SRF: Ueli Maurer a-t-il eu raison de réagir ?

Curieuse culture qui veut que l’expert, le spécialiste – nouveau grand-prêtre du dogme technocratique à l’adresse des masses médiatisées – soit forcément neutre par nature et, par essence, au-dessus de tout clivage politicien. Et si, par le plus grand des hasards, les experts, en plus de leur avis, avaient aussi des opinions ?

 

La presse publique se gausse, en quatre langues, depuis hier, à la façon d'une vieille douairière devant une exposition de nus, suite au crime de lèse-média du conseiller fédéral Ueli Maurer, lequel aurait poussé l'audace jusqu'à relever le manque d'objectivité d'un reportage de la SRF sur le Gripen.

D'un naturel patient, Ueli Maurer est sorti, fort calmement au demeurant, l'espace de quelques secondes, de sa réserve habituelle pour exprimer qu'il attendait mieux, en matière d'information, de ce fameux "service public". Depuis, le service public en question est en boucle, qui rejette la critique sans l'examiner et préfère railler le conseiller fédéral - mauvais larron, mauvais joueur -, pour tenter de mettre les rieurs de son côté, un peu comme ferait un caïd de cour de récréation pour combler le malaise que vient de susciter sa brutalité. Ce que la SSR reproche en somme à l'UDC, c'est de ne pas avoir intégré la loi selon laquelle, s'il est légitime de critiquer son parti pour un oui ou pour non et de chercher à le déstabiliser en continu dans l'exercice de sa fonction, l'inverse ne l'est pas. Le but de cette campagne, outre la volonté de punir le fauteur, est bien de faire comprendre à ceux qui seraient tenter de suivre son exemple, le genre de sanction immédiate que cela pourrait leur valoir. C'est probablement, à terme, ce qui tuera le média d'Etat, on ne peut être à la fois craint et aimé; il faut choisir, la démocratie ou la dictature, mais la seconde sous l'illusion de la première n'est appelée à durer qu'un temps.

 

Casus belli

Mais Ueli Maurer a-t-il eu raison de réagir comme il l'a fait ? Ne serait-il pas devenu trop sensible ? Cette fébrilité n'est-elle pas le révélateur de la fragilité de sa position, de sa politique, de ses projets ?

Le sujet incriminé dure moins d'un quart d'heure, qui s'adresse d'entrée au conseiller fédéral et propose une analyse fondée, pour l'essentiel, sur le commentaire d'un pilote et la critique d'un expert allemand, Lutz Unterseher, maître de conférence à l'université de Münster et fondateur d'un groupe d'étude sur la sécurité, le Study Group on Alternative Security Policy (SAS). Le fond de cette critique repose sur une comparaison avec divers pays voisins, dont l'Autriche, lesquels feraient bien mieux que la Suisse avec bien moins d'appareils. Ce qui fâche Ueli Maurer, c'est l'omission d'exemples contraires, comme celui de la Belgique (exemple que la gauche écarte d'office, prétextant du service qu'elle effectue pour l'OTAN), et la production, à charge, d'un seul expert. De toute évidence, la Suisse ne dispose pas d'experts suffisamment qualifiés. La preuve par l'opinion "à distance" est un classique du genre quand on ne trouve personne de l'intérieur pour confronter la politique, ou la raison, d'un gouvernant. Jusque là, rien à dire, ou pas grand-chose.

 

Si vis pacem...

A la défense de Lutz Unterseher, son analyse se limite au besoin logistique de notre pays pour garantir la fameuse "police du ciel", soit le minimum syndical en temps de paix. Or, la réflexion de l'armée de milice d'une petite démocratie indépendante se situe bien au-delà, qui refuse de confier à ses voisins la sécurité de la paix et préfère se garantir elle-même de la pérennité de ses libertés; les guerres mondiales ne sont pas si loin.

Il s'agit ici d'une question essentiellement idéologique. D'un côté, l'internationalisme européiste, qui se persuade, 70 ans après la guerre la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité, 20 ans après la chute du mur et le début de l'écrasement des souverainetés nationales, 10 ans après la fin de la guerre des Balkans, 4 ans après la Géorgie, 2 ans à peine après la mise à sac du pourtour sud de la Méditerranée, en plein milieu d'une guerre économique et politique de 20 ans contre notre pays, que l'Europe vit une période de paix sans précédent depuis la naissance de l'idée 'magique' de la construction européenne... Les lendemains se remettant à chanter, la Suisse n'aurait ainsi plus le droit de craindre ces grands-chantres de l'institution d'une paix perpétuelle par l'union obligatoire des peuples et la fusion des nations. Par conséquent, le désarmement est de rigueur. Pourtant, il y a tout juste cent ans, dans les tranchées aussi l'on chantait des comptines populaires sur l'air de la Der des Der.
De l'autre côté, une prudence de tradition, celle du plus sage des trois petits cochons, qui prend acte des gestes d'impatience des puissants suite à de simples choix démocratiques d'un confetti alpin d'à peine huit millions d'âmes et se dit qu'en matière de liberté, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Réserve, sagesse et neutralité qui ont plutôt bien réussi à la Suisse jusqu'ici et pourraient certainement  rendre encore quelque éminent service à l'heure où l'Europe prend feu à ses extrémités.

Disons-le au fond, c'est moins la manière que le principe d'une défense nationale indépendante que la gauche internationaliste cherche à nous reprocher. Vouloir être libre par soi-même, c'est refuser que quelqu'un d'autre vous impose sa vision de la liberté, c'est refuser une confiance aveugle envers ce grand ami de l'extérieur auquel ils se sont livrés, se livrent, au cours de l'histoire, avant d'admettre du bout des lèvres, que celui-ci, celui-là, était un abominable tyran.

Ce principe est proverbial, que l'on cherche pourtant à nous faire oublier, sinon 'désaimer': Si tu veux la paix, prépare la guerre. Pas la "police" civile du ciel, la guerre !

 

Expertise

Ensuite, ces avis d'experts, livrés par encarts de 40 secondes à la télévision, ne valent que ce qu'ils valent et cela que pour un temps. M. Unterseher retournera à ses conférences, la décision d'avoir désarmé restera. Que l'Ukraine, par exemple, soit sur le point de perdre le tiers est de son territoire, parce que son armée est matériellement incapable de déloger quelques agitateurs équipés de cocktails molotov, devrait pourtant nous faire réfléchir.

Au lendemain du 9 février, gauche et PLR ont assez habilement appelé l'UDC à assumer ses responsabilités. Mais qui demandera au PS, aux Verts et consorts d'assumer les leurs quand résonneront les bruits de bottes étrangères sur la place fédérale ? Et qui est assez clairvoyant pour nous assurer que cela n'arrivera jamais, M. Unterseher ?

M. Unterseher, de l'aveu même du Temps, est une créature du parti social-démocrate allemand, ce même parti qui veut mettre la Suisse au pas sur les terrains bancaires, fiscaux, économiques et politiques; faire de notre pays une sorte de territoire autonome de l'Union européenne en somme. Lutz Unterseher est conseiller personnel du rapporteur, socialiste, au budget de la défense allemande.

Au lendemain de l'échec de l'initiative du GSsA de 1993 "pour une Suisse sans nouveaux avions de combat", la gauche suisse l'embauche pour plancher sur une initiative du PS pour la diminution de moitié des effectifs de l'armée. En 1995, Unterseher publie "La défense nationale suisse : un modèle pratique pour l'avenir : expertise". En 1997, le PS lui commande une étude. En 1998, le PS sort un document de principe intitulé: "Pour une politique de paix et de sécurité efficace faisant partie d'une politique extérieure solidaire."

En 2001, le PS accentue son propos sur la paix avec un document intitulé: "Contribution du PS au renouvellement de la politique de paix et de sécurité de la Suisse au début du 21ème siècle." La même année, les initiatives "pour une Suisse sans armée" et "pour un service volontaire pour la paix", déposées en 1999 par le GSsA, échouent là où Armée XXI réussira parfaitement, faisant passer le contingent de 524'000 hommes à 80'000.

Nouvelle expertise d'Unterseher en 2004, le DMF ne manquera pas d'ironiser d'ailleurs sur le fait que "pour la première fois depuis longtemps, le PS s'est clairement exprimé en faveur de la défense nationale." 2005, 2006, 2007, nouveaux documents du PS. Entre 2005 et 2008, les socialistes aligneront près d'une trentaine d'actes parlementaires pour internationaliser l'armée ou demander la réduction de ses effectifs (dès p. 30).

En 2010, le PS intègre à ses statuts la suppression pure et simple de l'armée et sa volonté de confier la défense du territoire à une force internationale:

"Notre vision est que les armées nationales soient remplacées par un système collectif de protection de la communauté internationale.

[...] Les dépenses actuelles pour l'armée suisse doivent être entièrement réaffectées à la promotion internationale de la paix. Une abolition de l’armée par la Suisse serait aussi un signal fort au retentissement mondial qui lui faciliterait une politique internationale de paix crédible." (source)

En 2011, le PS demande à Lutz Unterseher "d’esquisser dans une expertise, un nouveau modèle d’armée pour la Suisse, qui fasse sens, aussi bien sous l’angle de la politique de sécurité que sous celui de la politique financière." L'expertise en question tient en quelques points: 10'000 hommes suffisent largement, un remplacement des Tigers n'est pas nécessaire, l'armée doit se consacrer aux missions militaires à l'étranger.

"L’armée conserve deux missions: le contrôle de la souveraineté aérienne au dessus du territoire national par un contrôle aérien actif et la mise à disposition de contingents de troupes pour des missions de rétablissement et de maintien de la paix au service de la communauté mondiale afin de s’impliquer dans les évènements internationaux et d’assumer sa part de responsabilité."

La raison fondamentale d'un tel désarmement repose sur une conviction d'une naïveté et d'un optimisme confondants:

"Aucune menace militaire n’est actuellement dirigée contre la Suisse. Il est tout simplement inimaginable de penser qu’à l’avenir une telle menace pourrait venir des pays européens voisins."

L'homme moderne est trop évolué pour connaître à nouveau la guerre. En outre, si la Suisse cesse de résister, elle connaîtra la paix miraculeuse dont jouissent ses voisins européens, et dont, de toute évidence, elle continue d'ignorer les innombrables bienfaits... Et c'est à la Suisse que l'Europe veut donner des leçons de paix ! Cette culture de la capitulation érigée en dogme n'est pas à distinguer, par exemple, du récent appel de Christian Levrat à reprendre les négociations d'adhésion à l'Union européenne pour éteindre l'ardeur de la décision populaire du 9 février. Il faut solder le compte de la Suisse !

En 2011 toujours, dans une interview au Tages Anzeiger, Unterseher explique qu'il a exclu de son étude tout scénario défensif de la Suisse, laquelle, selon lui, ne peut pas être menacée. Il ajoute encore vouloir réduire l'artillerie et les chars à un minimum vital de 70 pièces pour n'assurer que "les opérations de maintien de la paix à l'étranger". L'allemand - qui ne nous explique pas pourquoi le maintien de la paix, si important à l'étranger, perd ainsi toute valeur à l'intérieur - ne conçoit l'existence d'armée souveraine que dans la perspective d'une paix mondiale globalisée, imposée comme une évidence à la nature humaine pour l'éternité.

La guerre est finie pour toujours, mais la gauche ne désarme pas, en 2013, c'est l'initiative "Oui à l'abrogation du service militaire obligatoire" qui échoue devant le peuple. En 2014, tombe le référendum sur l'achat du Gripen, qui ressort-on pour l'occasion ? Lutz Unterseher... Et il ne s'agit là encore que d'un résumé.

Ce n'est pas le PS qui le produit, mais la télévision d'Etat, comme expert unique, pour régler la question dans un sujet de 13 minutes.

Alors, à votre avis, Ueli Maurer a-t-il eu raison de réagir ?

3 commentaires

  1. Posté par Robin Udry le

    La campagne contre l’achat du Gripen n’est rien d’autre qu’une étape supplémentaire pour supprimer l’Armée suisse en l’affaiblissant jusqu’au point de non-retour. La gauche veut utiliser le vote des Suisses pour obtenir ce qu’elle cherche depuis près de 30 ans: la suppression de l’Armée, puis la conclusion d’un accord de défense avec un pays étranger, et finalement l’adhésion à l’Union Européene…..Dire non au Gripen, c’est dire oui à la gauche….pensez-y le 18 mai…..

  2. Posté par Ueli Davel le

    Assez des journaleux vendu au « Grand Empire socialiste europèens »

  3. Posté par P.M. Vergères le

    Il est bon, pour ces journalistes enfermés dans leur tour d’ivoire, de se prendre de temps en temps une bonne droite dans les dents. Mais il est vrai que, dès que cela arrive, c’est le psychodrame. Ils ont vraiment de la peine à supporter ce que, eux-mêmes, infligent à longueur de temps à d’autres. Si cela arrivait plus souvent, ils se permettraient certainement moins de coups bas. A force de vouloir paraître pour des « gentils » nos personnalités politiques sont devenus des pantins tout secoués dans des émissions ouvertement gauchisantes.
    Alors, oui! Ueli Maurer a eu raison. Et qu’il continue.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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