Le modèle allemand ?

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

Vous aimez l’ordre. Tout le monde aime l’ordre. L’ordre, c’est le désordre plus l’autorité. Pour passer du désordre que vous rejetez, à l’ordre, il faut qu’une autorité exerce sa force contraignante. Dans le cadre d’un système démocratique, si cette autorité est légitimée par une majorité, il n’y a aucun problème, en tous cas pour moi, je n’en vois aucun. En revanche, si cette autorité se situe à l’extérieur d’un système et qu’elle n’est légitimée par aucune consultation, alors là, je dis que nous sommes dans un cas de figure très différent, qui est plus proche de la violence que de la conduite démocratique des affaires.
Pour ma part, j’accepterais la Nécessité, la Loi, les lois de l’économie, les lois de la rareté, mais à une condition, ces lois doivent être au-dessus de nous, au-dessus des hommes, et non pas le résultat d’un rapport de forces. Je veux bien obéir à Dieu, à la rigueur, mais pas aux Allemands.

 

 

Déjà je considère que l'usage du mensonge en politique relève de la violence, les consensus sont obtenus par dol et tricherie, ce ne sont pas des consensus. La démocratie ne peut être défendable que si elle repose sur et suppose un citoyen éclairé. La démocratie est, en dernière analyse, un pari sur l'intelligence des citoyens. Pas sur leur abaissement, arriération.

 

Que dire de la supercherie qui a consisté à imposer une monnaie unique avec l'arrière-pensée que cette monnaie connaîtrait tellement de difficultés, qu'elle conduirait à l'unification politique dont les citoyens ne voulaient pas? C'est une violence.

 

Que dire de cette construction qui représente non pas une combinaison, une synthèse, une symbiose

des nations qui la composent, que dire de cette combinaison dans laquelle certains sont un peu plus égaux que les autres et, à la faveur des difficultés, s'octroient le droit de dire ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui doit être fait, ce qui doit être rejeté?

 

J'appelle cela de l'hégémonie, de l'hégémonie politique en Europe, et ceci a toujours été le véritable Projet allemand, l'hégémonie. Projet qu'elle a tenté de réaliser dans le passé par les armes, Projet qui est repris ensuite par la domination économique, sociale, financière.

 

La force du Modèle allemand, son ordre, séduisent certaines élites et bien sûr certaines franges de la bourgeoisie, ils infiltrent les sociétés étrangères. Ils les infiltrent d'autant plus facilement que l'ordre allemand permet de faire se tenir tranquilles les masses, les travailleurs, et évidemment les syndicats. L'Europe a été voulue comme une parade à la lutte des classes. Les promoteurs n'avaient pas prévu que cette lutte serait un jour dépassée. L'invocation du Modèle allemand permet de dire: « ce n'est pas  nous qui voulons vous laminer, baisser votre pouvoir d'achat, non, c'est la Nécessité européenne. »

 

Pour ma part, j'accepterais la Nécessité, la Loi, les lois de l'économie, les lois de la rareté, mais à une condition, ces lois doivent être au-dessus de nous, au-dessus des hommes, et non pas le résultat d'un rapport de forces. Je veux bien obéir à Dieu, à la rigueur, mais pas aux Allemands.

 

On voit bien la démarche allemande, la ruse pour exercer leur Hégémonie.

 

Quand cela les arrange, ils sont pour plus d'Europe, c'est à dire pour transférer plus de pouvoirs au niveau de l'UE.

 

Quand cela ne les arrange pas, ils font le chemin inverse, ils retournent à la décentralisation, au moins d''Europe. C'est à dire au rapport de forces individuel.

 

Ce jeu perpétuel n'est même pas dénoncé par les incapables prébendiers qui gouvernent.

 

Il faut, pour bien comprendre, transposer.

 

Les Etats-Unis sont le centre impérial du monde global et rien ne peut durablement s'opposer à eux, ils détiennent la monnaie de réserve, les systèmes de transfert, les systèmes de communication, les systèmes de contrôle et de renseignements et bien sûr,  la puissance militaire en cas de besoin. Même la Russie et la Chine sont des fantoches car les Trésors qu'ils ont accumulés sont des réserves en dollars que les USA peuvent nullifier d'un coup de clavier. Leur richesse, c'est du vent puisqu'elle dépend de l'ennemi, du compétiteur stratégique. Allez-vous opposer à quelqu'un qui détient vos économies!

 

C’est, transposé, la même chose en Europe. C'est un sous-système impérial dont le Centre est l'Allemagne avec ses alliés traditionnels, les Austro-Pays du Nord. Ils sont la clé de voûte du  système, l'anchoring du système. C’est la Buba qui porte les dettes des périphériques dans ses comptes Target 2, c'est le niveau des taux allemands, celui des Bunds qui est l'ancrage, le référent  des taux euros, etc.

 

En échange, les pestiférés, dont la France bien sûr, se doivent de laisser leurs marchés ouverts aux  marchandises allemandes, d'importer le chômage que les Allemands n'ont pas, détruire l'investissement, l'éducation de leurs enfants, etc.

 

Le critère de la compétitivité est une escroquerie intellectuelle, qui consiste à dire, battez-vous, faites la surenchère du moins-disant salarial, la surenchère de toujours-plus-de-productivité!

La compétitivité est relative, pas absolue, c'est un tonneau des danaïdes, c'est une vis ou un vice sans fin, c'est la roue que l'âne doit tourner avec ses œillères pour extraire l'eau du puits. A peine êtes-vous devenu compétitif que déjà vous êtes dépassé, il n'y a pas de limite. C'est un piège, un leurre, comme celui que l'on met devant les lévriers pour les entraîner à courir et les spéculateurs encaissent les paris. Et quand vous pensez être au bout de l'arbitrage international du travail ou, dans le cas présent,  de l'arbitrage européen du travail, alors, on vous colle une innovation majeure, un progrès technologique qui vous renvoie au chômage et à la répartition de la soupe populaire socialiste. Eh oui, vous n'avez pas assez travaillé, il faut retourner à l'école...

 

La compétitivité dont on vous rebat les oreilles au niveau européen est un attrape-nigaud. Jamais vous ne réussirez à rattraper l'Allemagne, son industrie a des dizaines d'années d'avance,  sa spécialisation économique est unique, elle n'est pas transposable. Son capital de machines, de savoirs, de réputation, sont hors de votre portée. Donner l'Allemagne en modèle est une opération idéologique, le modèle allemand n'est pas transposable, il n'y a pas de la place pour deux sur ce créneau, voilà ce que l'on vous cache. Et l'Allemagne veut qu'on l'imite parce qu'elle sait qu'en l'imitant, on est sûr d'échouer, et ainsi on ne remettra pas en cause son hégémonie.

 

Une véritable démarche européenne, comme le disait Raymond Aron, ne peut qu'être fondée sur la diversité et dès lors que l'on refuse cette diversité et que l'on veut faire passer le rouleau compresseur de l'unification, on débouche sur l'hégémonie.

 

Une précision, les bourgeoisies nationales kleptos et ultra-riches vous entraînent à un contresens, une mystification énorme, pour vous tromper, vous berner. Elles  mettent en avant les inefficacités du système français, son népotisme, sa corruption, sa gabegie, son recrutement inadapté des élites, son hypertrophie des fonctionnaires,  les délires du système scolaire,  les gaspillages de la répartition, bref,  ils mettent en avant tout cela, qui ne fonctionne pas, pour que vous fassiez l'amalgame, que vous jetiez le bébé avec l'eau du bain.

 

Ils espèrent que vous confondrez le tout avec la partie, que vous tomberez dans le piège de considérer que tout est mauvais en France alors que seule une partie est mauvaise, pourrie. Ils refusent les réformes les plus criantes comme celles de la fonction publique, de l'école, de la protection sociale, de la fiscalité, par lâcheté et clientélisme bien sûr, mais aussi pour maintenir l'amalgame, faire en sorte que vous mettiez tout dans le même sac et que, en vrac, vous disiez tout est à jeter, il faut faire comme les Allemands. La vérité est qu'avec un gouvernement courageux, compétent, il y aurait place en France pour des réformes,  qui rendraient inutile, ridicule, le modèle allemand, mais chut, c'est un grand secret, le secret de la classe politique et de ses alliés.

 

En fait, tout comme les émergents mondiaux, globaux, sont sous la coupe de bourgeoisies compradors qui font « suer le burnous » au profit des Américains, les bourgeoisies kleptos et ultra-riches européennes sont les compradors au service du Centre allemand.

Bruno Bertez, 24 septembre 2013

4 commentaires

  1. Posté par Christophe de Reyff le

    L’Allemagne exemplaire, vraiment ?
    Voyons encore ce qu’il en est vraiment de cette Allemagne, qui se veut donneuse de leçons aussi en matière d’énergie avec ses parcs solaires et éoliens ! Sa consommation de charbon n’est pas modeste, elle est passée de 72 à 79 millions de tonnes équivalent-pétrole (Mtep) entre 2009 et 2012, soit un accroissement de 10%. Cela est dû à la mise en route de nouvelles centrales électriques à charbon (lignite et anthracite), produisant à ce jour 45% de l’électricité allemande, une part prépondérante donc, et cela pour cause de fermetures progressives de centrales nucléaires. En comparaison, l’éolien contribue pour 8% et le solaire pour 5%, mais de façon aléatoire, selon les heures et les jours. Il faut, par contre, des centrales qui marchent en continu, jour et nuit, pour assurer la production en ruban, avec une puissance nécessaire de plusieurs dizaines de gigawatts tout au long de l’année pour couvrir la demande de base en électricité du pays ; ce que ne peuvent assurer ni l’éolien ni le solaire. Corrélées à cette augmentation du recours au charbon, les émissions allemandes de CO2 ont également crû, passant de 800 à 815 millions de tonnes de CO2 (MtCO2) de 2009 à 2012 (soit 10 tCO2 par habitant), alors que le but de tous les pays est de faire diminuer leurs émissions de CO2. Est-ce ainsi vraiment vouloir respecter Kyoto ? Les chiffres pour la Suisse sont de 0,14 Mtep de charbon et de 41,8 MtCO2 (soit 5,2 tCO2 par habitant). Il n’y a pas davantage de commentaires à faire ! Non, l’Allemagne n’est pas du tout exemplaire en la matière.

  2. Posté par Emanuel Müller le

    Il me semble que vous n’incluez pas assez dans votre texte l’aspect dynamique de l’économie mondiale (voir shift of economic center of gravity http://www.economist.com/blogs/graphicdetail/2012/06/daily-chart-19).
    Si de plus d’une façon hypothétique on adopte les études de quotient intellectuel moyen (apparement l’éthnie est un facteur significatif mais non-unique), on se retrouve avec avec un groupe de nations (Chine, Japon, Corée) avec un QI moyen à 105 vs 100 pour les européens et nord-américains. Cela étant donné la probabilité que la Chine devienne le centre de l’innovation technologique semble très proche de 1 (anequdote la Turquie vient de choisir un système de défense chinois au dépend des systèmes US et européens). Corée et Japon on eu besoin de quelques décennies pour devenir incontournables sur le plan des produits high-tech (voitures japonaises, samsung…), décennies que la Chine est en train de faire en marche forcée, le détail étant évidemment la dimension du nouvel arrivant (USA plus Canada plus Europe de l’Ouest égale la moitié de la Chine en population). Pour visualiser le fait que la Chine a eu pendant près de deux milles ans une économie largement supérieure à celle de l’europe voir (nota l’inde à une population à QI moyen vastement plus bas que les europeens et donc les chinois): http://www.theatlantic.com/business/archive/2012/06/the-economic-history-of-the-last-2-000-years-in-1-little-graph/258676/ inutile de dire que tous les pions sont là pour que, apres une « anomalie » de presque 200 ans, cela va repartir de plus belle pour quelques millénaires.

  3. Posté par Ueli Davel le

    Excellente article. Mais fondamentalement la culture, la motivation, la mentalités francaise ne sont pas compatible avec celles d’outre-Rhin. La France droit s’aider elle même et arrêter de donner des leçons aux monde. Il est vrai que le monde ne la prend plus trés au sérieux.

  4. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Voici qui est bien envoyé! Bravo et merci Monsieur Bertez.

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