L’homme universel

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

La théorie du genre est un appel au meurtre.

Son projet est de tuer l'homme réel pour le remplacer par l'homme universel.

Ce qui frappe dans les combats récents qui se sont déroulés en France, c'est l'absence de la classe politique d'opposition. Elle n'est apparue que marginalement, presque, peut-on dire, à titre personnel. Cela avait déjà été le cas lors des premières affrontements sur le mariage homosexuel, les leaders avaient pris soin de se tenir à l'écart aussi bien du débat que du combat. L'une des interprétations que l'on peut avancer est que ces politiciens raisonnent en terme de clientèle, ils veulent continuer de plaire ou tenter de plaire à tout le monde et ils préservent leur potentiel. C'est une possibilité et c'est même, au niveau de la surface, la plus communément admise.

 

Nous pensons qu'il faut accepter d'envisager d'être plus pessimistes: sur le fond, le statut même de politicien conduit à être constructiviste, c'est à dire à prétendre produire une société nouvelle, une population nouvelle, des citoyens nouveaux, et, par extension, des hommes nouveaux. Ce n'est pas le socialisme qui conduit à cette prétention, c'est le Pouvoir. Même VGE  voulait changer la France et les Français. Il aurait mieux fait de changer lui-même, mais ceci est une autre histoire.

 

Il est évident que la tentation est poussée à l'extrême chez les socialistes, ou plutôt non, elle n'est pas poussée à l'extrême comme elle le fut par les communistes, les socialistes n'ont pas encore réintroduit les goulags, exterminé les récalcitrants. Mais disons qu'ils la poussent à l'extrême « soft », par la dictature molle, le lavage de cerveaux, la réécriture de l'histoire, les falsifications mémorielles, etc.

 

Attendons de voir ce qui va être dit à l'occasion de la célébration des 100  ans de la guerre 14, nous sommes prêts à parier que nos politiciens vont s'octroyer le droit de réécrire l'histoire et de nous présenter cette guerre d'une manière telle qu'elle servira les propagandes européennes du type: vous voyez, plus jamais cela! Vous voyez où conduit le nationalisme!  Et ils ajouteront, pour le « plus jamais cela », vous devez tout accepter, baisser la tête et dire merci. Hélas pour eux, la guerre 14  n'était pas une guerre produite par les nationalismes, mais par… la mondialisation et la lutte pour l'hégémonie dans cette mondialisation.

 

Ma petite conclusion d'étape est que changer la société, changer les citoyens et finalement changer les hommes eux-mêmes est une prétention politique commune à tout l'échiquier, mais que les socialistes sont en train de pousser deux degrés plus loin.

 

Le premier degré consiste à vouloir changer les institutions, les fonctionnements, les structures, les principes d'action, l'homme, le citoyen, etc. nous n'insistons pas car notre propos ne se situe pas en ce domaine.

 

Le second degré consiste à vouloir changer la conception même de l'Homme, de l'Humanité, à imposer, par les endoctrinements, les éducations, les lois, une nouvelle Idée de l'Homme.

 

Pour faciliter la compréhension, nous dirions qu'avant, dans les degrés antérieurs, un et deux, on se bornait à changer le contenu des ordinateurs et les applications, mais que maintenant, on veut changer la logique même de l'ordinateur, son système d'exploitation, ce qui fait qu'il est ce qu'il est.

 

Confisquer vos avoirs, modifier les façons de faire, tout cela n'est que demi-mal, si on peut dire, mais eux, ce qu'ils veulent, c'est gommer, effacer des siècles et des siècles de culture, de vécu transmis, de sélection et d'adaptations, ils veulent faire tabula rasa, table rase.

 

Celui qui a le mieux et le plus clairement exprimé cette volonté est Peillon dont le but est: « d'arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».

 

Personne n'a relevé, du moins au niveau grand public. On a cru que les propos de Peillon s'inscrivaient dans le cadre de la rengaine égalitaire et qu'en fait, ce qu'il visait, c'était la réduction des inégalités d'accès au savoir. Pas du tout, car il faut aller plus loin que l'égalité, il faut aller chercher du côté de la liberté. Ce que veut Peillon, c'est un homme qui échappe au déterminisme, un homme qui n'a pas de passé, pas de race, pas de famille, pas de nation, bref, un homme sans racine qui soit un tableau ou une mémoire vierge dans laquelle, sur laquelle les pouvoirs socialistes vont pouvoir écrire ce qu'ils veulent et bien sûr ce qu'ils considèrent comme la vérité.

 

Taubira est revenue sur ces propos de façon encore plus nette: « l'éducation vise à arracher les enfants aux déterminismes sociaux et religieux et d'en faire des citoyens libres ». Ainsi, c'est bien de liberté qu'il s'agit et la conception sous-jacente est que tout ce qui nous détermine, nos racines, notre famille, notre région, notre race, notre religion, notre sexe, est un obstacle à notre liberté. La personne libre est donc celle qui n'est rien, qui n'a pas d'identité, finalement, c'est celle qui n'est, Taubira ne le cache pas, c'est celle qui n'est qu'un citoyen. L'homme libre, c'est le « voyageur sans bagages », tiens, pourquoi pas le socialo-bobo, le bourgeois bohème du 9ème arrondissement à Paris!

 

Avec eux, le projet d'une vie est radicalement modifié, il ne s'agit plus de réaliser ce que l'on a en soi, d'advenir, de réussir cette synthèse extraordinaire et merveilleuse de ce que l'on a acquis dans les gênes de son espèce, par ses parents, dans sa famille, dans sa région, dans son pays, dans sa propre histoire, dans son contact avec le monde et, à partir de là, de dépasser ; non, le projet d'une vie, c'est d'être un espace vierge sur lequel « ILS » peuvent écrire ce qu'ils veulent avec l'aide de leurs complices qui veulent que nous nous définissions par ce que nous consommons, par les signes, par les marques que nous achetons. Bref, ils ne veulent plus que nous soyons des ETRES, ils veulent que nous ne soyons que des AVOIRS. Ils veulent des hommes -mais doit-on encore appeler des hommes?- ou des zombies, qui obéissent et qui se remplissent et qui achètent.

 

C'est à la lueur de pareilles analyses que l'on comprend mieux la volonté de mettre en œuvre la fameuse « théorie du genre ». Car que dit la théorie du genre ? Elle dit qu'il n'y a nulle détermination à être un homme ou une femme, la nature ne compte pas. Etre un homme ou une femme, n'a rien à voir avec les hormones, les particularités naturelles, les acquis et adaptations de l'espèce, non cela n'a à voir qu'avec la culture, l'éducation. Certains ajoutent même que finalement tout cela n'a à voir qu'avec la domination capitaliste. Cela signifie que l'homme, l'être humain, est abstrait, il est  universel, le même partout. Et si on modifie son éducation, ses apprentissages, bref si on le reprogramme, alors il n'y aura plus ni différence, ni différences, alors, nous serons tous libres d'être… d'être rien, ou tous les mêmes, de bons citoyens socialistes. Le rêve égalitaire tourne au délire, au cauchemar car de la singularité,  de la spécificité, de l'identité de l'individu qui se projette dans le monde et même dans l'universel, on passe d'abord à l'égalité imposée, puis à l'étape suivante, la mêmeté, le clonage, l'uniformité. L'égalité, c'est quand nous sommes tous égaux, la mêmeté, c'est quand nous sommes tous pareils. L'homme, l'être humain, est un processus qui vient de loin,  voilà ce qu'ils nient. Eux ne connaissent que deux dimensions, que la surface, ils occultent la troisième dimension, l'intériorité, l'antériorité. L'épaisseur. L'homme, c'est ce mouvement qui sait d'autant mieux où il va qu'il a accepté et reconnu  d'où il vient.

 

Le Pouvoir socialiste se fixe pour objectif de faire violence à la Nature au nom de son idéologie. Attention, au nom de la même idéologie, il y a une nature à laquelle il ne faut surtout pas faire violence, c'est la nature des demeurés écolos! A notre avis, l'homme tel qu'il est méritera bientôt la sollicitude de ces écolos car ce sera une espèce en voie de disparition. Le socialisme est l'ennemi de l'adaptation, on l'a vu en économie, c'est lui qui a empêché la France de s'adapter à la concurrence internationale puis mondiale; le socialisme met du fixe idéologique sur du vivant, sur du variable, le socialisme c'est la concrétisation de l'instinct de mort de nos sociétés. Le socialisme c'est,  par un renversement dont sa pensée a le secret, l'immobilisme de la mort qui se donne le nom de marche du progrès.

 

Vous comprenez, nous l'espérons, pourquoi ils réforment l'école, la famille, la parentalité, les livres scolaires, le langage administratif. On a commencé par changer les mots, à en imposer certains et en interdire d'autres. On va réécrire les livres, refaire les tableaux de maîtres, les opéras, comme on l'a fait avec le tabac puisque l'on  refait des films en gommant les cigarettes, et comme on fait avec la ceinture de sécurité puisque maintenant on refait des films où les gangsters s'enfuient après avoir pris soin d'être en règle en mettant leur ceinture!

 

Incroyable prétention dont le but est la venue immédiate de l'homme universel, la destruction de l'homme réel, emmerdeur et empêcheur de gouverner en rond; de cet homme universel que les kleptos, les ultra-riches -qui eux, gardent leur différence bien sûr-, appellent de leurs vœux car finalement, ces hommes universels seront des moutons. Des moutons ou des ânes attachés à la roue qu'ils feront tourner, stimulés par l'envie de pouvoir acheter des produits de marque, n'est-ce pas, et ainsi exploités pour extraire le précieux liquide financier du puits de l'économie globalisée, standardisée de la mêmeté.

 

Toute classe politique a une tentation fasciste, elle prétend mieux savoir que vous, elle prétend vous forcer à faire ce qui ne vous convient pas, elle prétend que vous devez vous dévouer, vous sacrifier, pour une idée dont elle se prétend  détentrice,  elle prétend détenir la Vérité, voilà le grand mot, la Vérité. Ces gens  prétendent tous la détenir. Pourtant Jules Ferry, le grand fondateur de l'école socialo-républicaine détenait-il la Vérité universelle quand il a poussé à constituer un empire colonial que Hollande a été obligé de renier? Et nos zozos qui ont fait la guerre 14, puis celle de 40,  puis qui ont soutenu Pétain,  puis qui ont fait la guerre du Vietnam et celle d'Algérie, ils savaient? Et les imbéciles qui ont fait la monnaie européenne bancale pour laquelle une génération est sacrifiée, ils savaient?

 

Le Pouvoir, leur pouvoir, n'est qu'une succession d'erreurs criminelles, mais celle-ci, celle de l'assassinat des individus concrets au profit de l'homme abstrait universel, est l'une des plus graves. Elle touche au sens de notre vie, à notre capacité d'adaptation. Ces gens ont-ils réfléchi que si nos sociétés ont traversé les siècles, fait le parcours merveilleux qu'elles ont réussi à faire, si nous avons  survécu aux imbécillités des hommes politiques, si nous bénéficions de  tous ces acquis, c'est parce la société civile a fait son travail, elle a élaboré, elle a adapté, optimisé, elle a fait de son mieux par essais et erreurs, elle n'a pas attendu ces apprentis sorciers  pour s'élever peu à peu vers l'universel.

Car, comme d'habitude, les ignares confondent le progrès, qui est accompli pas à pas, prudemment, du bas vers le haut par la société, progrès qui est dans une certaine mesure une marche vers l'ouverture de l'universel, avec la négation du tabula rasa. Le progrès n'est pas négation, messieurs les zozos, mais dépassement, élévation, qui intègre et prend socle sur le passé.  Ces esprits qui pensent mal ne se contentent plus de défier l'intelligence, ils défient jusqu'à Dieu.

Bruno Bertez, 8 février 2014

 

 

 

2 commentaires

  1. Posté par Jan Marejko le

    Même Nietzsche n’a pas pensé à la nouvelle forme de nihilisme décrite ici. On n’arrête pas le progrès…

  2. Posté par Renaud le

    Très juste analyse qui s’achève par le mot Dieu.
    Ce que vous ne savez pas en Suisse c’est que ce mot est tabou en France dans le débat public.
    Ce en quoi la France n’a pas tout à fait tort puisque l’employer c’est déjà le pervertir.
    Il n’est pas faux non plus de dire que l’homme libre est délivré de tous les déterminismes, naturels et culturels.
    Ce qui est faux c’est de faire croire que la délivrance des déterminismes se réalise sur le plan du monde, dans le monde plat qui a évacué la transcendance, la verticalité de l’être.
    Il n’est pas faux de dire que la libération réalise l’unification des niveaux de l’être par le mariage de l’immanence et la transcendance en l’être pur.
    Ce qui est faux c’est de faire croire que la libération, l’unification passent par la négation des niveaux, l’arrachement des déterminismes et la suppression des différences.
    La négation des niveaux de l’être, des déterminismes et des différences est ce qui conduit à l’enfer.
    La différence entre l’enfer et la paradis est si subtile que monsieur Peillon ne l’a pas remarquée, probablement parce qu’il est athée.

    Ce que le politique peut ambitionner c’est de réaliser les conditions de la libération de l’homme mais quand il se propose de libérer l’homme c’est alors l’enfer du totalitarisme.

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