Postfinance: la fin d’une liberté

Postfinance résilie 1700 comptes suspects. Une information anodine mais qui cache une toute autre réalité. La fin d’une ère et le début d’un règne absolu.

Postfinance supprime quelque 1700 comptes jeunesse de ses clients domiciliés à l'étranger, nous apprend la RTS. En cause, les nouveaux accords fiscaux conclus avec les Etats-Unis, nous dit-on. Reste que cette crainte toute helvétique de la pression américaine est avant tout révélatrice d'un phénomène essentiel, quoique relativement discret, l'entrée définitive de Postfinance dans le monde des banques.

En effet, ces dernières années, l'incurie des grandes banques précipitait les épargnants de tout poil dans les bras de structures réputées plus modestes et, par conséquent, prudentes: les banques Migros, Coop et Raffeisen et Postfinance. C'est ainsi que, fin 2010, le Parlement fédéral décidait que l'ancienne Régie d'Etat devenue SA, titulaire désormais de plus de 104 milliards de francs d'avoirs clients, devait être soumise à l'Autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA) et munie d'une autorisation d'exercer une activité bancaire. La passation prendra effet le 26 juin prochain.

Fin de siècle

Postfinance basculant dans le régime des sociétés anonymes exploitant une licence bancaire, l'Etat n'est plus impliqué qu'au titre d'actionnaire majoritaire. Partant, la garantie d'Etat des dépôts privés est appelée à disparaître progressivement. La garantie illimitée, à laquelle Postfinance continue de prétendre, est condamnée à très court terme, ne subsistant plus que la garantie des 100'000 premiers francs prévus par les lois bancaires.

Contacté par Lesobservateurs.ch, Alex Josty, porte-parole de Postfinance, a confirmé que la société avait prévenu ses 3 millions de clients des nouvelles conditions générales par courrier; le plus grand mailing de son histoire... Courrier ne suscitant guère qu'une centaine de réactions en ce qu'il ne laisse le choix qu'entre l'adhésion tacite ou la rupture définitive. Force est de constater que la flexibilité et l'éminente qualité des services de Postfinance, parmi les plus concurrentiels de Suisse, n'incite guère ses clients à vouloir s'en séparer. Mais le fait est que Postfinance devient une banque à part entière, avec les réflexes d'une banque, nous le voyons aujourd'hui, et que le peuple épargnant assiste, impuissant, à la fin de la toute dernière caisse de dépôt qui n'en n'était pas une, de banque, précisément.

Etre salarié, ou simple consommateur, et vivre sans compte courant ou sans être encarté dans quelque institut de crédit, est devenu strictement impossible. La condition humaine se trouve aujourd'hui conditionnée à l'appartenance à une banque, un établissement qui prête votre argent comme bon lui semble sans devoir vous rendre le moindre compte, voire moins encore...

Scénario apocalyptique

La situation économique suisse est bonne, florissante même au regard de celle de certains de nos voisins. Le présent article n'a pas vocation à explorer le domaine du probable mais celui du possible, du légalement possible.

La crise chypriote, qui avait vu l'entier des comptes amputés d'un pourcentage substantiel en vue de renflouer la dette des banques, n'avait pas manqué de faire réagir nos Parlementaires sur l'éventualité d'une situation similaire dans notre pays.

Les experts que nous avons approchés sont unanimes, une crise semblable est absolument impossible en Suisse. Reste qu'elle est tout de même prévue par la loi.

Les article 49 et 50 de l’ordonnance de la Finma sur l’insolvabilité des banques autorise que tous les fonds de tiers soient convertis en fonds propres pour faire face à la faillite des banques. En clair, votre argent devient celui de la banque si celle-ci se trouve menacée de faillite; vous voilà traité comme un véritable actionnaire sans jamais avoir eu la moindre voix au chapitre. M. Tobias Lux, porte-parole de la Finma, précise qu'il s'agit là d'une ultima ratio, une sorte de levier de secours au cas où une simple mise en faillite devait s'avérer encore moins avantageuse pour les "créanciers".

Ils est couramment admis que ces articles 49 et 50 épargneraient les comptes inférieurs à 100'000 francs ainsi que les créances salariales ou d’assurance. Dans les faits, les art. 219 al. 4 de la loi sur les poursuites pour dettes et la faillite et 37a al. 1 à 5 de la loi sur les banques n'étendent leur garantie relative aux créances salariales que sur un délai ne dépassant pas les "six mois précédant l’ouverture de la faillite".

En outre, et c'est là toute la subtilité, les art. 49 et 50 de l'ordonnance relèvent d'une procédure d'assainissement, laquelle reste indépendante de la faillite et ne devrait pas être concernée par les mêmes garanties en terme de délai; mais force est d'admettre que s'il y a une seule évidence ici, c'est que la chose est extrêmement complexe.

L'art. 40 de l'ordonnance établit que l'assainissement est préféré à la faillite si celui-ci est jugé plus avantageux pour les créanciers. Si les comptes salaires semblent prioritaires et jouir d'une certaine protection, les épargnants sont les premiers perdants.

La question subsiste encore de savoir si la garantie illimitée de l'Etat, qui résiste encore dans certaines banques cantonales, prime malgré tout sur l'ordonnance de la Finma - cette première étant de droit cantonal et cette dernière de droit fédéral - et si les cantons ne préféreront pas se cacher derrière la primauté du droit fédéral plutôt que d'appeler les contribuables au secours de leur parole donnée. Mais tout cela, nous l'ont répété nos experts, est fortement improbable et ne peut pas arriver.

En résumé, la banque n'est plus un coffre et l'épargne simple peut s'avérer, théoriquement, en temps de crise, aussi dangereuse qu'un placement toxique.

Une réalité à laquelle échappent les clients de Postfinance encore jusqu'au 26 juin prochain.

2 commentaires

  1. Posté par Un autre pragmatique le

    Vu les interets que les banques versent aujourd’hui, auxquels il faut encore deduire les impots, il vaut mieux ne laisser qu’un minimum sur un compte bancaire et pour le reste louer un coffre dans une banque et y deposer des liasses de billets.
    Ceux qui portent le plus grand risque sont les PME avec quelques dizaines d’employes: trop petits pour jouer dans la cours des grands (les too big too fail et autre avec levier politique) et qui ont besoin de liquidites sur des comptes pour payer les salaires et fournisseurs. Une PME arrive facilement a 100’000 CHF en salaires (et taxes, AVS, LPP) payes par mois ou a la fin d’un trimestre, si c’est a ce moment la que la banque ferme et qu’une partie de ce ‘cash’ disparait, la PME peut fermer definitivement.La plupart des dirigeants de PME ne sont pas des specialistes des operations financieres, ils vont pourtant etre obliges de le devenir pour gerer ce risque non nul. Ils devront apprendre la difference entre un compte bancaire dont le contenu risque de disparaitre et un depot titre qui en theorie ne devrait pas etre touche par une faillite de l’institution qui gere le depot et le compte bancaire. Le depot titre peut servir a gerer des emprunts de la confederation, et ensuite un credit Lombard permet de travailler avec du cash sur un compte. Bref, tout cela va faire depenser de l’energie dont l’entrepreneur aurait besoin pour gerer et faire croitre sa PME dans un monde de plus en plus concurrentiel.

  2. Posté par Le pragmatique le

    Dommage Postfinance était le dernier rempart contre les banksters.

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