Armée de milice ou armée de milice volontaire?

Pierre Streit
Pierre Streit
Historien, Revue militaire suisse
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Après avoir essayé l’approche directe en 1989, avec l’abolition de l’armée, le GSsA s’essaie à présent à l’approche indirecte. Dans les deux cas, une seule réponse s’impose : un refus catégorique.

 

Si l’attention de l’opinion publique suisse s’est focalisée en 2012 sur le dossier Gripen, c’est bien une éventuelle suppression de l’obligation de servir qui suscitera dans notre pays et ailleurs toutes les attentions en 2013, avec une votation attendue en novembre.

Les arguments des initiants sont connus et ont été bien présentés par l’un de leurs leaders, Josef Lang, dans une « Opinion » parue dans Le Temps du 10.12.2012. A ses yeux, la suppression de l’obligation de servir n’implique pas une suppression de l’armée, parce que « la véritable milice – également lorsqu’elle est militaire – se fonde sur la libre adhésion ». C’est cette voie que l’armée autrichienne est en train d’explorer à ses dépens. Le 20 janvier, les citoyennes et citoyens autrichiens devront aussi se prononcer sur la suppression du service militaire obligatoire (d’une durée de 6 mois). Dans cette optique, l’armée autrichienne s’est lancée dans un projet-pilote destiné à recruter des « miliciens volontaires », expérience qui se solde par un échec. L’effectif de chacune des deux compagnies de pionniers pilotes ne dépasse pas une moyenne de 90 hommes sur les 115 prévus. Soit des unités non engageables selon les propres normes du ministère autrichien de la défense. Est-ce là étonnant ? Non. En Allemagne, un volontaire sur trois démissionne au terme de ses six mois d’essai (der Standard, 3.1.2013). Ou est licencié pour inaptitude. En effet, certaines recrues sont surprises de devoir cirer leurs bottes ou de dormir dans des dortoirs.

En Autriche, le débat a été relancé après la fin de la conscription en Suède le 1er juillet 2010, suivie par l’Allemagne en 2011. Le Chef de l’armée (CdA) autrichien, le général Edmund Entacher, se montre défavorable à une armée de métier, avec des arguments qui sont aussi valables en Suisse. La mise en place d’une telle armée engendrerait un doublement du budget actuel avec, à la clé, des problèmes de recrutement telles que l’Allemagne et la Suède les connaissent, une réduction de moitié des capacités d’aide en cas de catastrophe naturelle et la fin potentielle du service civil.

Il est frappant de constater que la professionnalisation des forces armées – car c’est bien de cela dont il s’agit au-delà des jeux de mots – est avant tout soutenue par le monde politique qui voit – à tort – un modèle plus efficace, voire moins onéreux. C’est dans cette voie qu’une partie du monde politique aimerait – de guerre lasse – amener l’armée suisse. De guerre lasse, car les questions militaires semblent n’intéresser plus aucun politicien. Avec comme conséquence une vraie rupture stratégique en cas d’acceptation de l’initiative du GSsA.

Aux yeux de certains historiens comme Josef Lang, le service militaire obligatoire serait une invention récente en Suisse : il ne serait apparu que dans la Constitution fédérale de 1874. Il s’agit là d’une affirmation fallacieuse, qui vise seulement à minimiser l’importance d’une éventuelle suppression de l’obligation de servir. Celle-ci, appliquée à tous les hommes capables de porter les armes pour défendre leur communauté, fait partie du droit coutumier dans la Confédération des trois cantons fondateurs. Elle est peu à peu codifiée.  Dès le XVIe siècle, on trouve les traces de compagnies d’arbalétriers, puis de mousquetaires qui constituent autant d’unités de milice villageoises ou bourgeoises. Sur le champ de bataille de Morat, les Confédérés combattent par paroisse. Certes, la durée des obligations a varié au fil du temps et des exemptions/dispenses du service militaire pour des raisons autres que l’inaptitude physique ont toujours existé. Dans une société fondée sur le principe de milice, il n’est pas étonnant que des citoyens exerçant des tâches considérées comme vitales en temps de guerre ont pu en bénéficier (magistrats, enseignants, ingénieurs, …).

En réalité, c’est dans la Constitution fédérale de 1848 que la très ancienne règle du service obligatoire passe du droit cantonal au droit fédéral. On la retrouve dans l’article 18 de la Constitution de 1874. Ce que certains historiens oublient de prendre en compte, c’est donc la dimension cantonale de l’obligation de servir qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, caractérise le système de milice suisse.

Dans ce contexte, supprimer l’obligation de servir constituerait bien un tournant historique et reviendrait à mettre en place un nouveau système qui, faute de moyens, serait voué à l’abolition. Après avoir essayé l’approche directe en 1989, avec l’abolition de l’armée, le GSsA s’essaie à présent à l’approche indirecte. Dans les deux cas, une seule réponse s’impose : un refus catégorique.

 

2 commentaires

  1. Posté par Pascal Kümmerling le

    Nous y voilà, la dernière arnaque du GSsA est arrivée, attendue par certains comme l’arrivée du beaujolais nouveau ! Mais, très vite, derrière son joli emballage on découvre les artifices synthétiques de l’escroquerie.
    Sous prétexte de suppression de l’obligation de servir qui ne toucherait pas l’armée, cette initiative fonctionne comme un virus dont le but final est la suppression de l’armée en saucissonnant celle-ci. N’osant plus attaquer frontalement, le GSsA se positionne depuis un certain temps par des attaques indirectes, à la manière d’un cancer. Cette fois-ci, l’argument de liberté lancé par les initiants est en fait une utilisation de l’individualisme, ce même individualisme qui ronge notre société, divise et sème le chaos.
    Une fois de plus le GSsA est ses amis tentent de tromper l’individu, comme le SIDA trompe les défenses immunitaires, il est temps de détruire ce SIDA qu’est le GSsA

  2. Posté par Zeller Philippe le

    Monsîeur Streit a raison : les questions militaires n’intéressent plus aucun politcien et lorsque certains d’entre eux s’en occupent ou s’expriment dans les médias, leurs propos sont soit l’expression de leur ignorance, soit celle de leur idéologie, voire parfois d’une malhonneté intellectuelle crasse.
    Et pourquoi ne pas regretter qu’ il n’y ait pas davantage de commentaire aux propos de l’histoiren Streit?
    Mais

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