stages se faisaient en hôpital. Parmi mes patients il y avait Angélique, une petite fille d’environs 7 ans, (mes enfants avaient 3 et 4 ans) complètement déconnectée qui n’avait aucun contact. Elle était couchée, inerte, ses seuls mouvements étaient les spasmes et les crampes dans ses muscles et les grimaces de douleur et gémissements qui allaient avec. Mon rôle était d’essayer de la soulager par des compresses chaudes et des massages qui ne servaient pas à grand chose. Le plus pénible était de rencontrer sa mère qui à chaque fois me disait “N’est-ce pas, mademoiselle, qu’aujourd’hui elle va mieux”. Il m’était interdit de répondre “Non madame, elle n’ira jamais mieux” donc je ne répondais pas. Je me bricolais une noosphère à la Teilhard de Chardin dont notre prof de religion nous avait parlé au lycée et pendant la demi-heure que je passais avec elle quotidiennement, je me concentrais intensément pour entrer en contact avec son esprit et lui dire “Pars, Angélique, envole-toi, libère-toi, sois libre, tu ne dois pas souffrir, tu as le droit de partir…”

Mon stage a pris fin, j’ai changé de service…

 

C’était avant le siège pour enfant et la ceinture obligatoires dans les voitures.

Ce petit garçon d’environs 5 ans était assis sur la banquette arrière, son père a freiné brusquement, l’enfant est tombé, a cogné la tête et est resté paraplégique et inconscient… plus aucun contact… Ses parents l’apportaient chaque matin dans le service  kiné de notre école pour qu’on le soulage de ses spasmes et puis il passait aux mains de notre prof qui est un fanatique de la psychomotricité et de la neurologie… aucun signe de changement…

Il aura continué à végéter jusqu’à ce que ses parents, épuisés de le trimbaler, ne le “placent” dans un établissement…

 

Un ami avait offert une colonie de vacances-ski en Suisse à son fils de 7 ans. On n’a jamais su comment l’enfant avait pu “tomber du train” … Depuis il resta “décérébré”. Ses seuls manifestations étaient ses contorsions dues aux spasmes et les gémissements de douleur. Mon ami, son épouse et l’équipe médicale décidèrent de laisser partir l’enfant en débranchant les machines qui le tenaient artificiellement en vie.

 

Ma mère (née en 1912) racontait que quand elle était jeune le docteur du village assistait aux accouchements et examinait les nouveau-nés. Avec ce docteur quand un enfant présentait des anomalies, “il ne survivait pas à la naissance”… il y a de ça 100 ans, dans un village flamand super catholique…

 

Les “soignants” sont-ils des assassins? Non, bien au contraire…

Il faut avoir travaillé dans les soins intensifs pour comprendre ce que c’est que la lutte pour la vie.

Moi, ce qui m’étonne c’est qu’avec tout ce qu’il affronte quotidiennement, le personnel soignant soit si solide et ne pète pas les plombs plus souvent.

 

Maruska était une jeune fille profondément handicapée. Elle ne parlait pas, ne marchait pas, était couchée dans une poussette à sa mesure et régulièrement avait des infections pulmonaires. Alors elle revenait chez nous et le médecin chef des soins intensifs nous appelait, infirmières et kinés et nous montrait les radios des poumons et nous disait “ Vous faites ce que vous voulez, mais tout ça doit avoir disparu demain.” Mon travail c’était d’installer la patiente dans des “positions”, d’effectuer sur son thorax des vibrations pour stimuler l’écoulement des mucus qui obstruaient les voies respiratoires. Mais comme la patiente était délicate il fallait y aller par petits coups. Alors j’allais faire mes autres patients et entre deux je revenais vers elle. Il y avait toujours une infirmière qui, malgré le travail, répondait “présent” chaque fois que je demandais si quelqu’un pouvait venir aspirer les mucus qui se dégageait. Cela non pas une fois, mais à répétition, tout au long de la journée et nous n’avons jamais compté nos heures supplémentaires.

 

Un jour mon compagnon me téléphone: un de ses collègues s’était écroulé au beau milieu de leur bureau. Il avait été emmené à l’hôpital et je le retrouvai inconscient dans les soins intensifs où il fut longtemps mon patient. Puis un jour il fut transféré dans une chambre normale mais je continuai à le soigner apparemment sans aucun espoir jusqu’au jour où il me sembla sentir une vibration et deviner une lueur dans son regard. Quand son épouse vint lui rendre visite je le lui dis et que j’avais besoin de son aide, sans aucune garantie, mais il fallait quand même essayer d’intensifier les contacts: surtout  lui parler, le toucher. Cela me valut une réprimande de la part de l’infirmière-chef et une empoignade car si elle prétendait que j’avais dépassé mes compétences, je prétendis que c’était justement ça ma profession et le médecin chef me donna raison surtout quand le patient commença à se manifester, à bouger, à vouloir parler… Roger est rentré chez lui, a réappris à parler, à marcher, à vivre presque normalement et a encore vécu  quinze ans dans d’excellentes conditions. Mais son épouse n’avait pas oublié ce fameux “premier jour” et elle me téléphona pour annoncer le décès de son mari et encore me remercier pour ce long combat mené ensemble.

 

Franky, un ami alpiniste, prof de math a lutté pendant quinze ans contre une tumeur dans le cerveau tout en transformant son combat personnel en un combat pour la défense des droits de tous les patients atteints de tumeurs dans le cerveau : “werkgroep hersentumoren”.

http://www.wg-hersentumoren.be/site_nl/home.php Quand il a fait sa dernière rechute il en a parlé et… a pris congé… Puis j’ai reçu la nouvelle qu’il était décédé exactement le même jour à la même heure que mon compagnon qui  avait été son ami, lui aussi alpiniste. Quel message !

 

Un ami d’enfance est devenu pasteur dans l’église “vieille catholique” ou “église catholique chrétienne”. L’assistance aux personnes âgées est une de ses missions principales. Il a visité ma mère et dit l’homélie lors de ses funérailles. Quand sa mère a atteint la fin de sa vie, avec ses frères et sœurs et l’équipe médicale soignante, il a “accompagné” sa mère.

 

Un ami musulman m’a raconté que chez lui, quand une personne est au bout, on dit à Allah qu’il doit se décider: ou bien rendre la santé ou bien faire mourir la personne, mais pas la laisser souffrir. Alors on chante certains versets du coran au chevet du malade et celui-ci meurt… Les catholiques ne prient-ils pas Saint Joseph de la bonne mort ? http://www.evangelium-vitae.org/veillez-et-priez/texte-priere/456/avec-saintjoseph/priere-a-saint-joseph-pour-obtenir-la-grace-d-une-bonne-mort.htm

 

Mes parents ont terminé leur vie centenaire dans un home géré par des religieuses. Etant donné que j’habitais à 1000km je ne pouvais être toujours ou immédiatement présente. Donc une relation vraiment très privilégiée était née entre les sœurs, le personnel, le médecin et moi. Un jour je me confiai à la sœur supérieure pour demander, s’il arrivait un accroc à mes parents, de ne pas les expédier à l’hôpital mais de les laisser mourir doucement, chez eux,  dans leur chambre et entourés des soins des personnes qu’ils connaissaient et en qui ils avaient confiance.

-“Ne vous inquiétez pas – me répondit la sœur – nous préférons garder nos pensionnaires chez nous pour le accompagner le mieux possible. Nous ne faisons rien pour prolonger la vie, par contre nous faisons tout ce que nous pouvons, avec le médecin et avec toute l’équipe,  pour rendre les derniers jours les plus “confortables” possible”.

 

Bref, qu’est ce que des parlementaires ou des juges de Strasbourg ont à voir dans tout cela?

Pour quelle raison en Suisse, en Hollande et en Belgique les personnes ont-elles droit à une fin de vie dédramatisée,  alors qu’en France c’est l’hystérie?

 

Le christianisme nous terrorise avec la mort et l’enfer, d’autres civilisations sont plus naturelles. Les Bochimans du Kalahari sont nomades. Quand une personne est trop malade ou trop vieille ils lui préparent une hutte et l’y laissent, avant de continuer leur migration.

 

Ah, mais “la vie est sacrée car c’est un don de Dieu”…

Je pourrais objecter que la vie est moins sacrée quand il s’agit de l’entrecôte dans l’assiette, de l’élevage industriel  ou des animaux torturés en laboratoire, mais soyons plus rationnels.

Certainement au début de l’humanité avec la mortalité infantile et les conditions hygiéniques, il était difficile de maintenir une progéniture et de garantir la survie de la tribu.

Mais plus tard on a fait des enfants parce qu’on ne savait pas comment ne pas en faire. Le sexe est un besoin physiologique auquel on n’échappe pas et qui a la procréation comme conséquence, procréation pas toujours souhaitée. L’avortement existe depuis l’antiquité ainsi que le suicide

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27avortement

Ces pratiques devaient être tellement nombreuses que les religions en sont arrivées à les condamner et comme  lot de consolation on vous dit que  “la vie est un don de dieu”…

Le problème c’est que deux individus pratiquent le sexe par besoin physiologique mais que en même temps ils obligent un autre être à vivre… Personne n’a demandé à vivre! On nous jette dans la vie et ensuite démerdez-vous… avec toutes les contraintes qu’on appelle “éducation” c.-à-d. dressage pour rentrer dans le carcan social sans rechigner… Et les gens qui n’en veulent pas? Tient-on compte de la liberté de ne pas vouloir vivre? Non!... Même, dans certains pays,  dans les cas où la vie est une torture, on ne laisse pas la personne qui souffre quitter la vie mais au contraire on donne raison à ceux qui veulent prolonger la torture… N’est-ce pas pervers?

Amnesty International dénonce la torture mais pas celle qui consiste à obliger à vivre dans la souffrance…

Et horreur, l’euthanasie des enfants! On tue les enfants… Parce qu’on est enfant on n’a pas le droit d’arrêter de souffrir? On aurait le droit d’obliger des enfants à continuer à souffrir? On condamne la violence faite aux enfants, les abus sexuels ou non, même la fessée, mais on interdirait de mettre fin aux souffrances ?

Il y a des gens qui prétendent que les enfants ne sont pas capables de dire qu’ils sont fatigués de souffrir comme il y a des gens qui prétendent que les animaux n’ont pas de sensibilité, ni de sentiments…

 

“Le suicide est la deuxième cause de décès chez les enfants et les jeunes en Suisse (10-19 ans) et la première cause de décès chez les adolescents et les jeunes adultes de 15 à 24 ans.”

http://www.sarahoberson.org/blog/2011/11/22/le-suicide-des-jeunes-faits-et-chiffres/

 

En amont, le problème ne se trouva pas dans l’aide à mourir puisque Suisse, Belgique et Hollande démontrent que cela fonctionne, mais la question à examiner c’est le droit à procréer…

Combien de personnes s’adonnent au sexe sans même penser à l’éventuel être qu’ils vont obliger à vivre, par distraction… inadvertance… dégât collatéral, au lieu de préparer la procréation avec toutes les précautions pour garantir le meilleur avenir possible au futur être.

Combien se posent la question de savoir si l’être qu’ils veulent faire vivre aura envie de vivre au lieu de tout simplement et égoïstement faire un enfant parce qu’on a envie d’un bébé qui est si joli… mais qui va être obligé de vivre, grandir et affronter la vie…

Les religions et les Etats encouragent la procréation au lieu d’éduquer la population à la responsabilité que la procréation comporte.

Pascal Sevran avait suscité un scandale en déclarant que “ la bite des noirs est responsable de la famine en Afrique”.

On peut ajouter que la surpopulation est à la base de la plupart des problèmes actuels alors que nous disposons de moyens pour permettre à tout le monde de vivre une vie sexuelle sereine libérée de la procréation.

Et pour quelle raison la stérilisation est-elle aussi tabou? On peut tranquillement le faire enlever les rides, l’appendice ou les amygdales, mais pas ligaturer les trompes féminines ou les canaux déférents masculins?

 

Autre élément: la presse belge écrit qu’actuellement 33% de la population est touchée par le cancer et qu’on attend une augmentation de 75% d’ici 2030…

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/06/01/97001-20120601FILWWW00313-75-de-cancers-en-plus-d-ici-2030.php

Et que ce passera-t-il le jour où 50% de la population d’une part ne sera pas productive et d’autre part aura besoin de soins couteux? Que sera-t-on obligé de faire quand les coûts ne seront plus soutenables? “terminer” les patients?

Ce n’est donc pas contre l’euthanasie qu’il faut lutter mais contre ce qui cause le cancer et les maladies qui conduisent au recours à l’euthanasie…

L’hystérie contre l’euthanasie n’est-elle pas un moyen de détourner l’attention de ce qui cause ces maladies?

 

Conclusion: qu’on le veuille ou non,  la gestion rationnelle de la vie, c.-à-d. des naissances, de la maladie et des décès est un des défis inhérents au grand chambardement que nous sommes en train de vivre…

Les orfraies auront beau crier au péché, à l’eugénisme ou autre épouvantail, quand on n’en sortira plus, quand le prix de la maladie sera devenu insoutenable, il sera trop tard pour regretter de ne pas avoir limité les naissances et interdit les causes des pollutions…

 

Si  Belgique, Suisse et Hollande sont capables d’affronter le problème de la fin de vie, pour quelle raison d’autres pays en seraient-ils incapables?

Mais qu’est ce que les politiciens, les curés ou les  juges de Strasbourg ont à voir là dedans? Cela ne regarde que la personne, son médecin et à la limite sa famille.

On ne nous a pas demandé notre avis quand on nous a obligés à naître, le minimum c’est qu’on ait le droit de décider si on veut mourir.

 

Anne Lauwaert, 28 juin 2014

 

12 commentaires

  1. Posté par Pascal Rio le

    Moi, je pars du constat, que dans un pays comme la France, où l’euthanasie reste interdite, que beaucoup de malades en phase terminale se suicident, chez eux, tous seuls, sans aucun soutien, où chaleur humaine, alors qu’il vaut mieux être entourée de personnes aimantes, compatissantes, dans ces moments là. L’interdiction, là comme ailleurs, amène à des situations terribles.

  2. Posté par Sonia Ducor le

    Le problème avec l’euthanasie, c’est que ce sont des personnes bien vivantes qui vont décider de la mort d’autres personnes. Et cela avec nos critères de personnes bien portantes « profitant pleinement de la vie ». Parce que, pour notre société hédoniste et matérialiste, la vie ne vaut la peine d’être vécue que si nous pouvons profiter pleinement de tous les biens matériels mis à notre disposition. Et, dès lors qu’on est dans l’évaluation subjective de la vie d’une personne, on peut se demander où celle-ci s’arrêtera; la vie d’un SDF incapable de profiter pleinement de la vie vaudra-t-elle la peine d’être vécue ? Pourquoi s’arrêtera-t-on à la souffrance physique ? Il faudra également considérer la souffrance morale. On imagine bien les perspectives abyssales de cette boîte de Pandore une fois ouverte…

    « Mais il souffre trop ! » nous dira-t-on. Qu’en savons-nous ? La douleur est, de nouveau, une notion très subjective et nous oublions trop vite les immenses progrès des soins palliatifs. De plus, une généralisation de l’euthanasie, donnerait le coup d’arrêt à la recherche en matière de soins palliatifs. Pour supprimer la douleur on supprime le patient ! Solution radicale et surtout irréversible…! Que savons-nous des futurs progrès de la science ? Et puis, est-ce vraiment la volonté du malade ? Il a peut-être pu laisser des directives mais, au seuil de la mort, notre perception change et on s’accroche désespérément à la vie… Que savons-nous de sa vie intérieure ? Comme on peut le constater, il y a beaucoup trop de questions et de doutes autour de ce sujet.
    Et le doute doit définitivement profiter à la vie !
    Ne faisons pas des médecins les seules personnes de notre société autorisées à tuer. Et, de grâce, arrêtez avec vos beaux euphémismes : « mourir dans la dignité », « mourir sans douleur », parce qu’il n’en reste pas moins que l’euthanasie est un meurtre. Comme le disait Fabrice HADJADJ : « on assiste aujourd’hui au meurtre par compassion… »

    Voici un excellent article très compet sur le sujet et qui résume bien la situation actuelle :

    http://www.surlering.com/article/article.php/article/l-euthanasie-futur-acquis-social-

  3. Posté par elio bollag le

    Ma chère Anna, très realiste votre essai et je ne peux que être d’accord avec chaque mot. Sauf que pour moi même, il faudrait que je me trouve dans la situation de décider pour moi ou pour quelq’un d’autre . Pour l’instant, pour moi, je me sens que je dois jouer le jeu de la vie, du commencement jusqu’au dernier souffle, même avec souffrances, pour ne pas devoir recommencer le jeu du début.

  4. Posté par Renaud le

    @ anne jacquemet
    De cette opinion de Soeur Marie-Rose Genoud je fais le lien avec le fait que la prêtrise n’est pas ouverte aux femmes.
    Les femmes n’ont pas un rapport assez intime à la mort pour se mêler de ce sujet.
    Le courage face à la mort n’est ni de la donner ni de se la donner.

  5. Posté par anne jacquemet le

    Lire ou relire « Point de vue sur Exit » le petit article de Soeur Marie-Rose Genoud, Sion, dans le Nouvelliste du vendredi 20 juin 2014, page 2.

  6. Posté par Anne Lauwaert le

    En effet dans les montagnes du nord Pakistan où vivait cet ami musulman non seulement l’espérance de vie était de 60 ans mais surtout la vie frugale y était saine : pas d’électricité donc du sommeil, du silence et une alimentation simple, naturelle, fraîche, indigène et de saison – ce qui n’a jamais empêché les peuples « primitifs » d’avoir leurs herbes pour soigner et soulager. Cependant le fait de prier Allah pour faire mourir celui qui souffre est déjà une forme d’euthanasie…

    Quant à l’apologie de la souffrance je m’y oppose catégoriquement.
    La souffrance est inutile et souvent dégradante.
    Suite au nombreux apprentissages du contrôle de la douleur comme sophrologie, méditation transcendantale, training autogène, mais aussi l’autocontrôle indispensable à la pratique de la montagne, etc. j’ai acquis une certaine maitrise de la douleur mais je ne suis ni masochiste, ni sadique.
    De mon temps on accouchait encore naturellement et on apprenait à diriger son propre corps par les techniques de « l’accouchement sans douleur » qui ne supprimait pas les douleurs mais enseignait à les diriger.
    Le « tu enfanteras dans la douleur » des religions est heureusement battu en brèche et si aujourd’hui les femmes peuvent bénéficier de traitements qui diminuent les fameuses « douleurs » c’est tant mieux !

    Pour le personnel soignant la philosophie de base est d’aider les malades à être moins malades et donc le premier objectif est de supprimer ou diminuer la douleur. D’ailleurs, aussi longtemps qu’un patient éprouve de la douleur il est pratiquement impossible de faire une rééducation, c’est même souvent contre-productif si pas dommageable.

    Pour moi, les attitudes genre Mère Téresa qui se contentait de dire aux personnes qu’elles avaient de la chance de souffrir parce qu’ainsi elles « partageaient la souffrance de Jésus » sont non seulement bêtes, mais scandaleuses.
    Idem d’ailleurs pour ceux qui considèrent la souffrance comme une chance de racheter un mauvais karma. C’est tout bonnement une manière commode de se donner bonne conscience et de s’en laver les mains.

    Mais là n’est pas le nœud du problème de l’euthanasie, le nœud c’est d’avoir le droit de décider soi-même pour soi-même.
    Je comprends que cela soit choquant pour des croyants qui croient que c’est leur dieu qui décide de leur sort et donc s’en remettent à lui. C’est leur droit. Personne ne leur enlèvera ce droit, même si l’euthanasie est légalisée. Mais ceux qui refusent l’euthanasie pour eux-mêmes ne doivent pas avoir le droit d’imposer leur philosophie à d’autres, ni de s’opposer à ce que d’autres puissent y avoir recours.
    Bref légaliser l’euthanasie c’est donner le choix aux individus entre ou bien suivre le cours de la maladie et de la mort de façon naturelle ou bien de décider d’y mettre un terme. C’est tout. Cela implique que les individus doivent faire leur choix, moral, religieux, éthique etc. pour eux-mêmes mais ne doivent pas l’imposer aux autres. Plus de personnes ne sont pas adeptes d’une religion, plus le problème se pose.

  7. Posté par Renaud le

    @ Alain Jean-Mairet
    J’adhère de moins en moins à ce discours.
    Il y a un moment où le bilan de la techno science médicale devient négatif et je crois qu’on y est.
    Ce qui fait basculer le bilan c’est la manipulation génétique, la procréation artificielle, la marchandisation des corps, le puçage des nouveaux nés, etc.
    En ce qui concerne la mort, je commence à trouver préférable de mourir sous un arbre comme un chien dans d’atroces souffrances, cet avis n’engageant que moi comme on dit.
    C’est que la vie et la mort sans souffrance, ce n’est pas la vie.
    Quand on appelle mourir dans la dignité le fait de mourir en évitant la souffrance on a entièrement perverti le sens de la dignité.
    Il fut un temps où la religion avait le pouvoir et comme on le sait le pouvoir corrompt.
    Aujourd’hui c’est la techno science qui a le pouvoir, celui de tout dénaturer, de transformer en merde tout ce qu’elle touche.
    On parle d’écologie mais on ne veut plus de la nature.
    Or, si la vie n’a plus de base naturelle elle n’a plus de sens.

  8. Posté par Alain Jean-Mairet le

    @ Renaud
    Cette « attitude rationnelle » a fait reculer la souffrance et progresser la vie dans une mesure qui, elle, a vraiment de quoi stupéfier. À l’époque où il n’était guère possible que de prier pour la guérison (ou la mort, comme nos chers amis musulmans), le monde était beaucoup moins peuplé, et pour cause: les hommes vivaient beaucoup moins longtemps, ils perdaient en moyenne un enfant sur trois avant l’âge d’un an et un enfant sur deux avant l’âge adulte. La souffrance était omniprésente, une simple rage de dent pouvait abattre un adulte pour plusieurs jours, une simple fracture ou une appendicite pouvait signifier un arrêt de mort — lente, terrible. Que ceux qui ont des enfants les imaginent lutter sans la médecine moderne contre les oreillons, la rougeole, la rubéole ou la scarlatine d’autrefois — sans parler de la rage, du tétanos, de la tuberculose ou de la poliomyélite… Puis de la peste, du choléra, de la lèpre, des famines…

    Si la pensée rationnelle nous a permis de maîtriser tant de choses aussi détestables, je pense qu’il est raisonnable d’en attendre aussi des solutions valables pour les souffrances de fin de vie, entre autres choses. Quant à essentialiser la souffrance et la mort, je pense que c’est bien plutôt la spécialité des religions.

  9. Posté par Renaud le

    Je suis toujours stupéfait par la volonté de maitriser rationnellement la souffrance et la mort.
    Cette attitude rationnelle ne peut que tendre à essentialiser la souffrance et la mort, c’est à dire à les rendre toujours plus insurmontables et interminables.
    Peut-être que les personnes qui n’en finissent pas de souffrir et de mourir se chargent-elles inconsciemment de nous enseigner la souffrance et la mort. En les abrégeant nous refusons de recevoir leur enseignement, nous refusons la souffrance et la mort. C’est alors un cerce vicieux aussi bien individuel que collectif où la souffrance et la mort gagnent tant que la confiance et l’acceptation ne remplacent pas la volonté de maitrise.
    Parmi les attitudes décrites par Anne Lauwaert, celle des musulmans me parait la plus juste.

  10. Posté par Anne Lauwaert le

    Je voudrais revenir sur deux cas célèbres:
    Le prince Friso de Hollande avait déclenché une avalanche en faisant du ski hors piste le 17.II.2012 Il était resté “dans le coma” dans un hôpital londonien. Le 9.VII.2013 sa famille l’a ramené à la maison Le 12.VIII.2013 il a succombé à “des complications”.
    Michael Schumacher est lui aussi dans le coma après un accident de ski survenu le 29.XII.2013. Il a été transféré à Lausanne le 16.VI.2014
    Ce n’est pas à la presse de déclarer qu’il s’en sortira parce qu’il est un grande champion, un battant etc. C’est au médecin de dire quels sont les dégâts dans le cerveau et quelles sont les possibilités de récupération. Mais surtout, cela ne regarde personne d’autre que la famille.

  11. Posté par Anne Lauwaert le

    Dans l’euthanasie il n’a jamais été question de self service , bien au contraire les lois existent et sont très sévères. Si ces lois existaient dans tous les pays il y aurait moins de raisons pour que des Dr. Bonnemaison fassent cavalier seul.

  12. Posté par Alain Jean-Mairet le

    D’une manière générale, je pense qu’il faut légiférer de manière à minimiser les obligations imposées aux institutions, et à leurs représentants (ici notamment les médecins), et à maximiser les libertés individuelles, et les responsabilités correspondantes, tout en évitant les incitatifs scabreux. Ainsi, il doit être exclu d’autoriser des personnes à pratiquer l’euthanasie de leur propre chef. Mais il doit être possible pour tout un chacun de se prononcer sur (les conditions de) sa propre euthanasie. Et il faut établir avec la plus grande précision possible les limites à partir desquelles une euthanasie peut être légitime ou souhaitable, de l’avis de la personne directement concernée.

    La recherche devrait donc porter d’une part sur les formes juridiquement valables de déclaration personnelle autorisant sa propre euthanasie (à l’image de la carte de donneur d’organes, par exemple) dans des conditions à définir avec exactitude et à tenir à jour régulièrement, en fonction de l’évolution de la recherche médicale. Et, d’autre part, sur les paramètres objectifs permettant d’assurer au mieux que la volonté de la personne est respectée. Les médecins étant libres de faire le geste ou non, mais pas d’en empêcher un confrère.

    Le travail juridique est relativement simple, mais il doit tenir compte de la multiplicité des législations en présence et peut-être prévoir des accords internationaux sur la reconnaissance des déclarations.

    Le travail médical consiste essentiellement à réunir toutes les données techniques sur le sujet, en corrélation avec les outcomes. Les hôpitaux fourniraient ainsi la totalité des données (anonymisées) générées par leurs systèmes de monitoring, si possible en temps réel, et en feraient un pool que des chercheurs pourraient analyser à loisir afin de définir des paramètres empiriques pouvant servir de base de décision aux personnes (de tels projets de pools de données anonymisées n’ont plus rien d’inhabituel dans le secteur médical et hospitalier).

    Par exemple: si telles et telles conditions sont réunies à un moment quelconque, les chances de pouvoir à nouveau reprendre conscience sont inférieures à x%. Ou les chances de pouvoir recouvrer sa motricité sont inférieures à x%. Chacun pourrait ainsi se déterminer en fonction de sa propre échelle de valeur et décider que, s’il devait dépasser un certain point de non-retour, il préférerait qu’on lui donne la mort. Bien entendu, il doit être possible de modifier cette décision à tout moment et sans aucune formalité. Et le système doit alerter les personnes si les conditions varient dans une mesure à définir, notamment à la suite de progrès médicaux (ou au contraire de la dégradation des conditions de traitement). On peut aussi ajouter des variables tenant compte des possibilités médicales effectives dans différents contextes.

    Cela permettrait de traiter une grande partie des cas d’euthanasie en fondant l’éthique de la chose sur les libertés individuelles. Mais, avec le temps, cela fournirait aussi des bases de discussion plus solides pour les délibérations politiques. Nous saurions alors beaucoup mieux ce que la population pense de la question, ce qui est important, crucial, ou non, pour les membres des sociétés concernées. Ainsi, les cas qui ne peuvent pas s’inscrire dans le cadre formé par le système proposé (absence de déclaration ou situation médicale incertaine) pourraient être traités de manière plus conforme à des principes que nous savons être généralement approuvés.

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