Ecopop: Les hommes de trop sur terre ? (II)

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Dossier: L’initiative Ecopop est-elle le chant du cygne d’une vieille gauche écolo que l’on croyait éteinte ou le symptôme précurseur de l’avènement d’une ère nouvelle ? Analyse

Deuxième partie: Le malthusianisme et l'idée de surpopulation, un peu d'histoire

I. Malthus

Thomas Robert Malthus, sixième d'une famille de huit enfants, alors jeune pasteur anglican d'Okewood, est particulièrement frappé des effets de la famine qui touche les plus misérables de ses paroissiens à la fin du XVIIIe siècle, il en développe une vision résolument pessimiste.

Dès 1798 il élabore, lors des différentes éditions de son Essai sur le principe de population, une théorie selon laquelle l'humanité court à sa perte faute de ressources alimentaires propres à supporter la croissance démographique. Nous sommes à l'aube du XIXe siècle, en Angleterre, dans un contexte encore essentiellement agricole.

Pour Malthus, la population croît de façon exponentielle alors que les ressources, si elles augmentent, ne le font que de manière arithmétique. A la conviction de Malthus s'ajoute à une défiance totale envers les capacités du progrès technique de suppléer aux besoins de l'humanité. Il écrit: « Nous pouvons donc tenir pour certain que, lorsque une population n'est arrêtée par aucun obstacle, elle va doublant tous les vingt-cinq ans et croît de période en période selon une progression géométrique. Il est moins aisé de déterminer la mesure de l'accroissement des productions de la terre. Mais au moins nous sommes sûrs que cette mesure est tout à fait différente de celle qui est applicable à l'accroissement de la population » et, plus loin:  « Ce qu'on nous dit de la Chine et du Japon permet de penser que tous les efforts de l'industrie humaine ne réussiront jamais à y doubler le produit du sol, quel que soit le temps qu'on accorde. Il est vrai que notre globe offre encore des terres non cultivées et presque sans habitants. Mais pour les occuper, il faudrait d'abord exterminer ces races éparses, ou les contraindre à s'entasser dans quelques parties retirées de leurs terres, insuffisantes pour leurs besoins. Avons-nous le droit moral de faire cela ? Même si l'on entreprend de les civiliser et de diriger leur travail, il faudra y consacrer beaucoup de temps ». Le malthusianisme fonde donc ses origines sur la panique de l'homme moderne, une peur de manquer qui pose les principes de conquête des espaces vitaux ("de repos" aurait dit Bastien Girod) et de contrôle démographique des populations qui les occupent en seule solution susceptible de répondre à l'urgence du temps présent. Voilà la naissance de l'une des conceptions morales du pouvoir les plus influentes des XIX, XXe et, par la force des choses, XXIe siècles.

L'aspect matérialiste du protestantisme d'alors s'exprime à merveille dans la pensée du jeune pasteur qui propose, en premier lieu, de supprimer l'aide aux plus nécessiteux, mais va encore plus loin en suggérant de supprimer les nécessiteux eux-mêmes, non pas en les exécutant, certes non, mais en en limitant drastiquement la démographie. C'est le début du contrôle des naissances tel qu'on le connaît encore aujourd'hui, c'est là la principale conséquence de ce colonialisme démographique qu'est le malthusianisme, son incidence sur l'immigration, comme dans le cas de l'initiative Ecopop, n'étant que purement accidentelle (quoique... mais nous y reviendrons).

Survivre

Pour ce faire, Malthus postulera bientôt une réduction de la taille des familles ou un report de l'âge légal pour contracter mariage. L'auteur de l'Essai semble obsédé par les difficultés des familles nombreuses - il est le sixième d'une famille de huit, rappelons-le - il écrit: « Il suffit que l'homme regarde autour de lui pour qu'il soit frappé par le spectacle offert par les familles nombreuses: en comparant ses moyens personnels de subsistance (qui n'excèdent guère la mesure de ses besoins) avec le nombre des individus entre lesquels il devra en faire le partage (et ce nombre peut fort bien s'élever jusqu'à sept ou huit sans que ses moyens soient fort accrus), il éprouve la crainte de ne pouvoir nourrir les enfants qu'il aura fait naître. » Il paraît cependant peu probable que Malthus, qui n'est pas encore marié, fasse ici référence à sa propre expérience familiale, celle de son enfance, son père ayant laissé aux historiens le souvenir d'un homme plutôt optimiste, n'étant pas réputé avoir connu le besoin, bien en cour, ami de Hume, de Rousseau. L'homme que cite le jeune Thomas Robert est moins inquiet de sa survie que d'une conception toute victorienne du confort bourgeois, accessoire plus indispensable que l'existence même à tout gentleman qui se respecte: « Ne court-il pas le risque de perdre son rang et d'être forcé de renoncer à des habitudes qui lui sont chères ? Quelle occupation, quel emploi sera à sa portée ? Ne devra-t-il pas s'imposer des travaux plus pénibles ou se jeter dans des entreprises plus difficiles ? Pourra-t-il procurer à ses enfants les avantages d'éducation dont il a joui lui-même? Si leur nombre grandit encore, est-il assuré que ses efforts suffiront à les mettre à l'abri de la misère et du mépris qui l'accompagne ? ». Ainsi la nécessité brûlante de survie, qui jettera le capitalisme anglo-saxon à la conquête du monde entier, est à juger à l'aune de ce "minimum" confortable d'une vie sans effort ni difficulté. Malthus n'était-il en somme qu'un petit bourgeois collé-monté, tremblant pour les acquis de sa classe devant la pression démographique de classes que trop de démocratie élève ? Le système de Thomas Robert Malthus revient à maintenir un niveau de vie élevé en maintenant une pression démographique basse, niant la capacité des hommes à bénéficier de leurs qualités mutuelles vers plus de progrès et de production. Misanthropie, immobilisme, jouissance réservée des ressources conditionnée à une vision de l'existence fondée sur la seule exigence élitiste qu'autrui ne peut pas, ne doit pas, jouir d'un niveau semblable de condition. Le malthusianisme est parvenu à créer une terreur de la surpopulation en imposant comme indispensable à la survie l'idée d'un mode de vie très supérieur à la satisfaction des besoins essentiels de tout être humain. C'est ainsi que la "sur-vie" est devenu la survie. C'est devant la capacité du néo-capitaliste chinois de concurrencer le vieux capitaliste occidental sur le terrain de l'abondance, que celui-ci en vient à crier à trop de pression et à la surpopulation.

Les solutions

L'antiquité est pleine de solutions toute trouvées, Malthus, ignorant le sort des civilisations passées, y puisera autant d'exemples qu'il lui faut d'arguments: « Platon, dans son livre des Lois, veut que dans sa République le nombre des citoyens libres et des habitations ne dépasse pas cinq mille quarante. Pour maintenir ce nombre constant, le chef de famille choisira parmi ses fils un successeur auquel il transmettra la terre qu'il possède; il mariera ses filles conformément aux lois; quant aux autres fils, il les fera adopter par les citoyens qui n'ont pas d'enfants. Si le nombre des enfants est trop grand ou trop petit, le magistrat y pourvoira en veillant à ce que l'effectif des familles ne s'éloigne jamais du nombre fixé. Il aura pour cela plusieurs moyens. On peut freiner ou encourager la procréation, selon les besoins, en en faisant un honneur ou une ignominie, et par des exhortations adaptées aux circonstances.

Aristote paraît avoir perçu encore plus clairement cette nécessité. Il fixe l'âge du mariage à trente-sept ans pour les hommes et dix-huit pour les femmes: c'était condamner au célibat un grand nombre de femmes. Quoiqu'il ait tant retardé pour les hommes le moment du mariage, il craint encore qu'il y ait trop d'enfants et propose d'en régler le nombre dans chaque famille. Dans ce but, si une femme devient enceinte après avoir atteint le nombre fixé, il faudra que l'enfant soit détruit avant d'avoir vu le jour. » Ce dernier point n'est pas sans rappeler furieusement la situation actuelle, en Chine, en Inde, au Vietnam, avec les politiques d' "enfant unique" imposées par force de loi, ou, en Occident, les campagnes de sensibilisation, d' "exhortations", à la contraception massive avec pour effet de déprécier la jeune parentalité.

Mais Malthus, fondamentalement chrétien, ne trouve dans la pratique de l'infanticide antique que la preuve d'une conscience du problème démographique et non un exemple à suivre. Sa vision se partage entre une morale légaliste disciplinaire à l'extrême et un ultralibéralisme pragmatique, parfois jusqu'au cynisme, doublé d'une obsession pour la garantie provisionnelle que n'eût pas renié un assureur de la Lloyd's. Les hommes « doivent attendre pour se marier d'avoir acquis la certitude de pouvoir nourrir une famille », « les lois de la nature nous disent, avec saint Paul: « Si un homme ne veut pas travailler, il n'a pas le droit de manger ». Elles disent encore qu'il ne faut pas se fier témérairement à la Providence. » Malthus se refuse à ce que l'Etat paie pour les pauvres ou qu'il instaure un système fiscal nataliste, lequel reviendrait, selon lui, « à imposer aux célibataires une lourde amende et à accorder une forte gratification à la procréation », « en principe, je me déclare l'adversaire de tout système obligatoire en faveur des pauvres. » Une vision radicale qui tend à combattre, sur un fondement moral, une spirale de la pauvreté entraînée par la fertilité.

Le choix de certaines références à saint Paul nie sciemment de nombreux autres passages des Evangiles prêchant la confiance dans le besoin et la certitude de l'assistance divine. En érigeant le principe de prévoyance en dogme exclusif, Malthus confine son christianisme dans un matérialisme qui n'accorde plus de foi que dans la certitude du résultat. C'est pourquoi la teneur morale de l'Essai peut se situer à l'extrême opposé de la pensée de certains qu'il a puissamment inspiré et que nous verrons tout à l'heure. Malthus n'a certainement pas prêché l'amoralité de certaines solutions extrêmes qui découlent des conclusions de son enseignement, le malthusianisme, du moins à ses origines, n'est pas un programme complotiste, comme le voudrait certains représentants de la gauche, mais il a communiqué sa peur essentielle, sa peur de manquer, aux plus matérialistes de ses disciples; il a inspiré par la peur.

Au chapitre des solutions, le jeune Thomas Robert pose un principe qui fera le succès de conviction de sa pensée, le concept d'obstacle à l'accroissement de la population. Il le divise de suite en deux catégories, obstacle préventif et destructif. Même si l'on peut penser qu'il n'a pas imaginé ni souhaité le développement de la contraception artificielle ou de l'avortement, le principe est posé, ce n'est que son interprétation qui finira par lui échapper. Il écrit en effet: « Ces obstacles agissent avec plus ou moins de force dans toutes les sociétés humaines pour y maintenir constamment le nombre des individus au niveau des moyens de subsistance. Ils peuvent être rangés sous deux chefs: les uns agissent en prévenant l'accroissement de la population; les autres, en la détruisant à mesure qu'elle se forme. La somme des premiers forme ce qu'on peut appeler l'obstacle préventif ; celle des seconds, l'obstacle destructif.

Dans la mesure où il est volontaire, l'obstacle préventif est propre à l'espèce humaine et découle d'une faculté qui la distingue des animaux: celle de prévoir et d'apprécier des conséquences éloignées. Les obstacles qui s'opposent à l'accroissement indéfini des plantes et des animaux sont tous de nature destructive; ou s'ils sont préventifs, ils n'ont rien de volontaire. » Pour Malthus, l'homme a pour lui de pouvoir se prendre en main et de décider de sa fécondité. Une vision élitiste, réservée aux plus élevés des peuples, le point de vue est ici fondamentalement discriminant, protestant et britannique: « Un des obstacles les plus salutaires à la précocité des mariages en Angleterre, est la difficulté qu'il y a à trouver une chaumière, qui oblige les travailleurs à retarder l'époque de leur mariage en attendant qu'une vacance se produise, au lieu de se contenter d'une misérable cabane de boue, comme les Irlandais. »

Cette occurrence bienvenue des empêchements suffit à prouver la conscience qu'avait Malthus de la réticence des êtres humains à dominer leurs instincts et passions, surtout dans les classes où les peuples les moins éduqués « comme les Irlandais. » Il n'en continue pas moins de prêcher la continence volontaire et d'encourager la généralisation de cette attitude qui élèvera l'homme, nouveau maître de sa fécondité, au-dessus des animaux et des Irlandais, la chasteté.

Chasteté

La chasteté est un élément majeur de la doctrine du jeune pasteur, qui fonde, à ses yeux, tant la moralité que la justice, en un mot le bien-fondé, du principe qu'il propose à ses lecteurs: « Prenons un exemple. Dressons le tableau d'une société dans laquelle chaque membre s'efforcerait d'atteindre le bonheur en remplissant exactement les devoirs que les anciens philosophes les plus éclairés ont déduits des lois naturelles, et que la morale chrétienne a sanctionnés - l'aspect qu'offrirait une telle société serait sans doute bien différent de celui que présente la nôtre! Tout acte motivé par la perspective d'un avantage immédiat, mais entraînant par contre-coup une plus grande dose de souffrance, serait considéré comme une violation du devoir. Par suite, un homme qui gagne de quoi nourrir seulement deux enfants ne se mettrait jamais dans une situation telle qu'il en ait quatre ou cinq à nourrir, même s'il était poussé par la passion ou l'amour. Cette prudente retenue, si elle était généralement adoptée, diminuerait l'offre de main-d’œuvre, mais en élèverait par suite le prix. La période durant laquelle le plaisir aura été retardé serait employée à économiser la part de gain qui excède les besoins d'un célibataire ; on contracterait des habitudes de sobriété, de travail et d'économie; et en peu d'années un homme pourrait se marier sans avoir à redouter les suites du mariage. Cette action constante de l'obstacle préventif, en prévenant la population, en la contenant dans les limites permises par les possibilités de nourriture et en la laissant croître à mesure de l'augmentation des subsistances, donnerait une valeur réelle à la hausse des salaires et aux sommes épargnées par le travailleur avant son mariage; et cette valeur aurait un tout autre intérêt que la hausse des salaires ou les aumônes arbitraires des paroisses, qui ne manquent jamais de faire monter en proportion le prix de la vie. Les salaires seraient suffisants pour entretenir une famille et chaque ménage aurait en réserve une petite avance ; l'extrême misère serait bannieou n'atteindrait qu'un tout petit nombre d'individus frappés par des revers imprévisibles.

L'intervalle entre la puberté et l'époque où un individu peut prendre le risque du mariage se passerait dans la stricte observation des lois de la chasteté, qui ne peuvent être violées sans fâcheuses conséquences pour la société. La prostitution, qui nuit à la population, affaiblit en effet les plus nobles affections du cœur et avilit la personne de la femme. A moins d'artifices inconvenants, tout autre commerce illicite ne tend pas moins que le mariage à accroître la population et offre en outre une beaucoup plus grande probabilité de voir les enfants tomber à la charge de la société.

Ces considérations prouvent que la chasteté n'est pas, comme certains le supposent, le produit forcé d'une société artificielle. Au contraire, elle trouve son fondement réel et solide dans la nature et la raison. Elle représente le seul moyen vertueux d'éviter les vices et le malheur que le principe de population traîne si souvent à sa suite. »

Le tout repose alors sur une sorte de société idéale, extrêmement policée jusque dans la plus stricte intimité, où les jeunes gens attendraient de pouvoir sauter le pas en prenant le thé et en cotisant au fond de pension qui devrait leur ouvrir les portes de la reproduction: « Dans la société dont nous peignons ici le tableau, il serait sans doute nécessaire qu'une partie des individus des deux sexes restent longtemps célibataires. Si cet usage devenait général, il y aurait certainement place par la suite pour un plus grand nombre de mariages: de sorte qu'à tout prendre il y aurait moins de personnes condamnées à y renoncer pendant toute leur vie. Si la coutume voulait qu'on se marie tard, et si le fait de violer la loi de chasteté était considéré comme un égal déshonneur dans les deux sexes, il pourrait se former entre eux, sans danger, des relations d'amitié plus intimes.

Deux jeunes gens pourraient converser familièrement sans qu'on les soupçonne aussitôt de mûrir des projets de mariage ou d'intrigue. Ainsi, une plus grande possibilité serait donnée aux personnes des deux sexes pour découvrir leurs aptitudes à l'union et pour nouer ces liens solides et durables sans lesquels le mariage produit plus de misère que de bonheur. Les premières années de la vie ne seraient pas gaspillées hors de l'amour, ou du moins sans un amour pleinement satisfait. Au lieu d'être éteint par une sensualité précoce, comme cela se voit trop souvent à l'heure actuelle, l'amour serait seulement freiné pendant quelque temps, mais brillerait ensuite d'une flamme plus lumineuse, plus pure et plus durable. Au lieu de résulter seulement d'une indulgence immédiate, le bonheur du mariage apparaîtrait comme la récompense du travail et de la vertu, le prix d'un attachement constant et sincère. 

La passion de l'amour trempe puissamment le caractère et conduit souvent aux actions les plus nobles et les plus généreuses. Mais ces heureux effets ne se produisent que lorsque cette passion se concentre sur un seul objet, surtout si son accomplissement est retardé par des obstacles. Jamais peut-être le cœur n'est mieux disposé à la vertu, et jamais l'homme n'est mieux préparé à rester chaste, que lorsqu'il est sous l'influence d'une telle passion. Des mariages tardifs contractés dans de telles conditions seraient très différents de ceux dont nous sommes si souvent témoins, dont l'intérêt est le motif, et où les deux parties n'apportent à leur union que des tempéraments et des affections usés. Actuellement, seuls les hommes se marient tard et bien peu d'entre eux fixent leur choix sur des femmes d'un certain âge. Dès 25 ans, une jeune personne sans fortune peut craindre de se voir obligée à renoncer au mariage bien que son cœur soit capable d'attachements fidèles; à mesure que les années passent, elle verra diminuer son espoir de trouver un objet sur qui fixer sa tendresse, et le désagrément de sa situation sera encore aggravé par l'injuste et cruel préjugé de la société. Si l'âge du mariage était retardé, la période de jeunesse et d'espérance serait prolongée et il y aurait moins d'espoirs déçus. » Prolonger l'attente, continuer l'espoir, tout pourvu que diminue la terrible natalité.

Devant la perspective de voir les volontés les mieux trempées flancher devant la tentation, Malthus balaie l'argument sans le moindre embarras: « Quant au danger de voir croître ces vices, il est consolant de penser que les pays d'Europe où on se marie plus tard et moins souvent ne sont nullement les plus dépravés. Ainsi la Norvège, la Suisse, l'Angleterre et l'Écosse, sont au rang des États où l'obstacle préventif a le plus d'importance. Je ne prétends pas insister spécialement sur les habitudes vertueuses de notre pays, mais je ne pense pas non plus qu'on puisse le citer comme exemple d'une excessive corruption. » Si le monde n'y arrive pas, la valeureuse Angleterre, elle saura y parvenir, le tout reposant sur la qualité du puritanisme volontariste à l'anglicane.

Malthus propose le modèle d'un homme élevé par la maîtrise de soi, le malthusianisme moderne retiendra le diagnostic et repoussera le remède impossible à opposer à la concupiscence de l'homme. L'homme moderne sera maître de sa fécondité sans avoir à l'être de ses passions. L'obstacle préventif sera la contraception, certains aspects de l'économie, la baisse moyenne du salaire du chef de famille. L'obstacle destructif, la propagation de l'avortement.

Au rang des obstacles destructifs, Malthus imaginait plutôt la sélection naturelle: « On abandonne généralement les enfants difformes; quelques peuplades du Sud font même subir un sort identique aux enfants dont la mère a mal supporté la grossesse ou l'accouchement, par crainte qu'ils n'héritent une certaine faiblesse: c'est pourquoi il n'existe pas d'être difformes chez les sauvages d'Amérique. D'ailleurs, si une mère veut élever tous ses enfants sans distinction, la mort en enlève un si grand nombre (tant ils sont durement traités) qu'il est à peu près impossible à ceux qui sont dotés d'une constitution délicate d'atteindre l'âge d'homme. » Il va de soi qu'à cet égard, les progrès techniques et médicaux se faisaient les ennemis de cette vision de l'homme, il fallut passer à des "obstacles" plus radicaux.

Malthus sera lu par des acteurs moins porté sur la morale victorienne et pour qui quelques « artifices inconvenants » revus et corrigés par la science moderne ne poseront pas le moindre problème. De même, le déshonneur n'est plus dans le fait de violer les lois de la chasteté mais bien le tabou de la fécondité trop jeune. La possibilité donnée aux personnes des deux sexes pour découvrir leurs aptitudes à l'union c'est le concubinage, le concubinage actuel, chimiquement stérilisé, sorte de ballon d'essai du mariage complet qui ne finit plus par arriver qu'une fois sur deux.

Reste qu'aujourd'hui comme hier, le modèle malthusien méconnaît une donnée essentielle, la nature humaine. Qui plus est la nature humaine la moins éduquée, la moins sélectionnée, puisque la preuve sera bientôt faite, au fil des études sociologiques qui suivront l'Essai, que la natalité est toujours plus forte là où règne la misère. Le malthusianisme moderne renoncera à éduquer les masses à l'effort pour préférer les enjoindre à la facilité.

Erreurs

Au chapitre des erreurs, nous l'avons dit, la théorie de Malthus en commet deux: celle de nier les aspirations de la nature humaine à correspondre à ses instincts de reproduction, d'amour et de liberté - le droit au mariage ne fait pas partie de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et ne fera son apparition que plus tard - et celle de ne pas avoir su présumer des effets du progrès et de la croissance sur la production agricole.

L'humanité des dernières décennies a certainement connu, en divers endroits du globe, des phénomènes de malnutrition susceptibles de venir confirmer le postulat de Malthus. Mais les facteurs sont multiples, régimes politiques, consumérisme outrancier et gaspillage occidental, qui sont venus brouiller les pistes. De nos jours, le renouvellement démographique n'est plus assuré et l'on compte sur terre plus d'obèses que de mal nourris. La population mondiale actuelle est sept fois plus importante qu'au temps de Malthus et atteint pourtant à la suffisance alimentaire (infographie). Grâce aux mesures malthusiennes auront beau jeu de rétorquer certains, le fait est que, poussé à leur extrême, ces mesures ont créé des lésions sociales irréversibles, comme le profond déséquilibre de la répartition sexuelle homme-femme en Chine et en Inde; une facture qui est encore à payer. C'est d'ailleurs précisément ce déséquilibre, joint au déficit de naissances, qui accélérera le vieillissement de ces populations les privant de leur domination tant attendue, à moins de passer à une vaste entreprise d'euthanasie pour éviter qu'un trop grand nombre de personnes âgées ne viennent peser sur un nombre insuffisant de jeunes (infographie). C'est encore un oubli du malthusianisme, l'avènement d'un quatrième âge venant s'ajouter, aux côtés des jeunes enfants, à la population non productrice.

Le malthusianisme porte en lui le stigmate des idéologies qui ont voulu contraindre le genre humain sans chercher à le comprendre, qui, sous couvert de science naturelle, ont commis les plus graves infractions à la nature. C'est ainsi que, dominant par la peur de manquer, cette dialectique de la solution a constitué le second plan philosophique des systèmes les plus totalitaires et propres à constituer un problème pour l'homme.

à suivre...

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2 commentaires

  1. Posté par Antonio Giovanni le

    IL faut relire l’historique des peurs et espoirs de la surpopulation chez Minois « Le poids du nombre »;Je remarque tout de même que malgré les moyens accrus de la production alimentaire il y a toujours plus d’affamés et de pauvres et de plus une très inégale répartition des richesses alimentaires; ni l’ONU, ni la FAO, ni aucune autre organisation internationale n’a jamais trouvé le moyen de mettre fin au scandale de la fin dans le monde; si on connaissait la solution, nu doute que cela se saurait par son application; pour l’heure et vu la situation toujours plus consternante de la sous-alimentation, c’est Malthus qui a encore raison: il y a trop de pauvres; c’est une conséquence mécanique de la reproduction humaine: plus on est pauvre et plus on fait d’enfants.

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    La lecture de cet article me plonge dans le passé. En ce temps, je devais finir mon assiette! En pensant « aux petits nègres qui ont faim »! Je suis né en 1945. Aussi longtemps que je me souvienne la peur de la pénurie pesait sur mes pauvres joie d’enfant! Au fond, ma jeune vie a été chargée de bruits de guerre et de famines! Au point que quand j’appris, à l’école et âgé de 14 ou 15 ans, qu’on ramassais chaque matin 4000 cadavres dans les rues de Calcuta, j’en conçus du soulagement. Les peurs ont changé de nom, se sont multipliées. Au point que tout le monde s’en fout! J’aimerai conclure d’une manière qui sera jugée saugrenue, en citant Jésus, « tout pouvoir m’a été donné »! Vous savez comment il a fini! Mourant de nos mains pour notre salut! Qui dira le contraire! Dieu a donne son unique pour que nous le crucifions? Qui donc a osé dire qu’il est mort pour nous? Pour? Mais qui a vu l’intégralité du message? Et particulièrement le sens de la resurection! Vous pouvez tout casser, tout foutre en l’air, le Vieux ne renoncera jamais à son projet! Jamais! Ce n’est pas assez, mais ce sera tout, a cause de mes humaines limites.

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