L’EERV et les couples homosexuels

Suzette Sandoz
Suzette Sandoz
Prof. honoraire UNIL

Si l’on qualifie de mariage l’union de deux personnes capables – en théorie du moins – de procréer ensemble, il est normal de qualifier différemment l’union de deux personnes totalement incapables – même en théorie – de procréer ensemble.

Les 2 et 3 novembre prochain, le Synode de l’Eglise évangélique du canton de Vaud (EERV) devrait se pencher sur une proposition de bénédiction des couples de même sexe ayant conclu un partenariat enregistré. En tant que membre de ce Synode, je voudrais attirer l’attention sur des éléments de la problématique qui ne sont absolument pas pris en considération dans le cadre non seulement des dossiers que nous avons reçus en vue du débat, mais qui ne le sont pas, d’une manière générale, dans le cadre des réflexions des Eglises protestantes en tous les cas sur l’accueil des couples de même sexe.

Il ne s’agit à aucun moment, à mon sens, de décider de la nature de l’homosexualité, ni de sa qualification « biblique », ni de l’intérêt que pourraient avoir les uns ou les autres à ce que le couple homosexuel soit assimilé à un couple hétérosexuel, au nom d’une théorie du genre. Il s’agit simplement de relever des faits et d’en tirer des conséquences.

Procréer ensemble

Depuis des siècles, la civilisation occidentale qualifie de mariage l’union d’un homme et d’une femme. Depuis des siècles aussi, il est constaté et prouvé qu’un enfant est conçu par la réunion de cellules provenant d’un homme et d’une femme et qu’une telle réunion, indispensable à la continuation de l’espèce humaine, est notamment réalisée en cas de mariage. La constatation n’a jamais pu être faite que la réunion de cellules provenant d’hommes seulement ou de femmes seulement permettaient de faire un enfant. Si deux hommes ou deux femmes veulent procréer ensemble, ils ne le peuvent pas. On ne saurait parler d’un enfant conçu par et commun à deux femmes alors que l’une d’elles aurait dû recourir au sperme d’un tiers, ni d’un enfant conçu par et commun à deux hommes, dont l’un aurait dû louer un ventre féminin étranger pour y faire fructifier sa semence. La science est capable de beaucoup de choses, mais elle n’a pas encore réussi à bricoler une parthénogenèse humaine, ni une grossesse masculine. Dont acte. On peut en tirer une première conclusion : si l’on qualifie de mariage l’union de deux personnes capables – en théorie du moins – de procréer ensemble, il est normal de qualifier différemment l’union de deux personnes totalement incapables – même en théorie – de procréer ensemble.

Depuis des siècles, la société, en tous les cas occidentale, a investi le mariage d’une fonction de stabilité, non seulement économique, mais aussi sociale, voire éducative. Certes, le rôle éducatif par rapport aux enfants n’est que relativement récent, en revanche, le rôle social incluait une garantie de descendance, donc de maintien, voire de croissance de la population d’un Etat. La société n’avait évidemment aucun motif d’investir de ce rôle qu’elles ne pouvaient pas remplir des unions de personnes de même sexe. Conclusion, tant qu’une société veut assurer son maintien et sa croissance, elle n’a aucun motif quelconque de protéger des unions entre personnes de même sexe. De telles unions ne jouent aucun rôle social.

Valeur théologique

Pendant des siècles, l’Eglise a non seulement béni des mariages pour consacrer l’importance de l’engagement de fidélité réciproque des époux, mais elle a même été considérée par le pouvoir civil comme seule légitimée à donner à un mariage un caractère officiel nécessaire pour qu’il remplisse son rôle social. Ce n’est qu’avec la laïcisation de l’Etat – à la fin du 19e siècle, par exemple, en Suisse - que la bénédiction religieuse a été « reléguée » au rang de « symbole religieux » sans valeur juridique. Mais à partir du moment où la société civile a séparé le mariage civil du mariage religieux, celui-ci prenait une portée particulière, exclusivement religieuse, ce qui aurait dû amener l’Eglise, et en particulier l’Eglise protestante, à préciser la valeur théologique de la bénédiction qu’elle pratique. Il semble bien qu’elle ne l’ait pas fait. Or elle se trouve placée maintenant devant une telle responsabilité, au moment où certains lui demandent une bénédiction pour des couples de même sexe. Si l’Eglise veut éviter des confusions, donc des schismes, qui ne sauraient qu’affaiblir le message de salut et d’amour qu’elle veut transmettre, elle doit commencer par définir la portée et la valeur théologiques qu’elle met dans les bénédictions de mariage qu’elle pratique depuis des décennies. Ce n’est que lorsqu’elle sera au clair sur ce message-là et qu’elle l’expliquera sans ambiguïté aux fidèles qu’elle pourra réfléchir à la portée d’une bénédiction des couples de même sexe comme tels - couples dont l’existence juridique et sociale est toute récente et n’a encore aucune tradition religieuse - qu’elle pourra dire quel message religieux elle veut alors communiquer au monde laïque, qu’elle sera à même de donner à un éventuel nouveau rite la portée théologique nécessaire à la crédibilité du message religieux véhiculé par le symbole.

Tant que cette réflexion n’aura pas été faite, la création d’un rite de bénédiction pour les couples de même sexe ne peut que semer la confusion et desservir la mission de l’Eglise dans la société.

Suzette Sandoz

5 commentaires

  1. Posté par falafel le

    De parler de marriage quand il n’y a pas de filiation, c’est un peu revenir sur le célibat catholique qui prone le marriage Dieu. De ces personnes qui autrefois se tournaient vers Dieu, on peut se demander si elles doivent réintégrer notre société de valeurs ethiques, sans que ces valeurs ethiques en soient altérées.
    Pour quelle raison devrait-on mélanger la foi qui est un union de même sexe et le vice qui n’en est pas un.

  2. Posté par Jean-Pierre Brand le

    Il me semble que la forme (texte lu et autres aspects) de la bénédiction d’un couple gay ou lesbien ne sera pas le même (heureusement) . Comment l’EERV justifie de telles contorsions pour le mariage des gays ! ! Merci à Mme Suzette Sandoz pour la clarté de ses analyses et la vérité théologique qu’elle déclare.

  3. Posté par Jacky Brouze le

    @Pasteur Alain Brouze
    Bonjour,
    Je pense que votre démonstration synthétique et quasi mathématique en cinq points oublie simplement ce qu’on appelle « les valeurs fondamentales ». Ces mêmes valeurs que l’Eglise devrait défendre – mieux : promouvoir.
    D’autre part vous parlez de l’adoption par des couples homosexuels. J’ai vu récemment (ici-même je crois) un petit dessin qui se voulait humoristique présentant une petite fille demandant « Maman ? » en face de deux hommes qui la critiquaient car elle n’avait – soi disant – rien compris. Cela m’a fait sourire, puis j’ai réalisé la profonde tristesse de cette situation qui me hante désormais l’esprit. Je ne souhaite cela à aucun enfant. Le mariage serait la porte ouverte à la multiplication de ces abus.
    Que l’on laisse les homosexuels vivre leur vie, mais ne les laissons pas « singer » les couples hétérosexuels, et ne détournons pas nos traditions pour faire semblant de croire qu’ils font partie de la « norme ». Ne gommons pas leur « différence ».
    Jacky Brouze

  4. Posté par Alain Brouze le

    Bonjour! Pour être synthétique :
    1) La position des églises issues de la Réforme est claire : il existe deux sacrements, le baptème et la Cène. Le mariage n’est pas un sacrement en théologie réformée, il consiste en la bénédiction de l’amour de deux personnes qui décident d’une alliance.
    2) Il existe une différence entre les vaches et les personnes humaines : chez les humains, engendrer n’est, et de loin pas!, un fait purement biologique. L’adoption est depuis longtemps une manière d’avoir des enfants pour un couple stérile. Un couple de parents de même sexe n’a pas le privilège du bétail, mais il possède celui de l’humain : il est capable de faire grandir et d’accompagner la croissance morale, sociale et spirituelle d’une personne.
    3) Par conséquence du point 2), un couple de même sexe peut avoir une  » fonction de stabilité, non seulement économique, mais aussi sociale, voire éducative ». Sans mentionner toutes les professions sociales dans lesquelles nombre d’entre nous, personnes lgbt excelle, au bénéfice de tous et toutes.
    4) On peut évidemment regretter la séparation de l’église et de l’état : mais est-ce servir la société actuelle dans l’amour que de penser ainsi? Je ne le crois pas…
    5) Peut-être que le rôle social des couples de même sexe est d’aider l’église en lui apprenant à exercer son ministère d’amour pour toutes et tous? Intéressant renversement, non? Il y a 20 sciècles, un païenne enseigna à Jésus que son ministère allait bien au-delà des frontières du jurisdisme judaïque de son époque (http://www.etdieudanstoutca.com/bible/la-cananneenne/la-cananeenne-une-femme-qui-convertit-jesus). C’est grâce à cette transgression de l’ordre institué que le Dieu d’Israel vous offre sa Grâce et ses sacrements, chère Soeur dans la foi.
    Et notre tour est venu à nous aussi, gay, lesbiennes, bisexuels/les : nous avons déjà bien assez attendu!
    Pasteur Alain Brouze

  5. Posté par JB Aegerter le

    En même temps, on a tout de même l’impression que ce sont les églises protestantes qui ont entamé le processus de délitement de l’institution auquel vous faites allusion en permettant la négation du caractère irréfragable du lien conjugal, le divorce.

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