Immigration : Optimistes naïfs et pessimistes réalistes?

Uli Windisch
Rédacteur en chef

Il ne suffit pas de prôner le Bien en dénonçant le Mal que l’on cherche chez les Autres, chez les Autres internes ici, soit les nationaux, considérés trop souvent comme des citoyens victimes de préjugés et qui cherchent des boucs émissaires de siècle en siècle. Et si les préjugés n’étaient pas que là où les cherchent les membres de ces Commissions, même fédérales ?

 

Comme signalé il y a quelques mois ( Le voile : Vaine polémique ? 1.) nous allons aborder successivement les dimensions les plus diverses du phénomène de l’immigration  en  présentant le panorama le plus complet possible et cela avec un fil conducteur spécifique. Chaque thème est abordé en étant situé entre les deux perceptions de l’immigration  les plus opposées : les perceptions les plus optimistes et les plus pessimistes.

L’immigration est certainement l’un des thèmes de société les plus difficiles à traiter parce qu’il est presque automatiquement abordé selon des a priori idéologiques et non avec une volonté d’objectivité aussi grande que possible appuyée à chaque fois sur des données empiriques solides et pertinentes.

Du côté des visions les plus pessimistes une série d’analyses et d’auteurs parlent par exemple de « Remplacement de population »- le remplacisme- et parfois même de la nécessité d’une politique migratoire qui envisage le Retour des immigrés dans leur pays d’origine. Ce genre d’approche est généralement très vite disqualifiée en termes politico-idéologiques par les approches opposées, soit par les approches optimistes, naïves, idéalistes, politiquement correctes, elles-mêmes qualifiées parfois de bisounours par le camp adverse. On n’échappe pas à cette lutte idéologique en traitant de l’immigration.

Nous essayerons de faire la part des choses ! Mission impossible ? Le pari mérite d’être risqué mais on sait la force, l’étendue et la puissance de feu médiatico-politique du politiquement correct et son monopole; il ne tolère guère des analyses plus pessimistes, moins enthousiastes, voire réalistes. Ces dernières sont immédiatement et systématiquement qualifiées de conservatrices, réactionnaires, xénophobes, racistes et last but not least d’extrême droite, l’accusation qui tue ! Qui devrait tuer. Mais, surtout, qui bloque toute approche complexe et multidimensionnelle, ce que nécessite par définition un phénomène comme celui de l’immigration, qu’on le veuille ou non.

Notre point de vue : il y a sans aucun doute des éléments d’analyse adéquats et même une part de vérité dans chaque approche et ces différentes analyses ne sont exclusives que pour des raisons idéologiques, alors que des fusions enrichissantes entre certains éléments de chacune d’elles permettraient sans aucun doute de mieux comprendre et expliquer le phénomène migratoire.

Cette situation est en effet très fréquente dans les sciences sociales : les luttes entre approches différentes, concurrentes, sont bien souvent davantage fonction de critères idéologiques que de la puissance explicative de chacune d’elles. En bref, l’emporte souvent non la meilleure compréhension et explication du phénomène que celle qui convient le mieux au politiquement correct et au prêt-à-penser du moment.

Quant à la lutte proprement politique autour du phénomène migratoire, elle n’obéit pas non plus aux critères de vérité, mais à de purs rapports de force, même si ces rapports de force finissent par devoir intégrer des données déplaisantes, au risque de voir tel ou tel parti politique s’effondrer, à force de nier la réalité, et entraîner l’ascension de nouveaux mouvements et partis politiques, un peu vite et simplement qualifiés alors de « populistes ». Cette dernière qualification relève d’ailleurs elle aussi de critères davantage idéologiques que d’analyses courageuses intégrant l’ensemble des dimensions et réalités, même celles qui sont en contradiction avec les croyances bien-pensantes.

 

 

Les auteurs qui prônent un retour d’une partie des immigrés dans leur pays d’origine avec des aides économiques sur place sont elles aussi aisément considérées comme relevant du conservatisme ou  « l’extrême droite », alors que l’on oublie que dans les années 1960, 1970 et même 1980 le mythe du Retour était fortement présent chez les immigrés eux-mêmes, dont l’espoir suprême était de gagner de l’argent pendant quelques années et de retourner ensuite dans le pays d’origine. Cela est un fait indiscutable et multiplement prouvé. Aurait-on suivi et appliqué cette vision de l’immigration, il y aurait peut-être aujourd’hui moins de problèmes dans les pays d’immigration et une situation économique plus favorable dans les pays d’émigration. Une telle thèse doit-elle vraiment être immédiatement qualifiée idéologiquement avant même d’avoir été examinée et discutée ?

 

 

 

De même, à propos d’une autre perception, celle de ceux qui se définissent comme « Identitaires », à savoir attachés à leur identité nationale et bien décidés à lutter pour son maintien et sa défense, et simultanément, par exemple contre la volonté de certains responsables musulmans d’imposer leur identité, religieuse notamment, à leurs coreligionnaires immigrés et parfois même, dans une version radicalisée et fanatique, aux pays dans lesquels ils ont immigré, est-ce une nouvelle fois et nécessairement être réactionnaires, d’extrême droite, etc.?

Il faudra examiner de manière plus nuancée et approfondie ces nouvelles formes d’affirmations et de revendications  identitaires avant d’établir un diagnostic, tout en soulignant déjà que si naissent de tels mouvements dits identitaires c’est sans doute aussi parce que des nationaux, « de souche », sont révulsés par la façon dont certains de leurs concitoyens sont prêts à brader leur propre  identité .

Pour ce qui est de la thèse du Remplacement de population, à savoir que l’immigration massive finira par  remplacer la population et la culture d’origine d’un pays par les populations et les cultures de l’immigration, elle est elle aussi  immédiatement disqualifiée et  taxée d’extrême droite, alors qu’elle comporte elle aussi une part de vérité et peut parfaitement préfigurer une réalité à venir si l’immigration se poursuite au rythme actuel. Un seul exemple : aux USA les Blancs seront bientôt minoritaires même si les vagues d’immigrés, surtout de clandestins, dopent l’économie. Sait-on qu’en 2012 50% des enfants de moins de 5 ans sont issus des minorités et qu’en 2060, selon des projections faites par des spécialistes, la population blanche américaine ne représenterait plus que le 43 %, contre 63 % actuellement ; que 353 comtés -sur 3143- comptent déjà une population majoritaire non blanche, etc., etc.( source : Pen Research Center). Il devrait donc être permis de soulever ce genre de questions sans immédiatement être rejeté dans les extrêmes les plus sombres. Raison de plus pour analyser plus en détail également cette thèse.

Pour ce qui est maintenant des thèses les plus optimistes- naïves, inconscientes et irresponsables dira le camp opposé- on pense évidemment en premier lieu à ceux qui nous disent sans cesse et inconditionnellement que « l’immigration est une chance pour nos pays », que nous leur devons l’essentiel de notre bien-être, etc, sans que ces « optimistes » ne nous parlent jamais des problèmes, difficultés et conflits liés à l’immigration. Pour eux tout est beau et rose avec l’immigration et ceux qui sont de plus en plus opposés à une immigration de masse ne sont que de sinistres xénophobes et racistes.

C’est à coup sûr parce que l’immigration comporte une forte dimension affective et touche aux dimensions les plus profondes de notre identité, que les oppositions sur le sujet sont aussi fortes et vives. Il ne suffit pas de prétendre que ce n’est là qu’émotion ; si émotion il y a c’est précisément parce qu’elle touche à ces couches profondes. Le nier ou ridiculiser cette dimension ne revient qu’à durcir les camps, voire à rendre la situation explosive.

Il en va de même des prises de position incondionnellement pro-immigrés et qui proposent sans cesse toutes sortes de nouvelles facilités et améliorations, unilatérales et générales, et cela dans tous les domaines de la vie quotidiennes pour les immigrés, sans jamais tenir compte du fait que les situations acquises par les nationaux l’ont aussi été suite à un très long processus et au travail et sacrifices de plusieurs générations.

Le fait de vouloir accorder la nationalité le plus facilement et le plus rapidement possible, voire automatiquement, en est un autre exemple. Une telle attitude crée de la crispation chez ceux qui ont l’impression que l’on brade ce qu’il ya de plus cher pour eux, un acquis auquel les nouveaux venus n’ont guère contribué. Tel est du moins le sentiment bien présent chez nombre de citoyens. Ne pas vouloir en tenir compte, pire s’en moquer, ne peut, une nouvelle fois, que produire des effets pervers et des tensions certaines.

Sur l’immigration, comme à propos de bien d’autres problèmes sociaux et politiques « chauds », il y a trop peu de vrais chercheurs et trop d’idéologues. Pour tenter de renverser le courant il faut sans cesse parler des situations et problèmes réels, en sachant que les faits seront vraiment têtus, surtout à la longue, sans pouvoir pour autant prétendre à une sorte de vérité absolue.

Parmi les prises de position les plus optimistes, dont on tentera également de faire un tour d’horizon plus complet et détaillé, on trouve aussi les fréquentes propositions de régularisation massive des clandestins, de facilitation de la naturalisation, de subventions massives à toutes sortes d’associations- dans certains pays en tout cas-  de crédits gigantesques pour une « politique de la ville », politique qui a été l’un des plus grands et couteux échecs dans plusieurs pays.

En France, le rapport dit Truot, du nom de son auteur ( rapport de Thierry Truot, remis le 11 février 2013 au gouvernement) a été vu par le camp opposé comme une vraie provocation par ses propositions les plus audacieuses et folles, disent certains, et à cent lieues de la perception de la très grande majorité de la population. La « question musulmane » devient ici une  « pure invention ». L’apprentissage du patriotisme, un anachronisme !, etc. L’égalité homme-femme ?  « Elle se réglera d’elle-même », etc., etc.

Un trait commun à ces thèses qui se veulent exemplaires, généreuses, ouvertes et humanistes, réside dans le fait que l’on ne tient aucun compte des effets de telles propositions sur les nationaux et même sur nombre de naturalisés : l’exaspération, la révolte et bien sûr la fuite vers des mouvements politiques radicaux que l’on se contentera de qualifier après coup de « populistes », et bien sûr une nouvelle fois d’extrême droite. Rien n’y fait ; on semble même prendre plaisir à provoquer le citoyen lambda. A ce propos, nombreux sont sans doute les lecteurs qui pensent à Victor Hugo : « le plus excellent symbole du peuple, c’est le pavé : on lui marche dessus jusqu’à ce qu’il vous tombe sur la tête ».

Parmi les prises de position les plus optimistes et politiquement correctes en Suisse, il faudra reprendre certains documents et thèses des Commissions fédérales contre le racisme(CFR)  et pour les questions de migration(CFM), dont les thèses, propos et recommandations vont très largement dans ce sens, comme d’ailleurs la composition de ces Commissions, dites pourtant fédérales mais qui ne comprennent et ne fédèrent nullement les perceptions et analyses multiples et contradictoires des migrations. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles certains acteurs  politiques exigent régulièrement leur suppression, du moins de celle contre le racisme, car elle ne tient guère compte non plus de toutes les connaissances acquises en la matière dans nombre de pays étrangers confrontés à ces mêmes  problèmes, concentrés que sont ses membres sur la traque des  traces dites de xénophobies et aujourd’hui de racisme, puisque cette dernière notion est devenue le terme consacré. Ne parlons pas de l’exclusion, bien sûr jamais admise, des chercheurs ayant des points de vue non politiquement corrects mais qui sont tout aussi soucieux de participer à la résolution de ces problèmes parmi les plus difficiles et menaçants pour le climat et l’équilibre politique du pays.

Dans ce genre de Commissions, le citoyen ordinaire est a apriori considéré comme presque inévitablement soumis à des préjugés, aussi bien hier qu’aujourd’hui. Un exemple de ce genre de constat : « Rien n’a vraiment changé, sinon les boucs émissaires. Il est donc bon de se poser  la question de savoir comment et pourquoi le regard change à l’égard de certains et pourquoi les préjugés se déplacent et se reportent sur d’autres. La société dans laquelle nous vivons ne peut-elle se passer de bouc émissaire ? » Editorial de la présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Tangram No 31 , Bulletin de la CFR,  juin 2013.

Quand abordera-t-on le phénomène des migrations sous l’angle multidimensionnel et complexe qui le caractérise plutôt que de créer de multiples Commissions abordant tel aspect partiel, partial et particulier avec en plus une très large majorité de membres sous l’emprise de l’une seulement des deux grands types d’approches distinguées, soit bien sûr l’approche des optimistes inconditionnels, naïfs, idéalistes et politiquement corrects, et qui, de par cette orientation participent, parfois inconsciemment, à la production d’effets contraires à ceux recherchés.

Il ne suffit pas de prôner le Bien en dénonçant le Mal que l’on cherche chez les Autres, chez les Autres internes ici, soit les nationaux, considérés trop souvent comme des citoyens victimes de préjugés et qui cherchent des boucs émissaires de siècle en siècle. Et si les préjugés n’étaient pas que là où les cherchent les membres de ces Commissions, même fédérales ?

Uli Windisch, 19 novembre 2013

Immigration : Série d'articles (3)

 

 

 

 

 

 

3 commentaires

  1. Posté par Michel de Rougemont le

    J’attends avec intérêt ces articles dans lesquels j’espère que les quatre aspects suivants pourront être abordés :
    • Démographique : y-a-t-il un chiffre en soi, au-delà duquel la proportion d’étrangers devient problématique ou inacceptable ?
    • Économique : l’immigration contribue-t-elle de manière positive ou négative au développement économique du pays ?
    • Social : l’immigrant prend–il la place de l’indigène pour occuper un emploi, un logement, ou pour émarger aux systèmes de protection sociale, amène-t-il de l’insécurité ?
    • Civilisationnel : les éléments plus ou moins fortement allogènes qui constituent la population étrangère mettent-ils en question, voire en péril, les modes de vie coutumiers de notre pays ?
    Ayant planché sur le sujet pour me forger mon opinion j’ose proposer une analyse que l’on peut consulter ici: http://blog.mr-int.ch/?p=966 avec un texte plus détaillé là: http://bit.ly/1iAsUA1

  2. Posté par Jovanovitch le

    Effectivement cela ne peut être amalgamé.
    Les mentalités romandes et alémaniques ne sont pas les mêmes. Différences entre cantons et entre régions. Les zones frontalières sont celles qui touchent les frontières reconnues d’un Etat. Si l’on considère les Accords Suisse-UE, tout pays de l’UE est par conséquent frontalier ! On ne peut pas amalgamer « frontalier-immigration » ! Par exemple 270’000 portugais immigrés résidents en Suisse, n’ont pas le même impact que 220’000 frontaliers, par définition « pendulaires » donc « non résidents ». Si vous supprimer les 220’000 frontaliers ils seront remplacés par 220’000 résidents pour qui il faudra construire les infrastructures nécessaires. Ce qui implique atteintes à l’environnement, coûts sociaux et énergétiques…on rejoint Ecopop, 43 ans après Schwarzenbach. Quand à la différence entre Romands et Alémaniques nous habitons la même maison : la Suisse ! Nous sommes une communauté de destin et, pour moi, celui qui l’a le mieux exprimé est Gonzague de Reynold dans son ouvrage « Conscience de la Suisse ».

  3. Posté par BB le

    J’aimerais que l’on fasse un distingo entre les Zones Frontalières ET les Romands et les Suisses-Allemands, parce que tt cela ne peut être amalgamé!

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