Syrie: la RTS à nouveau dans le panneau des « rebelles » ?

Un jour après avoir confié l’analyse de la situation égyptienne au frère musulman Tariq Ramadan, la RTS se fait l’écho de ce qui semble de plus en plus apparaître comme une téméraire opération de communication de l’opposition en Syrie.

Avertissement: Le sujet, extrêmement sensible et délicat, ne permet en aucun cas d'être catégorique. Dans cet article, Les Observateurs ne prétendent pas apporter de réponses, seulement émettre des questions et exprimer quelques doutes.

Attention, les images en lien sont à destination d'un public averti.

 

Après s'être déjà lourdement fourvoyée en Syrie à plusieurs reprises (ici et ici), la RTS, avec un défaut de prudence qui n'a fait jusqu'ici que caractériser sa capacité d'objectivité en semblable matière, se fait à nouveau le relais des trafics propagandistes de la nébuleuse "opposition syrienne".

Des "centaines de morts" (le compteur s'est bloqué à 1 300 dans les médias occidentaux) à l'arme chimique, des images effroyables, un ton grave, mais pas de sens critique, sinon cette mention que "les faits sont difficiles à vérifier". Qu'importe, on vous les donne quand même, il en restera toujours quelque chose (RTS 19:30 21.08.2013).

Quels sont les éléments qui eussent permis à la rédaction du 19:30 de ne pas tomber si facilement dans ce qui apparaît bien être un panneau ?

 

1. Le contexte politique

Les "rebelles" sont aux abois, France et Grande-Bretagne n'ont pas livré les armes promises, l'état-major de l'armée US a tourné casaque, allant même jusqu'à affirmer qu'une victoire des rebelles n'était pas souhaitable. Les conférences de paix ont été repoussées en attente d'une victoire du régime, les mercenaires djihadistes fuient par l'Irak (source iranienne), l'armée régulière avance partout, la cause "rebelle" semble bel et bien perdue.

Le régime syrien n'est pas fou, depuis le début du conflit, il est conscient que l'emploi de matériel chimique signifierait la fin du soutien russe et son arrêt de mort. La "rébellion" insiste d'ailleurs de façon un peu caricaturale sur cette dernière chance d'accéder à une intervention internationale; la naïveté de la manoeuvre est presque touchante et dénote de la gravité de la situation au sein de l'opposition. Le fait est qu'il n'y a pas cher à donner de la peau de ceux qui se feront prendre.

Le message "rebelle" est limpide:

"Celui qui nous tue et tue nos enfants, ce n'est pas seulement le régime. L'indécision américaine nous tue. Le silence de nos amis nous tue. L'abandon de la communauté internationale nous tue, l'indifférence des Arabes et des musulmans, l'hypocrisie du monde que nous croyions libre nous tue",

a déclaré le leader de l'opposition George Sabra à Istanbul.

Enfin, ô hasard du calendrier, l'attaque au gaz tombe pile poil à l'instant de la visite des observateurs de l'ONU. Une faute que personne ne croit le régime d'Al-Assad assez insensé pour commettre délibérément. Cette singulière maladresse eût dû mettre la puce à l'oreille de nos journalistes de la RTS, mais non.

 

2. Les réactions internationales

Tout d'abord celle de l'ONU, très prudente, qui s'en tient à cette déclaration:

"Il faut faire la lumière sur ce qui s'est passé et suivre de près la situation",

laquelle n'est pas particulièrement encourageante pour une interprétation génocidaire.

Pour mémoire, les massacres de Tremseh, Daraya, Halfaya et diverses attaques présumées au gaz de combat dans le nord ont été portés au crédit du régime par l'opposition, suivie en cela par les médias occidentaux, avant d'être finalement reconnus à charge des factions "rebelles".

Puis l'on trouve la réaction du principal allié de la Syrie, la Russie, qui, depuis deux ans, marche sur des oeufs sur ce sujet précisément et a chaque fois su répondre aux allégations occidentales de crimes de guerre par des éléments très concrets.

Dans un communiqué officiel publié le 21 août, le porte-parole de la diplomatie russe Alexandre Loukachevitch déclare:

"Ce qui retient l'attention, c'est que les médias régionaux engagés ont immédiatement lancé une attaque informationnelle agressive en rejetant la responsabilité sur le gouvernement syrien.

[...] Tout cela nous amène à penser qu'il s'agit, cette fois encore, d'une provocation planifiée à l'avance.

[...] Tout cela ressemble sérieusement à une tentative de créer à tout prix un prétexte pour obliger le conseil de sécurité de l’ONU à prendre le parti de l’opposition. Cela ruinerait les chances de convoquer la conférence de Genève alors qu'une rencontre entre les experts."

Reste à signaler l'étonnante discrétion des Etats-Unis à l'annonce de la nouvelle. Le porte-parole de la Maison blanche se contente de prendre acte et de dire son inquiétude. Pas de menaces, de bruits de guerre, curieusement, ce qui contraste avec la dernière occurrence du mois de mai.

Ce qu'il faut considérer, c'est qu'en cas d'attaque avérée, les Etats-Unis et leurs alliés seraient intervenus avec des analyses précises et détaillées des gaz employés. Leurs services en ont largement la capacité. Cette absence détonne. Si France, Etats-Unis et Grande-Bretagne en appellent unanimement à l'ONU, on ne trouve qu'un chercheur français (dans Le Monde, quotidien à l'origine de lourdes accusations dans ce domaine, accusations restées sans suite à ce jour) et un cinéaste damascène pour être absolument catégoriques, en leur nom propre, en faveur d'une attaque au gaz.

 

3. Le commentaire des médias

L'ensemble des médias non alignés, syriens, iraniens, libanais, russes, chinois et même... certains anglo-saxons, se sont faits l'écho des doutes de la communauté internationale. La RTS ne les consulte, de tout évidence, pas.

D'un autre côté, des médias pro "rebelles", tels qu'Al-Jazeera, diffusent des interviews de hauts officiers de l'Armée syrienne libre citant Facebook comme preuve indiscutable de l'implication du régime de Bachar Al-Assad dans le gazage de population civile. Voilà qui aurait pu éclairer nos journalistes quant au sérieux de ces allégations.

 

4. Les faits

Que dit-on ?

L'armée syrienne aurait envoyé un ou plusieurs missiles explosifs (18 selon Human Right Watch, qui dit pourtant n'avoir personne sur place) chargés au gaz neurotoxique à l'est de la Goutha, l'un des principaux, sinon des derniers, bastions de l'opposition en périphérie de la capitale. Le gaz aurait fait entre 100 et 1 300 victimes. Le gouvernement syrien nie. Les médias russes font état de missiles tirés depuis la zone contrôlée par les "rebelles", la Maison-blanche parle de "gaz empoisonnés" sans donner plus de détails. Selon l'agence Reuters, femmes et enfants sont arrivés à l'hôpital, pupilles dilatées, membres froids, l'écume aux lèvres, "symptômes typiques d'une attaque au gaz innervant", précise la dépêche.

 

Que voit-on ?

Nous nous en tiendrons aux images diffusées par la RTS. Youtube est plein de vidéos à ce propos, aux origines diverses et variées. Nous ne sommes pas parvenus à trouver de source unique et originale. Selon le média russe RT, les images sont apparues en premier sur la chaîne saoudienne Al-Arabiya, l'Arabie saoudite ayant des intérêts très déterminés dans le conflit syrien.

La RTS publie deux types de source audiovisuelle. L'une tournée de nuit, montrant l'arrivée de blessés dans ce qui ressemble à un hôpital, l'autre de jour, sans doute au lendemain matin, montrant les victimes alignées côte à côte.

Nonobstant la présence de personnel en livrée médicale, de bouteilles d'oxygène et de quelques lits d'hôpitaux dans les images tournées la nuit, la salle où reposent les personnes censément victimes dans les images du matin n'est pas une salle équipée mais une salle vide. Impossible donc de savoir s'il s'agit réellement d'un hôpital. Les images filmées à l'extérieur du bâtiment ne laissent apparaître aucun écriteau ou signe lumineux laissant augurer de la présence d'un centre de soins. Les images montrent encore que l'accès des blessés à l'entrée se fait par un escalier, ce qui paraît peu courant pour des urgences d'hôpital. Les catelles brillantes au mur, façon marbre, les mêmes qu'au sol, font plus volontiers penser à des couloirs de bâtiments locatifs qu'à l'aménagement fonctionnel d'un hôpital. La Goutha n'est pas un quartier riche aux cliniques de luxe. Un détail encore, au soir, le sol est maculé et humide, au matin il paraît propre et sec sous les corps des victimes.

Sur ces images, il apparaît encore que les personnes intervenant auprès des blessés les touchent sans gants, ce qui peut paraître surprenant eu égard aux effets conventionnel des gaz innervants. Rien ne permet cependant de penser qu'il s'agisse forcément de matériel conventionnel, dans certains cas, une procédure de décontamination n'est pas indispensable. Enfin, les personnes prises de convulsions ont encore la capacité de crier.

Revenons aux images que la RTS publie au début de son sujet:

Un plan dévoile les corps de plusieurs dizaines d'enfants puis d'adultes inanimés, dont au moins deux en treillis militaire.

Les enfants, pour la plupart couchés sur le dos, sont en position de sommeil, bras écartés ou le long du corps.

Les bras des adultes ont été ramenés sur le ventre. Les mains de certains d'entre eux sont liées par des ficelles ou des ceintures de cuir, ce qui peut paraître peu ordinaire pour un cadavre.

Un homme a le visage en sang et du sang sur sa chemise.

On ne voit pas de femmes. Une seule apparaît, dans les images de la nuit, et qui respire encore.

La plupart des victimes ont la chemise ouverte ou le T-shirt remonté laissant apparaître le bas du thorax. Aucune ne présente les contractions de la cage thoracique propres aux asphyxies ni les lésions cutanées que peuvent provoquer certains gaz de combat. Ce point n'est cependant pas relevant dans la mesure où l'on ne sait rien des produits employés.

seringue damasAutre problème, l'étude attentive de ces images montre que les corps, surtout ceux des enfants, font l'objet de divers traitements, qui sont recouverts de tapis ou de draps, puis découverts, ou régulièrement déplacés. Une vidéo critique, émise par un groupe d'expatriés syriens en Suède, vraisemblablement pro-régime, signale, non sans un certain à-propos, les différents voyages effectués dans la nuit par le corps d'une fillette.

Détail autrement plus dérangeant, on y voit ce qui apparaît être une infirmière voilée administrer des injections aux enfants, ce qui, pour un mort, paraît cette fois-ci très étrange.

http://www.youtube.com/watch?v=dbXbafI7cCw

On la voit plus nettement sur cette la vidéo d'origine, on y voit d'ailleurs, à 00:25, un homme faire une injection dans une cuisse, on le revoit nettement à 00:58. On revoit l'infirmière en fin de film.

 

Images qui pourraient aisément étayer la théorie d'une forte sédation des sujets filmés, les corps allongés ne présentant, à vue d'oeil, aucun signe de respiration mais pas non plus de pâleur ou de rigidité cadavériques.

La question subsiste, pourquoi des injections à des morts ?

 

Que ne voit-on pas ?

En vrac, tout d'abord, des journalistes, mais sans doute l'accès leur est-il difficile. Pas d'officiels non plus, cela peut se comprendre, plus de médecins en livrée verte ou bleue, logique là aussi, tous leurs patients sont morts. Pas de familiers éplorés, de mères en deuil, pas d'employés de morgue, d'ambulance ou de corbillard. Peut-être la chose est-elle liée à la brièveté des images, reste que ces éléments manquent au tableau pour le rendre pleinement vraisemblable.

L'absence de parents contraste d'ailleurs avec le nombre d'enfants victimes, le seul enfant qui paraisse accompagné se tient, la nuit, devant l'hôpital un mouchoir à la main, une femme cherche à le prendre par l'épaule. Tous les autres enfants que nous avons pu observer sont seuls et n'ont personne pour les pleurer. La scène contraste avec les manifestation de deuil particulièrement démonstratives que l'on peut rencontrer en pareils contextes.

L'on ne voit pas non plus de victimes hors de ce seul hôpital, dans ce seul quartier. Or il paraît incroyable qu'à l'instar du nuage de Tchernobyl, le nuage de gaz neurotoxique ait eu la prévenance de s'en tenir à cette seule zone "rebelle", sans emporter dans son oeuvre de mort quelques loyaux sujets du gouvernement, ni même - la chose reste étonnante - ne serait-ce que la moindre femme. Ultime surprise, mis à part les deux treillis entraperçus, pas un seul combattant, pas une seule cartouchière, pas un T-shirt noir, pas une ceinture de combat, pas de grosses chaussures. Les attaques de Bachar Al-Assad sont décidément bien mal ciblées.

 

Conclusion

En conclusion, les images diffusées hier par la RTS présente un tel nombre de problèmes et un tel degré d'improbabilité que même un stagiaire sans culture ni formation eût pu voir poindre la naissance d'un doute à l'orée de son esprit. Par conséquent, leur publication délibérée ne peut que revêtir un esprit partisan, celui dont la RTS a fait preuve à tant de reprises sur la questions syrienne. Et là il n'y a plus aucun doute.

 

Voire encore

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Escroquerie syrienne: la RTS persiste et signe

3 commentaires

  1. Posté par perceneige/percetout le

    l europe et les états-unis sont tombés bien bas pour soutenir toute ses manipulations mais que veux vraiment israel?est ce de placer des islamistes terroristes dans toute ces pseudos révolutions et qui arrange les émirats arabes et le quatar et en même temps de diaboliser les musulmans qui vivent en europe et aux usa alors je vois qu une seule raison qui est de préparer une attaque régional d envergure et destructrice et accompagner de l europe et les usa en prétextant que il y a que des islamistes fou qui veulent détruie israel donc pour moi ils préparent les peuples européens et usa à détester les arabes et le grand israel capitale de l économie mondial sera gagné et est ce que le groupe bilderberg ne prépare t il pas les élites mondials à ce projet de tarés et merci pour votre journalisme objectif ça fait plaisir et très instructif

  2. Posté par Guex le

    Hélas, René Payot est bien mort. À l’heure de sa chronique, la France occupée devait, paraît-il augmenter sa production d’électricité.

  3. Posté par Antonio Giovanni le

    A-t-on souvent été obligé de louer la RTS pour son impartialité, son objectivité dénuée d’arrière-pensée, sa franchise à l’égard du public qui la rétribue plus que généreusement, la réserve dont elle fait preuve sur les sujets à caution? Hélas! non. cet organe, d’un parti resté dans l’ombre mais qui tire si bien les ficelles, ne sert que maître idéologique; le même qu’elle servait déjà à l’époque où des gauches de tous les pays, flanquées de commissaires vigilants, en remontraient férocement à leurs adversaires politiques! La vérité est toute simple: « Que nul n’entre à la RTS s’il n’est pas encarté… »
    Voilà la géométrie variable de l’information à la RTS !

Et vous, qu'en pensez vous ?

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