Ecopop: Les hommes de trop sur terre ? (I)

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Dossier: L’initiative Ecopop est-elle le chant du cygne d’une vieille gauche écolo que l’on croyait éteinte ou le symptôme précurseur de l’avènement d’une ère nouvelle ? Analyse.

Première partie: Réception médiatique, réaction politique

Le 2 novembre dernier, l'association environnementale Ecologie et Population (Ecopop) déposait à la Chancellerie fédérale les 120'000 signatures de son initiative intitulée « Halte à la surpopulation. Oui à la préservation durable des ressources naturelles ». Le texte prévoit l'ajout dans la Constitution fédérale d'un article 73a donnant mandat à la Confédération de contenir la démographie en fonction d'une compatibilité « avec la préservation durable des ressources naturelles ». Pour ce faire, l'alinéa 2 contraint l’accroissement de la population dû au solde migratoire à 0,2 % par an et interdit la conclusion d'accords internationaux susceptibles de contrevenir à la présente disposition.

Revue de presse

Si d'aucuns ont cru reconnaître la marque d'écologistes purs et durs qui, sur le modèle de l'initiative Weber, proposent de quantifier en quotas non plus des résidences mais des hommes, l'initiative a surtout marqué les esprits par les difficultés de la presse à coller la juste étiquette politique sur les initiants:

« Eco-fascistes » pour le Vert Raphaël Mahaim dans le Courrier (14.02.12), « proches des idées de l'UDC » pour Anne Buloz, du Courrier également, « carrément eugéniste » pour la socialiste Maria Roth-Bernasconi, frappé de « national-écologisme » pour le conseiller national écologiste Antonio Hodgers, « intellectuels », ce qui n'est jamais bon signe, mais aussi « inquiétants missionnaires » pour Le Temps qui en vient à citer les encycliques comme pour exorciser les démons de la xénophobie, des Verts « bruns» pour le 24 Heures etc. Le malaise est palpable, essentiellement à gauche où le socialiste Pierre Emmanuel Dessemontet parvient à résumer l'inconfort général en quelques mots: « Avec son maquillage écolo, qui lui donne du sex-appeal, l'initiative d'Ecopop permet à la bête immonde de redresser la tête. On est là dans une pensée eugéniste et raciste; c'est ce qui est au cœur de mon dégoût. Car qui sont ces gens en trop? Les immigrés? Des êtres humains qui vont naître? Il ne faut pas reproduire les erreurs de certains démocrates des années 20 et 30 qui se sont laissés piéger par des débats ayant débouché sur la catastrophe du nazisme. »

A force d'efforts, Le Matin, qui prend pourtant la peine de mettre en garde contre toute « reductio ad Hitlerum », trouvera tout de même le moyen d'exhumer un ancien membre fondateur, à 40 ans de là, devenu Démocrate Suisse par la suite. Ceci étant pour que l'opprobre du droitisme vienne retirer tout droit à la prétention d'une rationalité dans le conscient collectif. Après tant d'années de dressage, l'information l'a cédé au réflexe.

Quoi qu'il en soit, la confusion est totale en raison, essentiellement, de l'impact sur le dogme de l'immigration d'une idée originellement de gauche, le malthusianisme pour motifs écologiques, poussée à sa plus extrême logique.

Implications

Pour la bonne mesure, il convient toutefois de rappeler que cette gauche qui s'insurge rencontre beaucoup moins de problèmes avec la "bête immonde" de l'eugénisme et du racisme lorsque ses victimes se font plus discrètes. Ainsi, Maria Roth-Bernasconi a-t-elle milité activement en faveur du diagnostic préimplantatoire - qui, quoi qu'on en dise, propose d'autoriser la sélection eugénique des embryons pour éviter la transmission de défauts génétiques, tels que des handicaps - au motif que « la population préfère des garde-fous à des interdits »; motif que l'association Ecopop, qui a posé plainte, pourrait d'ailleurs parfaitement lui retourner. Enfin, depuis 2000, le PS et les Verts (et ici) insistent régulièrement pour que la « santé sexuelle et reproductive » devienne « l'une des priorités de la coopération suisse au développement » dans le cadre de l'application des « Objectifs du Millénaire », un programme onusien dont la preuve a été faite qu'il a servi à financer la politique dite de « l'enfant unique » en Chine. En somme, l'eugénisme ne semble gêner la gauche suisse que lorsqu'il risque d'atteindre à sa politique d'immigration.

Quant à Antonio Hodgers, il est impliqué au premier titre dans les discussions préalables qui, au sein même de son parti, ont mené à ces débordements. En 2009, Bastien Girod et Yvonne Gilli, tous deux conseillers nationaux verts lançaient une discussion au sein de leur parti : « Croissance démographique en Suisse : bilan critique de l’approche verte » déclarant sans ambages qu' « une trop forte immigration met en danger les espaces de repos en Suisse ». Ce à quoi Antonio Hodgers acquiesçait, expliquant à qui voulait l'entendre, dans les colonnes du Matin, en parlant des Verts, qu': « Aujourd’hui, nous avons l’ambition de nous émanciper d’une lecture gauche-droite », et qu'il était pressant de « rompre avec l'angélisme de la gauche »; voeu pieux resté sans suite.

Réactions

Outre celles que nous avons vues plus haut, les premières réactions émanèrent tout d'abord des initiants pour protester de la pureté de leur idéologie: Ecologistes "canal historique", fidèles aux serments de la première heure, ils ne sont ni xénophobes ni racistes − coupant ainsi l'herbe sous les pieds du manichéisme traditionnel 'UDC contre le reste du monde' - et font même, non sans une certaine naïveté, le constat désolé auquel tout citoyen contemporain se trouve aujourd'hui fatalement confronté: « Malheureusement, le simple fait de s'interroger "quelle est la population idéale de la Suisse?" - en exprimant le constat que nous ne pouvons recevoir tout le monde - fait que beaucoup de gens nous étiquettent comme xénophobes »; il n'est jamais trop tard pour apprendre.

Mais les réactions les plus significatives furent celles des maîtres à penser du parti des Verts, dépassés par leur gauche et dont l'urgence fut de parer au rappel des errements de leur jeunesse. Ainsi Ueli Leuenberger, alors président des Verts, se dépêcha-t-il de condamner l'initiative d'un « Schwarzenbach vous salue bien », destiné à fustiger « la chasse aux étrangers », plus apaisée, une Adèle Thorrens reprochait à l'initiative de se « tromper d'indicateur ». Cependant, le mal, la "bête immonde", semble bien avoir pris naissance dans le sein même du parti écologiste. De 2009 à 2011, Bastien Girod déposait pas moins de 3 postulats en rapport avec l'immigration et ses conséquences sur la démographie (09.430111.370911.3710), tous trois soutenus, sans surprise, par Ueli Leuenberger.

Devant la douche froide des réactions outrées, les soutiens publics se firent rares. Le plus éminent fut sans doute Philippe Roch, ancien chef de l'Office fédéral de l'Environnement, alarmiste en diable, promettant l'apocalypse démographique avec la ferveur d'un astronome maya aux aurores du mois de décembre, mais Le Temps touchera certainement juste en le qualifiant d' « un brin embarrassé ». Le plus ardent sera sans doute Philippe Barraud, qui y trouve « une chance unique à saisir » en raison des « catastrophes majeures » qui s'annoncent et d'une qualité de vie des Suisses diminuant rapidement au regard de cette « nature qui les entoure encore » et qu'ils voient « dévorée un peu plus chaque matin par les grues et les camions de béton, qui couvrent notre environnement de centres commerciaux inutiles et de logements déprimants ». Le journaliste romand croira trouver un précieux renfort en la personne de Franz Weber (et ici), lequel atermoiera quelque peu son engagement quelques jours plus tard.

On le comprend d'ailleurs aisément, pour avoir osé dire qu' « on ne peut mettre dans un appartement plus de personnes qu’il ne peut en contenir », l'icône écologiste s'attirera un rappel comminatoire « de certaines heures assez sombres du siècle dernier » de Philippe Revaz sur le forum de la RTS le soir même; on ne plaisante pas avec l'immigration.

Dès lors, le ton est donné, la presse est en boucle sur le thème de la « barque est pleine » (et ici), il faudra chercher ailleurs des analyses plus pertinentes.

Revue d'internet

Comme souvent, internet et quelques organes de presse papier isolés seront les plus enclins à proposer des commentaires épurés des scories de la qualification idéologique et focalisés principalement sur l'étude de la philosophie à l'origine du phénomène, le malthusianisme.

Ainsi Largeur.com nous paraît tomber assez juste en qualifiant de « pauvre nostalgie » les velléités Huxleyiennes d'une poignée d'universitaires atteint de végétarisme. Domaine public s'essayera à l'exégèse du malthusianisme sur la base des révélations de Wikipedia mais sans poursuivre sur le destin des idées du pasteur anglican Thomas Robert Malthus aux XIX et XXe siècles. Le Courrier, qui reprend SolidaritéS, mentionne encore Malthus, négativement, confirmant ce sentiment que nos confrères de gauche semblent tout ignorer des services rendus par le malthusianisme au sein de leur tendance et des usages que celle-ci en a pu faire tout au long des dernières décennies.

Depuis 60 ans la gauche est malthusienne, aujourd'hui elle ne l'est plus. En 2009, Antonio Hodgers veut en finir « avec l'angélisme de la gauche » sur l'immigration, en 2012 le voilà qui crie au « national-écologisme ». Nous étudierons plus loin ce qui peut avoir, ou ne pas avoir, changé.

La droite étant moins directement concernée, c'est chez elle que l'on trouvera les commentaires les moins passionnés relatifs à cette résurrection spectrale de l'extrémisme de gauche. Ainsi, Francis Richard, sur ce même site, identifie le problème malthusien et l'analyse au vu de ses conséquences, citant le Dictionnaire du libéralisme  pour dire « que la surpopulation est un dogme d’une religion sans fondements » et fournissant quelques pistes quant aux origines. Mais c'est sans doute, à notre connaissance, à Jean-Hugues Busslinger, dans la revue du centre patronal vaudois Patrons des mois de novembre et décembre 2012, que revient l'honneur de s'être attardé le plus longuement sur l'idéologie qui sous-tend l'initiative et qui mêle, selon l'auteur, « une certaine misanthropie, l’idéalisation d’une nature intacte et préservée ainsi que la contestation du développement économique ».

L'analyse de Jean-Hugues Busslinger est assez intéressante, qui attribue ce "retour" du malthusianisme en économie à la fin des 30 glorieuses, aux crises à répétition des années 2000 et à un sentiment général de concurrence insoutenable par effet de trop-plein de population. Sentiment qui marque le pas de la croissance et dessine à l'horizon l'idée que les ressources ne sont pas illimitées et qu'elles devront se diviser entre un nombre croissant d'êtres humains. Le système économique actuel s'en trouve remis fondamentalement en cause. Il s'agit donc bien là de la fin de la société de consommation telle qu'annoncée par certains experts.

L'émergence de la crise fait ressortir solutions et slogans d'un autre âge. Après avoir annoncé cent fois l'apocalypse climatique, les idôlatres du matérialisme naturaliste sonnent l'heure du grand cataclysme démographique. Autrefois l'homme tuait la terre en tuant le climat, aujourd'hui il l'étouffe en éteignant ses ressources.

Busslinger souligne très justement la perte des repères et l'effet anti-progressiste de ces réactions de peur panique. Le progrès technologique n'est plus un ennemi en ce qu'il atteint le climat mais en ce qu'il permet à toujours plus d'hommes de vivre sur terre, mais pas dans les conditions d'un occidental de la classe moyenne de la fin du XXe siècle; et de poser cette simple question: « Comment admettre en effet un accroissement de la population lorsqu’on est convaincu que le progrès ne permettra pas de lui garantir un sort acceptable ? ». Au XIXe, on imaginait, sans même soupçonner le progrès actuel, que Londres serait submergée sous un mètre et demi de crottin de cheval, aujourd'hui, les membres d'Ecopop semblent croire que toutes sortes de déchets vont s'accumuler dans nos ruelles et noyer une planète asséchée de ses ressources.

L'analyse du centre patronal est certes frappée au coin du bon sens entrepreneurial mais évite la question de fond, à savoir comprendre si l'homme moderne, pour envisager ainsi sa propre fin avec autant d'intensité, est au bout de ses ressources matérielles ou seulement philosophiques et morales. En outre, est-il fondamentalement déraisonnable que de vouloir réguler l'économie, voire lever le pied quelque peu dans la frénésie ambiante ?  Autant de pistes et d'éléments qu'il conviendra d'analyser dans la deuxième partie de cet article.

à suivre...

 

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