L’erreur de la tyrannie molle, un concept au service des Maîtres

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

Beaucoup d’observateurs en viennent à considérer que la France évolue vers la tyrannie. Comme ils ont peur de choquer, ils nuancent leurs propos et ajoutent que nous sommes, nous allons vers une théorie « molle ».

 

Nous pensons qu’ils se trompent; et qu’en se trompant, ils favorisent l’extension du système qu’ils épinglent comme une tyrannie molle. C’est une tyrannie dure, féroce, que celle que nous vivons, elle touche tous les domaines de notre vie, elle s’adresse à tous les aspects de la vie sociale, politique et économique. Simplement, comme elle ne se donne pas comme physiquement violente, les observateurs ont du mal à en faire passer l’idée. Une tyrannie qui se manifeste au niveau le plus profondément humain, l’âme, la psyché, le savoir, la croyance est terrible car elle est tout sauf évidente; elle touche à nos structures constitutives.

On est prompt à rappeler que l’homme n’est pas une bête, que c’est un être pensant, mais, quand il s’agit de démystifier la tyrannie, on écarte ce qui se passe au niveau de la pensée, au niveau de la tête et on en reste aux analyses classiques en terme de violence physique. Bref, pour juger, on fait en sorte de passer à côté de l’essentiel. Et cet essentiel, c’est le viol, le mensonge, la manipulation de ce qui est le propre du sujet humain.

Ceux qui caractérisent le système comme « tyrannie molle » sont complices des tyrans car ils concourent à détourner l’attention ; ce faisant, ils le perpétuent, voire favorisent sa diffusion et extension. En effet, faute d’analyser, de préciser et de faire toucher du doigt la réalité originale de cette tyrannie, tout ce qu’ils font, c’est susciter des haussements d’épaules. Les gens disent: ce sont des illuminés, on ne vit pas en régime de tyrannie. Tout se passe comme si, en désignant avec le doigt quelque chose de faux, la tyrannie classique, ils déconsidéraient les analyses des critiques du régime. On crie au loup, là où il n’y a pas de loup, ce qui empêche de voir que la menace est plus subtile, elle est incarnée par les serpents qui s’insinuent, cachés dans les méandres des esprits.

Il faut, sur beaucoup d’aspects, des thèses révolutionnaires pour prétendre mener un combat social à notre époque. Rien n’est plus comme avant à cause des découvertes sur la psyché humaine, sur le langage, la disjonction entre les représentations et le réel, la propagande, les médias de masse, la prédominance du désir sur les besoins, sur la fonction du symbolique et sa constitution, etc. La liste serait longue qui se voudrait exhaustive sur ce sujet de la « modernité » du monde.

Les élites dominantes ont accès à des savoirs dont l’existence est dans la plupart des cas inconnue du grand public; nous ne parlons pas du contenu des savoirs, nous parlons du fait que les élites, sans posséder ce savoir, savent qu’il existe et qu’ils ont les moyens de se le payer et de le faire travailler pour eux. Madame Bettencourt ne sait pas comment on peut baiser les ménagères qui achètent les produits L’Oréal, non elle se paie les meilleurs persuaders. Ce sont ces savoirs qui, insidieusement, sont mis en œuvre, souvent par « persuasion clandestine » afin de mater les gens, de les briser, de faire en sorte qu’ils cessent d’être eux-mêmes, et tout cela, non seulement à leur insu mais, et c’est le comble, dans la jouissance, dans la jubilation. Car l’originalité de notre époque est cette incroyable renversement: cocus mais contents; ils sont en….s, et ils en jouissent. Passez la vulgarité, mais elle s’impose. D’ailleurs, on vient de reconnaitre la valeur sociale, civilisatrice, universelle de l’en….ge.

Nous avons maintes fois abordé la question des inégalités en expliquant que les inégalités les plus graves n’étaient pas celles de l’accès aux richesses et aux revenus, mais celle de l’accès au savoir.
Nous avons indiqué que l’un des ressorts de l’impuissance des gens de bonne volonté,  c’est le développement inégal généralisé. Le monde a avancé trop vite; les découvertes ont été rapides et nombreuses et complexes, elles n’ont pas le temps de se diffuser. Elles restent maintenant l’apanage de spécialistes de plus en plus spécialisés qui, au lieu de mettre leur savoir au service de la société, en font simplement du fric. Ils en font du fric en mettant leurs connaissances, non pas au service du progrès, mais au service des Maîtres, afin que ces Maîtres retournent le savoir libérateur en son contraire, un instrument de domination. Le retard des structures soi-disant de progrès et de contestation est considérable ; à un tel point que c’en est pitoyable. Que dire de la compréhension du monde affichée par les partis politiques, par les syndicats, par les journalistes? C’est à pleurer.

C’est pour cela que la grande question « que faire » est ouverte et reste sans réponse. Le savoir, la compréhension, qui seraient nécessaire à l’action font défaut. Tels Don Quichotte, ceux qui se révoltent ne combattent que des moulins. Sous cet aspect, il n’est que de voir l’occultation totale, l’escamotage de ce qu’est réellement la Crise, de ses causes et, bien sûr, de son mode de traitement qui vise à replonger les classes moyennes dans la régression et l’obscurantisme. Processus dont les structures, même celles dont la vocation est la contestation, sont complices.

Nous en sommes au point où, paradoxe, pour entamer le bataille, il faut d’abord s’attaquer aux opposants anciens. Pourquoi? Parce qu’ils mystifient, ils détournent les énergies, ils les conduisent dans l’impasse. Ce n’est plus un hasard si chaque fois qu’il y a une révolte, provoquée par le vrai refus, cette révolte devient spontanée et court-circuite les soi-disant professionnels de la contestation. Et ce n’est pas un hasard si la stratégie des dominants est toujours la même : ramener les révoltés, les contestataires,  dans le rang de la contestation institutionnelle. C’est en ramenant à chaque fois les mouvements de révolte vivante dans les bras, sous le contrôle, des organisations mortes, zombies et sclérosées, que l’on désamorce et émascule les mouvements.

Le savoir dialectique, révolutionnaire progressiste a mis ses découvertes au service de la mort, de l’arrêt de l’histoire. Parce que ce savoir est devenu lui aussi marchandise dans la main de mercenaires de la reproduction sociale.

Le terrorisme en matière politique, géopolitique et militaire, est un produit. C’est le produit de la dissymétrie entre les ressources d’armement des uns et les modestes ressources des autres. Mais c’est aussi autre chose, c’est la manifestation des forces de vie, de souffrance, de refus, face au linceul dont certains voudraient recouvrir le monde global. En ce sens, Poutine, par exemple, est un terroriste. Il refuse l’ordre américain qui, depuis des années, cherche à l’encercler, à faire rentrer dans l’Otan et l’Europe les ex-satellites de l’URSS. Il ne joue pas le jeu, il ose dire aux occidentaux, pourquoi l’Ukraine ne doit, elle, pas être partitionnée, vous qui avez bien partitionné la Serbie et le Kosovo!

Nous pensons que le terrorisme est le nouveau mouvement de l’histoire, c’est celui  de l’incarnation des forces négatives, lesquelles ne peuvent plus se manifester au même niveau que les forces dites positives. La lutte contre la domination ne peut plus, compte tenu de la sophistication des pouvoirs en place et de leurs armes, se situer au niveau des structures et pratiques connues. Ces structures et pratiques connues ont été retournées, mercenarisées. Elles sont devenues des UMPS, des CFDT, des artistes, philosophes, journalistes à la soupe.

Sous cet aspect, l’évolution de Mélenchon et de Marine sont significatives. Ils sont obligés, par volonté de puissance de leur dirigeants, qui eux aussi veulent des voitures avec chauffeur, ils sont obligés de se désulfuriser. De rentrer dans le rang et ainsi d’avaliser nolens volens, à leur insu, ce contre quoi ils sont censés lutter. On le voit par exemple sur le combat majeur, le seul qui compte, le seul qui permettrait à la France, de retrouver ses propres déterminations: le combat pour la sortie de l’euro. L’ordre de la monnaie commune et unique est un ordre qui met tout en ordre, tout aux ordres, des Allemands d’abord, des kleptos ensuite.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.